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Forgerons de paix

Edouard Brion
Publié dans Bulletin PAVÉS n°29 (12/2011)

On connaît les actions symboliques de prophètes de la Première Alliance et celle de Jésus vis-à-vis des vendeurs du temple. Ils trouvent aujourd’hui encore des émules. Leur rôle est de nous éveiller et de nous pousser à nous engager selon nos lieux et possibilités.

En Belgique, si on connaît les actions contre les missiles nucléaires américains entreposés à Kleine Brogel, on est peu informé sur l’intense mobilisation aux États-Unis dans le même sens. Les militants n’y vont pas de main morte, c’est le moins qu’on puisse dire. Périodiquement, des petits groupes s’introduisent dans des sites où sont placées des ogives nucléaires et s’y attaquent à coups de masse et de marteau. Ce qui ne les empêche pas de se définir comme non violents. Ils se retrouvent ensuite devant les tribunaux et en prison pour des périodes parfois très longues.

Ainsi, Helen Woodson a été incarcérée durant 27 ans quasiment ininterrompus. Elle est sortie de prison le 10 septembre dernier  à Kansa City. Libérée sur parole après avoir fait connaître sa décision de mettre fin à sa militance, elle se retrouve à l’âge de 67 ans sans aucune ressource, ni mutuelle, ni pension.

Le 20 septembre dernier, Steve Baggarly, détenu à la prison d’Irving County, a été condamné par le tribunal fédéral de Knoxville Tennesse pour s’être introduit, le 5 juillet 2010 dans le complexe militaire Y-12 d’Oak Ridge Tennesse. On y fabrique de l’uranium appauvri qui sert à renforcer la force explosive des têtes nucléaires.

Pour lui, en opposition au caractère profondément violent de la culture états-unienne, il y a le chemin non violent de Jésus vers le Royaume de Dieu. Cela signifie élimination de la violence et de la pauvreté, désarmement et redistribution de la richesse. Bref, une justice interhumaine et donc un espoir pour les appauvris, affamés, bombardés et réduits à la condition de victime quel que soit le lieu.

Ces gestes ne sont pas des cas isolés. Ainsi, en novembre 1984, avec deux Pères Oblats de Marie Immaculée (Carl et Paul Kabat) et d’un autre laïc, Larry Cloud Morgan, elle s’est attaquée aux missiles du silo de Pruning Hooks (Missouri). La fin de la guerre froide et la chute du bloc soviétique en 1991 n’ont pas mis fin à ces actions. En mai 2003 des religieuses ont été jugées pour avoir protesté de façon non violente lors du premier anniversaire (octobre 2002) du début de la guerre en Afghanistan. En forçant l’enceinte grillagée du site, elles étaient entrées dans le silo de missiles près de Greeley (Colorado), avaient martelé et répandu leur sang sur la rampe de lancement qui transporte les missiles pour être mis à feu. Tout récemment, en novembre 2009 quatre militants pacifistes, après avoir sectionné le grillage d’enceinte, se sont attaqués aux missiles se trouvant à la base navale Kitsap-Bangor. Cela leur a valu entre deux et quinze mois de prison. Deux sont toujours sous les verrous et seront libérés en avril ou mai 2012.

Ce genre d’action directe a pris naissance lorsque les États-Unis sont intervenus massivement dans la guerre du Vietnam (1967-1975). Le 19 octobre 1967, ceux qu’on a appelés Les quatre de Baltimore ont répandu du sang sur les fiches de recrutement de l’armée : un artiste (Tom Lewis), un écrivain (David Eberhardt), un pasteur missionnaire de l’Église Unie du Christ (James Mengel) et Philip Berrigan, un membre de l’Ordre des Joséphites, fondé au siècle précédent pour défendre la cause des noirs américains. Trois d’entre eux étaient déjà actifs dans le mouvement en faveur de l’égalité des races. On a un peu oublié ce point départ, vu le retentissement qu’a rencontré l’action suivante.

Elle est connue comme Les neuf de Catonsville. Le 17 mai 1968, neuf catholiques pénètrent dans les bureaux de recrutement de l’armée dans cette banlieue de Baltimore, enlèvent les fichiers, les brûlent à l’extérieur avec du napalm de leur fabrication, formulent une prière et publient une déclaration. L’événement passe lors du journal TV de la NBC, ainsi que leur déclaration : « Nous interpellons l’Église Catholique Romaine, les autres confessions chrétiennes et la synagogue d’Amérique quant à leur silence et leur lâcheté devant les crimes de notre pays. Nous sommes convaincus que la bureaucratie religieuse dans ce pays est un racisme complice dans cette guerre et est hostile aux pauvres ».

À la tête de ces neuf, on retrouvait Philip Berrigan et Thomas Lewis, avec un syndicaliste revenu d’Amérique Centrale, Georges Mische. Revenaient du Guatemala, trois anciens membres de l’Ordre missionnaire américain Maryknoll : John Hogan, Thomas Melville et Marjorie Bradford, mariés récemment, Mary Moylan, une religieuse missionnaire revenue d’Uganda et David Dart, un frère des Écoles Chrétiennes. Philip parvint à convaincre son frère Daniel de les rejoindre. Ce jésuite, poète et écrivain de renom, contribua, par son statut de vedette, à ce que cette action connût un retentissement extraordinaire. En juin 1971, à l’occasion du procès, les deux Berrigan se retrouvèrent même en couverture de Time Magazine.

Après la fin de la guerre du Vietnam, ce sont eux aussi qui lancèrent l’organisation Plowshares Movement  (Mouvement des Socs de charrue) en référence au fameux texte du prophète Isaïe : « Ils forgeront leurs glaives en socs et leurs lances en serpes » (2, 4). Sa fondation remonte au 9 septembre 1980, lorsque les deux frères et six compagnons entrèrent dans l’usine King of Prussia (Missouri) où on fabriquait des têtes de missiles : après les avoir martelées, ils ont répandu sur elles du sang. Ils furent condamnés à des peines de prison allant de un an et demi à dix ans. Lors d’un procès en appel en 1990, ils obtinrent que leur temps de détention soit ramené de quelques jours à dix sept mois et demi, compte tenu de leur séjour en prison déjà effectué. Des organisations similaires ont vu le jour depuis : Nuclear resister, Centre d’Action Ground Zero pour la non violence…

Quant à apprécier ce type de militantisme, je ne puis m’empêcher de penser aux iconoclastes de nos régions au temps de la Réforme, tels qu’Henri Pirenne les évoque (Histoire de Belgique, t. II, pp. 257-258). Alors il s’agissait pour eux d’en finir avec l’idolâtrie, en s’attaquant à coups de marteau aux statues de saints dans les églises. Mais ici, c’est à des missiles qu’on s’en prend, à des instruments de mort, après s’être préparé, par un temps de retraite silencieuse, à le faire sans rancune ou amertume. Avec un résultat sur l’opinion publique correspondant aux attentes des acteurs ? C’est la question et l’occasion d’un débat à tête reposée.

Concluons en revenant au présent. Le 6 août dernier, jour anniversaire de la bombe atomique d’Hiroshima, les représentants de divers mouvement de paix étaient réunis au Parc Hibakusha sur le campus de l’Université de Mons. Parmi les orateurs, Carla Goffi au nom du MCP a évoqué l’action d’Helen Woodson et des Nuclear resisters des USA. Elle y a associé le nom de Mordechai Vanunu, ce citoyen israélien emprisonné durant 18 ans pour avoir révélé l’existence en Israël du site de Dimona avec son armement nucléaire. Au-delà des frontières, une communion se maintient vive.

Charleroi, le 25 septembre 2011


Edouard Brion (Mouvement Chrétien pour la Paix)


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