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Croire en un Dieu qui n’existe pas…

un livre de Klaas Hendrikse

Jos Lhoir
Publié dans Bulletin PAVÉS n°29 (12/2011)

Le titre[1] est évidemment provocateur et le résultat garanti : qu’est-ce donc que ce pasteur qui se proclame athée et reste cependant au poste ? On s’approche avec curiosité, voire méfiance. Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne sort pas indemne de ce genre de coup de poing qui impose de revoir tant de choses qu’on croyait évidentes.

Vous rassurer d’abord : Hendrikse n’est nullement athée à la manière  classique  Si son Dieu n’existe pas, c’est qu’il n’est pas une personne mais un événement. Dieu n’existe pas à proprement parler : il se produit. Il n’a  aucune existence en dehors de l’expérience humaine.

Dieu ce serait l’extraordinaire de notre ordinaire, l’ordinaire qui révèle tout à coup sa charge ou sa face d’extraordinaire. L’ordinaire qui bascule. Quand il se met tout à coup à faire Dieu au cœur des relations humaines.

Voilà pour le titre : on peut donc continuer à croire en Dieu même si ce Dieu n’existe pas, du moins à la manière classique, « quelque part »… L’idée d’un Dieu qui existe quelque part est une idée païenne, dit notre auteur. C’est donc le contenu du mot qui a changé et c’est en ce Dieu autrement défini qu’on continue à croire.

Je me suis souvenu de Lévinas : « Dieu, c’est quand un homme en aide un autre ».

De Simone Weil aussi : « Je suis tout à fait sûre, écrivait-elle, qu’il n’y a pas de Dieu, en ce sens que je suis tout à fait sûre que rien de réel ne ressemble à ce que je peux concevoir quand je prononce ce nom. Je suis  tout à fait sûre qu’il y a un Dieu en ce sens que je suis tout à fait sûre que mon amour n’est pas une illusion ». Dieu découvert au cœur de notre amour : nous ne sommes pas loin de notre pasteur athée.

On a toujours su que le mot « Dieu » ne s’utilise correctement qu’au  mode vocatif, pas au nominatif ;  qu’il appartient au langage performatif qui ne se contente pas d’énoncer mais réalise ce qu’il énonce, que le seul parler vrai à propos de Dieu n’est pas le pieux ou le savant bavardage qui le raconte à la troisième personne, mais le vocatif qui l’interpelle. Que seuls en font bon usage non pas ceux qui en parlent mais ceux qui lui parlent, à savoir le charretier qui jure et le chartreux qui prie. Dieu vous le trouverez à la limite, dans l’excès, au moment où les choses basculent. 

J’ai connu de savants théologiens qui en parlaient bien mais ne lui avaient  manifestement jamais adressé la parole. J’ai bien failli perdre à jamais la foi à leur contact.

Voilà de Dieu, penserez-vous, une définition bien vague. Elle vaut pourtant son pesant de pseudo-certitudes.

Si l’on fait un sondage pour savoir s’ils croient en Dieu, les gens  répondent  massivement : « Le monde ne s’est pas fait tout seul, il a bien fallu qu’il y ait quelque chose au départ » : c’est le Dieu du déisme. Le Dieu bien attirant que voilà ! Le Dieu de la théodicée, le moteur immobile ou la cause incréée des philosophes, émeut tout aussi peu : allez-vous tomber amou-reux d’un moteur immobile ? Quant au dieu des scientifiques, depuis Laplace, il est aux abonnés absents…

Le mot est le lieu géométrique de tant d’ambiguïtés et de tant de paresses qu’il est sans doute utile que quelque iconoclaste se lève de temps à autre pour le casser et  voir ce qu’il y a dedans. C’est l’honneur de Dieu qu’on entend ainsi rétablir : nous l’avons si souvent fait à notre image. Les monothéismes ont fait tant de dégâts, Dieu entre leurs mains a été si souvent fanatique. Pas étonnant que des voix s’élèvent pour réclamer une trêve : on ne se servirait plus du mot pendant un temps, on le laisserait refroidir ! 

Ceci encore : l’auteur dit des choses dont nous sommes complices. Notre conception du surnaturel s’est modifiée. Nous n’aimons pas le surnaturel plaqué du dehors, nous avons pris nos distances avec un Dieu extérieur au monde et qui se révélerait de manière « surnaturelle » quand ce n’est pas miraculeuse ou merveilleuse. Ce qu’on appelle révélation est en réalité expérience, prise de conscience d’une force qui est en nous sans être de nous. Impossible de partir de la révélation comme si elle nous était  extérieure.  À  toute question d’homme, il ne peut être répondu que par une expérience d’homme. Le christianisme n’est pas une doctrine surajoutée à la condition humaine mais une intelligence repensée de celle-ci.

Bonhoeffer nous a appris à nous tenir devant Dieu et avec Dieu mais sans lui « ac si Deus non daretur, comme si Dieu n’existait pas ». Croire à la manière de Bonhoeffer n’est pas croire à la manière de Barth qui insistait sur l’objectivité de la révélation et la radicale altérité de Dieu.

La non existence de Dieu, il fallait s’y attendre, entraîne par effet domino plusieurs conséquences. Disparaissent le Dieu créateur, le Dieu tout-puissant, le péché, Jésus fils de Dieu, la résurrection, le monothéisme, la prière, le credo : ça fait beaucoup.

Et si nous en profitions pour repenser des points de notre foi qui nous mettent mal à l’aise : l’au-delà, la providence, le miracle... Toutes choses dont nous ne parlons plus parce que nous n’y croyons plus que de manière fort atténuée.

Je referme le livre. Merci à l’auteur qui pose enfin les vrais problèmes. Ils  ne sont pas de cuisine intérieure, d’organisation de l’Église, mais de retraduction radicale de son message. Vatican II a traduit nos textes,  il faut retraduire la traduction. C’est sans doute la grande tâche qui nous attend. Dieu ne sera pas sauvé par les déismes ni par une sainte alliance des  monothéismes à laquelle des voix appellent.

Alors, que nous reste-t-il si nous ne rejoignons pas les rangs bien fournis des athées chrétiens ?

Nous reste le Dieu de Jésus, celui auquel croyait Jésus, qui est peut-être le grand absent du livre de notre pasteur athée. Qui était-il ce Père auquel Jésus s’adressait, devant qui il vivait ? Qui est ce Père qu’il voulait faire advenir et qu’il nous a confié (comme Etty Hillesum en reprendra l’idée).

Si Dieu existe, j’aime qu’il soit tel que Jésus croyait et disait qu’il était : un Dieu des hommes, qui n’attend qu’un seul culte, la justice et l’amour. Un Dieu caché qui ne s’impose pas car il est amour.

Jean d’Omesson l’a dit de très jolie façon : « Avec le Christ, l’impossible savoir s’est changé en amour, car si Dieu ne peut être connu, Jésus peut être aimé ».

Jos Lhoir (Hors-les-murs)

Notes :

[1] Klaas Hendrikse, Geloven in een God die niet bestaat. Manifest van een atheistische dominee, Nieuw Amsterdam uitgevers, 2011, 14e druk.

Traduction française : Croire en un Dieu qui n’existe pas. Manifeste d’un pasteur athée, Labor et Fides, 2011, 240 pages.




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