La crise d’un pontificat qui a peur du monde et de l’avenir
Un livre de Marco Politi
Luca Kocci
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
Il est difficile, voire impossible, de regarder et d'imaginer l'avenir de l'Église
catholique, lorsque la préoccupation dominante est la défense et la conservation
de ce qui existe. En effet, dans ce cas, le résultat n'est même pas la préservation
et l'immobilisme, mais la restauration et un "retour en arrière"
dictés par la peur qui crée un réflexe inévitable d'identité. C'est la clé de
lecture avec laquelle Marco Politi – vaticaniste du Fatto quotidiano, après vingt années
passées à la Repubblica – interprète les 6 ans et demi du pontificat
de Benoît
XVI dans son essai : Joseph Ratzinger. La
crise d’un pontificat, qui vient d'être publié par Laterza (328 pages, 18
€). Un livre qui tombe à pic, bien documenté mais pas pour autant difficile ou
ennuyeux, et qui reconstitue les étapes du «règne» de Benoît XVI, depuis le
conclave qui l’a élu pape en avril 2005 jusqu'à ses dernières actions.
Ce
que serait le pontificat de Benoît XVI était déjà en partie écrit dans les prémisses
qui ont conduit Ratzinger à la papauté. Au fur et à mesure que progressait la
maladie du pape Jean Paul II, écrit Politi, s’est constitué un groupe
pro-Ratzinger au sein du collège des cardinaux, motivé par trois préoccupations
: "sauvegarder le centralisme romain, rétablir plus fermement la doctrine et la
discipline, ne pas permettre que des gestes et des décisions papales puissent
ternir l'image de suprématie de l'Église catholique - comme cela s’était
produit avec le mea culpa du Jubilé ou les rencontres interreligieuses
d’Assise voulues par Jean-Paul II". Et Ratzinger était le bon candidat pour cet
objectif.
Politi
constate que Ratzinger a été élu par deux "complicités" : le "chantage" de Universi
Dominici Gregi (la constitution apostolique promulguée par Wojtyla qui,
après un certain nombre de votes infructueux, permettrait l'élection d'un pape
à la majorité absolue et non pas aux deux tiers : si cela devait arriver, on
donnerait l'image d'une Église divisée, et ce serait un moyen indirect de
pression sur les indécis) ; et l'absence
d'autorité de candidats très influents pour combler l'immense vide laissé par
Jean-Paul II (il y en aurait eu un, le cardinal Martini, mais sa maladie déclarée
l’écartait avant même qu'on commence à en parler sérieusement). Il a donc été
élu, bien qu’il soit un pape qui «polarise», qui ne représente qu'une partie de
l'Église, les plus conservateurs, comme Martini du reste aurait représenté l'aile
progressiste.
Les
risques étaient tous sur la table, dès après la première «année de grâce»
pendant laquelle Ratzinger a semblé donner une image différente de ce qu’on
attendait du "gardien de la foi" : il rencontre le théologien rebelle Hans Küng,
son vieil ami et compagnon «réformiste» au temps de Vatican II, mais «la
réunion restera une parenthèse sans suite», note Politi. Surviennent alors l'un
après l'autre, des espèces d’ "accidents de parcours", qui cependant révèlent
une idée précise sur Dieu, l'Eglise et l'humanité, qui est le résultat d'une
théologie. Lors de la présentation du livre à Rome le 16 novembre, Vito Mancuso
a décrit cette théologie comme incapable de communiquer avec le monde et
l'histoire, comme l'ont fait, par exemple, les théologiens de la Libération ou
le théologien protestant Karl Barth avec son expression "la Bible et le
journal". Politi énumère six éléments essentiels du pontificat de
Ratzinger:
1. la rupture des relations avec le monde islamique, après le
discours à Ratisbonne où Benoît XVI, citant l'empereur byzantin Manuel II
Paléologue, attribue à l'Islam la méchanceté, la violence et le manque
d’humanité ;
2. l'enterrement
définitif du Concile Vatican II - et avec lui l'espoir d'un renouveau de
l'Eglise aujourd'hui - interprété dans l’optique de la continuité de la
tradition, rendue évidente par la restauration de la messe en latin (ce qui
contredit le Ratzinger réformiste d’après le Concile qui, rappelle Politi, avait
écrit dans Concilium que la messe tridentine était un "rite archéologique");
3. la
fracture dans les relations avec le monde juif comme résultat de
l'auto-absolution du peuple allemand et de l'Eglise catholique par rapport au
nazisme (discours à Auschwitz en mai 2006), la reprise de la prière pour les "juifs perfides" dans la liturgie du Vendredi Saint selon le missel de saint
Pie V (ensuite partiellement corrigée), l'accélération du processus de
béatification du "pape du silence" sur la Shoah, Pie XII,
et la levée de l'excommunication de l'évêque lefebvriste négationniste Williamson,
également due à une défaillance de l'information diplomatique du cardinal
secrétaire d'Etat Tarcisio Bertone ;
4. l’affirmation, au cours d'un vol pour l'Afrique, que l'utilisation
du préservatif "augmente le problème" de la diffusion du sida ;
5. la
question de la pédophilie des clercs, pour laquelle Politi reconnaît que Benoît
XVI avait fait beaucoup et qu'il s’était "engagé dans une action visible contre
les abus sexuels du clergé" mais qu’il n’avait pas pu aller au fond en donnant
«un ordre clair aux autorités ecclésiastiques du monde entier de toujours
dénoncer les prêtres coupables à la justice et à la police",
6. et
enfin, l'invention, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
des "principes non négociables" et leur répétition incessante en tant que
pape, comme un obstacle à la modernité et à la sécularisation, avec des
retombées politiques évidentes, surtout en Italie, où de plus en plus
fréquemment ils sont brandis par la hiérarchie de l'Eglise comme une menace
contre les catholiques qui se tournent vers la gauche.
Ces éléments sont des signes d'une conception de
l'Eglise comme "citadelle assiégée" qui rappelle Pie IX – de
qui, ce n’est peut-être pas surprenant, Benoît XVI a rétabli certains vêtements
liturgiques à la signification symbolique évidente : la mitre et la crosse - et
l’indicateur d’un manque croissant de collégialité et d'un renforcement
progressif de la "centralisation de la curie" et de "l'absolutisme de la
papauté". Le résultat est que "sur toutes les grandes questions qui
exigent une réforme (de la pénurie du clergé au rôle des femmes dans l'Eglise,
de la collégialité aux questions de sexualité, de science et de bioéthique) c’est
le statu quo", et, en attendant, "le fossé se creuse au sein de la
communauté catholique en deux grandes tendances: ceux qui se retranchent dans
la réaffirmation de l'identité catholique et ceux qui attendent une Eglise
capable de se mesurer avec de nouvelles questions, selon le vieil adage Ecclesia
semper reformanda". Peut-être, se demande Politi, "devons-nous
commencer à nous demander si ce modèle de monarchie absolue, né au Concile de
Trente il y a cinq cents ans, est encore capable de fonctionner."
Luca Kocci - Italie)
Notes :
in Adista Notizie
n. 95 - 24 Dicembre 2011
traduction : P. Collet
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