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L’amour suffit-il pour vivre ensemble ?

Sylvie Kempgens
Publié dans CEM n°93 (12/2011)

C’était le thème de la journée que le Conseil Interdiocésain des Laïcs (CIL) co-organisait le 22 octobre dernier avec Altercité.

Après l’éclairage de la philosophe et de la Bible, un panel de trois intervenants a été invité à exprimer sa vision de l’amour comme ressort de la vie collective et, l’après-midi, quatre ateliers ont abordé les thèmes du couple et de la famille, de la solidarité internationale, des religions et de la loi.

D’abord donc un utile rappel philosophique, avec Jean-Michel Longneaux qui explique que les sociétés se soudent par un besoin d’union face à un ennemi commun et par une vision commune qui permet d’affronter la peur de la mort. La vision commune est normalement articulée autour de quatre discours :

-    scientifique (qui permet de maîtriser les dangers),

-    économique (dont l’enjeu est la gestion des ressources pour assurer la survie),

-    juridique (les règles pour gérer la violence et assurer le droit à une vie digne),

-    religieux, discours que notre société actuelle a perdu.

Et l’amour dans tout ça ? Pour vivre ensemble, l’amour qui compte, c’est l’agapè, l’amour du genre humain. Mais il y a beaucoup d’écueils. D’abord, parce que l’être humain est plutôt électif en amour, il donne sa préférence à telle personne, avec l’amour-désir de ce qui lui manque (éros), ou à quelques-uns, avec l’amour-amitié (philia). D’ailleurs, être aimé comme n’importe qui d’autre, c’est nécessaire mais ça ne nous suffit généralement pas : nous avons besoin d’être préférés. Par ailleurs, vouloir que l’amour amène à une réconciliation universelle, c’est de l’ordre de l’imaginaire, c’est une espérance qui flatte les ressorts de notre existence, les trois désirs qui nous animent mais dont la vie réelle nous fait découvrir le caractère illusoire :

-    le désir de toute-puissance : être toujours à la hauteur de notre mission ; se croire capable de pouvoir transformer le monde, ou croire en tout cas que quelqu’un en est capable ; or, notre amour ne peut pas tout, il est “fini”, limité (p. ex. à l’égard des criminels odieux, ou dans un quotidien partagé : “Je t’aime pour toujours … mais pas tous les jours ! ”) ;

-    le désir de fusion : vouloir se comprendre mutuellement, se faire confiance totalement, pouvoir compter absolument sur l’autre ; mais la solitude demeure, inévitablement (il y aura toujours des gens qui ne sont pas d’accord avec nous, qui ne veulent pas être aimés ; je ne saurai jamais tout de l’autre, sa vie m’échappe, elle ne se réduit pas à ce que j’en connais) ;

-    le désir que l’amour ait toujours raison : tout lui serait dû, il ne peut que réussir, l’amour doit triompher ; mais non, l’amour ne marchera pas forcément, il y a des entreprises d’amour qui échouent, et on ne peut pas échapper à la crainte permanente de l’échec ...

Sur ce sujet de l’amour pour mieux vivre ensemble, nous devons donc :

-    nous méfier du rêve et de l’angélisme, c’est-à-dire regarder le vivre-ensemble tel qu’il est ;

-    ne pas pour autant nous résigner (ce qui signifierait ne pas accepter ce que nous sommes : “Je ne peux pas vivre si ce n’est pas comme dans mes rêves !”) : au contraire, nous réconcilier avec la réalité et avoir le courage d’aimer malgré le fait que notre amour ne sera jamais à la hauteur.

Paradoxalement, c’est dans l’amour que nous trouverons la force de faire face à ces défis. Malgré imperfections et malentendus, l’amour qui nous pousse vers les autres est une joie, il nous procure du bonheur. Et avoir été aimé pour ce qu’on est, nonobstant la solitude ou la finitude de l’amour, ça permet de ne pas s’évader dans les rêves.

Le retour à des textes bibliques, a priori très connus, complète parfaitement l’exposé précédent, en donnant un mode d’emploi pour aller à la rencontre de l’autre. Véronique Delloye De Stexhe démonte les récits de la Création et met en évidence l’importance d’un 7e jour où simplement s’émerveiller, mettre de la distance, imposer un frein à sa toute-puissance, réserver un moment à part, ne pas tomber dans l’esclavage de notre œuvre. Là est le propre de l’amour : Dieu se retire et laisse de l’espace à la création, pour qu’elle puisse se développer et devenir elle-même créatrice. De même, la rencontre a besoin de temps à part, de ce shabbat qui nous protège notamment de la convoitise.

Et cet arbre mis à part, cet arbre “de la connaissance du bonheur et du malheur”, quand Dieu adresse à l’homme une parole à ce sujet, et met une limite à son désir immense d’occuper tout, il y a là un grand message de vie. La connaissance n’est pas un objet, on ne peut la prendre ou la posséder : on la reçoit par expérimentations. Et dans les relations, il subsistera toujours une part d’inconnaissance, qui est celle-là qui nous pousse vers les autres. Nous devons respecter le mystère de l’autre, respecter “l’arbre de l’inconnaissance de l’autre”. Une relation exige du temps, elle nous appelle à contempler, nous émerveiller, découvrir l’autre et nous dévoiler aussi, accepter enfin d’être toujours surpris.

La matinée s’achèvera avec trois définitions de l’amour, trois mises en œuvre différentes, en fonction de la place de chacun :

-    Le psychiatre Philippe van Meerbeeck explique sa façon de travailler avec les adolescents : comprendre avec eux la condition humaine ; les aider à penser les grandes questions aujourd’hui trop souvent entourées de déni voire de réponses perverses, sur l’homme et la femme, le bien et le mal, la vie et la mort ; enseigner ce qu’aimer veut dire ; leur parler de l’importance de l’engagement. L’adolescent qui veut aimer quelqu’un pour toute la vie, fait sa première expérience de l’éternité. Selon ce spécialiste de l’adolescence, c’est à un grand ado que le message évangélique doit d’être parvenu jusqu’à nous, avec saint Paul et son “L’amour est plus fort que la mort”.

-    Michel Molitor, professeur de sociologie, éclaire le sens de son “travail avec les idées” pour ses étudiants : les aider à élaborer des références, à se construire des principes de choix, à clarifier le sens de ce qu’ils font là, à concrétiser leur projet. Analyser et déconstruire pour comprendre, mais aussi proposer pour le vivre-ensemble. Comme président d’Entraide et Fraternité, c’est le souci de l’autre, la reconnaissance de chacun comme sujet et l’importance de manifester la tendresse de Dieu aux plus petits, aux blessés de la vie (l’Auvergnat), qui a fondé son engagement. Car, à côté des solidarités proches, il faut transformer les mécanismes sociaux pour concrétiser la dignité de chacun, et faire mettre en place les règles et structures (“solidarités longues”) qui rendent les droits effectifs ;

-    Anne Jaumotte, au sein du Mouvement social des Aînés, travaille à rendre les personnes âgées sujets et acteurs de leur vie jusqu’au dernier jour, à combattre les stéréotypes aussi : leur expérience de vie est un vrai potentiel ; chaque génération apporte quelque chose à la société ; si l’on ne centre pas tout sur ce que l’on perd, on peut encore élaborer des projets. Elle accompagne les personnes âgées dans leurs projets, les aide à trouver le sens de leur passé et du présent qu’ils vivent, leur promet de nouvelles naissances.

Tout cela nous invite nous aussi, chacun à notre façon, à être “compatibles” avec les autres, à nous avancer dans des chemins de justice grâce à l’amour reçu, à concrétiser notre amour du voisin en engagement citoyen.



Sylvie Kempgens (Communautés de Base)


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