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Caritas ou le prophétisme à l’épreuve de l’institution

Patrick De Bucquois
Publié dans Bulletin PAVÉS n°29 (12/2011)

Un simple ‘incident’, ce refus du renouvellement de mandat de la secrétaire générale de Caritas Internationalis sur ordre du Vatican ? L’affaire nous avait émus, voire scandalisés. C’est le secrétaire général de Caritas-Belgique en personne qui a accepté d’expliquer la mécanique de cette grosse institution et de nous partager son analyse.

(P.C.)

En quoi consiste le réseau « Caritas » ?

Caritas Internationalis est une confédération regroupant environ 165 orga-nisations Caritas actives dans plus de 200 pays et territoires. Aux termes de ses statuts, elle est chargée, ainsi que ses membres, de « faire rayonner la charité et la justice sociale à travers le monde », ce qui correspond à l’une des trois missions fondamentales de l’Église et de tout baptisé, à savoir la diaconie ou « service », les autres étant la célébration et le témoignage.

Une Caritas nationale ne peut voir le jour que moyennant un accord de la conférence épiscopale locale ; de plus, leurs champs d’activités et leurs modes d’organisation internes diffèrent fortement d’un pays à l’autre en fonction de leur histoire spécifique. C’est ainsi que dans certains pays com-me l’Allemagne qui a poussé le concept de ‘subsidiarité’ jusqu’à l’extrême, Caritas et ses membres constituent l’un des principaux employeurs ; dans d’autres, tels les pays musulmans ou à forte majorité protestante, les Caritas ne constituent parfois, tout au plus, que de petites associations.

Ces contrastes constituent un défi pour une organisation dont le maître-mot est le partenariat, à savoir qu’aucune action de développement ne peut être entreprise sans l’implication du partenaire Caritas local, spécialement lors d’opérations d’urgence ou de développement : en effet, à l’inégalité des situations de départ s’ajoute la vulnérabilité supplémentaire de l’urgence, qui résulte bien souvent dans un nouvel affaiblissement de la Caritas locale. En termes d’activités, si les secours d’urgence et le développement constituent l’une des missions principales de la plupart des Caritas du Nord, il n’en va pas de même dans les pays du Sud où ces organisations constituent souvent des prestataires de services sociaux ou de santé de première importance, en particulier lorsque les structures étatiques ne sont pas à même de les assurer.

Enfin, l’un des principes essentiels de Caritas est l’interdiction de toute discrimination dans l’octroi de l’aide y compris sur base des convictions religieuses – un principe qu’il n’est d’ailleurs pas toujours aisé de faire respecter, notamment dans les pays où une telle attitude est suspectée, voire interdite au titre de prosélytisme…

Caritas et l’Église

Si le réseau Caritas est donc étroitement lié aux Églises locales, il l’est également au sommet dans la mesure où les statuts de Caritas Internationalis prévoient un ensemble de dispositions garantissant une interaction aussi étroite que possible avec le Saint-Siège. Toutefois, un tournant important s’est produit au début de notre siècle avec la demande de reconnaissance de Caritas comme « personne juridique canonique publique », une demande à laquelle le pape Jean-Paul II a accédé en 2004. Cette demande était justifiée par divers motifs, dont la volonté d’une intégration plus forte encore dans les structures de l’Église. Aussi cette demande ne fit-elle guère l’objet de débats – une situation qui, rétrospectivement, apparaît comme extrêmement problématique. En effet, on ne semble pas avoir perçu, à l’époque, qu’un tel rapprochement allait profondément modifier non seulement la position de Caritas Internationalis, mais également sa nature : devant désormais s’exprimer « in nomine ecclesiae » (au nom de l’Église), elle acquiert non seulement une autorité dont elle ne disposait pas auparavant, mais également une dépendance d’autant plus forte par rapport au Saint-Siège qu’elle porte sur des matières relevant du ‘noyau dur’ de la foi.

À ceci s’ajoute un autre problème : si le droit canon connaît l’objet juridique connu sous le nom d’ ‘association’, il ne connaît pas, par contre, ce que nous connaissons sous le nom de ‘fédération’ ou ‘confédération’, à savoir une association d’associations. Il en résulte que les statuts de Caritas Internationalis doivent être entièrement réécrits pour donner naissance à un être juridique hybride que l’on qualifie, sans pour autant résoudre le problème, de « personnalité juridique sui generis »…

Tout cela peut paraître bien futile, mais les conséquences en sont aussi nombreuses qu’importantes, notamment en termes de marge de manœuvre par rapport au rôle de plaidoyer (‘advocacy’) qu’elle est appelée à mener dans les nombreux lieux de décision et forums auxquels elle participe : Nations-Unies, Conseil de l’Europe, conférences mondiales sur l’environnement, le racisme, …

L’Assemblée générale de 2011

C’est particulièrement à l’occasion de l’Assemblée générale de 2011 qu’est apparue l’ampleur de ces défis : en effet, les statuts de Caritas Internationalis prévoient qu’à chaque renouvellement de mandat du Président et du secrétaire général, un nihil obstat soit demandé au Saint-Siège. Or, à la surprise générale, ce nihil obstat n’a pas été accordé à la secrétaire générale sortante, l’anglaise Lesley-Anne Knight, en dépit du travail exceptionnel qu’elle avait effectué au cours de son premier mandat de quatre ans.

Cette décision a constitué un électrochoc, et, lors de l’Assemblée générale qui l’a suivie, c’est avec une belle unanimité que les membres de Caritas Internationalis ont exprimé leur consternation et se sont enquis de ses motivations – une demande qui n’a reçu qu’une réponse tantôt embarrassée, tantôt maladroite, voire outrageante pour l’intéressée. Il semble à présent établi que l’une des principales motivations consistait dans le caractère insatisfaisant du dialogue avec le Saint-Siège – mais étant donné qu’un tel dialogue devait d’abord porter sur les structures découlant du nouveau contexte et que la secrétaire générale n’était habilitée à y participer que dans une mesure secondaire, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle a fait les frais de manquements largement indépendants de sa volonté.

Les conséquences pour l’action des Caritas

Le traumatisme qu’a provoqué cet incident a laissé des traces profondes dans la confédération ; toutefois, la force d’une confédération ne réside pas uniquement dans la personnalité de ses principaux représentants, mais également dans l’esprit, la conviction et les compétences de ceux qui en sont les artisans à tous les niveaux.

En particulier, il faut souligner que l’Assemblée générale de 2011 a confirmé dans leurs mandats tous les membres sortants du Conseil d’Administration de Caritas Internationalis, ce qui peut également être interprété comme une marque de continuité et de confiance.

Mais surtout, il faut souligner que la nouvelle situation de Caritas Internationalis n’exercera qu’un effet indirect sur les Caritas nationales, au sein desquelles les conférences épiscopales gardent un rôle prépondérant.

L’on rejoint ainsi un enjeu qui n’a rien de spécifique à Caritas, mais qui concerne l’ensemble de la vie de l’Église, à savoir celle de la reconnaissance du rôle des Églises et des conférences épiscopales locales, un rôle dont notre cardinal s’était fait l’un des porte-parole les plus autorisés. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra sauvegarder ce qui fait l’essentiel d’une confédération, à savoir la mise en commun d’expériences et de savoir-faire ainsi qu’un lieu de parole démocratique, tout en l’intégrant dans une institution qui, elle, ne se définit pas comme une démocratie, et dont on sait qu’elle est « semper reformanda », toujours à réformer.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas attendu, en Belgique, que ces événements se produisent pour soigner une blessure ouverte il y a quarante ans avec un séparatisme auquel plus d’un responsable d’Église a succombé… Nous avons donc décidé d’unir à nouveau nos destinées emménageant les sièges des Caritas de Flandre et de Belgique francophone et germanophone dans un même bâtiment, rue de la… Charité, en prévoyant désormais des représentations mutuelles au sein de nos instances et en nous engageant dans de nouveaux projets communs. Si, pour remonter à la source, il faut ramer à contre-courant, il y encore place pour des gestes prophétiques, même au sein des plus grosses institutions…

le 26 septembre 2011


Patrick De Bucquois (secr?taire g?n?ral de Caritas)


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