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Quid de l'Évangile sans l'Église ?

Michel Berhin
Publié dans SONALUX n°79 (1/2012)

Peut-on prétendre vouloir suivre l'Évangile et ses valeurs d'engagement au quotidien et exprimer en même temps un désaccord radical avec l'Eglise institution, celle-là même qui nous a transmis cette parole de vie ? Le R' Atelier (Malonne) a consacré 3 soirées d'octobre à cette réflexion.

Ils sont trois à prendre la parole pour introduire l'actualité du thème choisi. Pour le mettre en scène dans des vécus personnel ou d'association. Pour attester en tout cas, que la question n'est pas simple. En effet, l'Evangile est une force libératrice, dès lors, oublier qu'elle est arrivée jusqu'à nous grâce à « notre mère, la Sainte Eglise », ne serait-ce pas faire preuve d'ingratitude? Mais alors, où est le problème ? Pour les trois témoins, l'appartenance à l'Eglise institution telle qu'elle se présente depuis un certain temps déjà, provoque un véritable dilemme intérieur.

Godelieve Ugeux nous partage la forte impression que lui font deux passages d'Evangile : « Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur » et le « texte de Paul sur l'Amour » dans sa lettre aux Corinthiens. Des appels radicaux qui l'invitent à orienter sa vie et ses engagements au service d"une égalité pour tous... et pour toutes aussi. Et à entendre Godelieve, l'enseignement de l'Eglise en ce domaine pèche gravement!

José Gérard retrace lui le parcours des Feuilles familiales dont l'aventure, depuis les fondateurs, s'est toujours inscrite dans la ligne de Cardijn : Voir, juger et agir... au nom de l'Evangile. C'est sur les questions au cœur de la vie conjugale et familiale, dont les Feuilles familiales débattent dans chacune de leurs publications, que se cristallise le constat que le discours de l'Eglise institution ne fait plus recette. Pire, qu'il révulse bon nombre! L'encyclique Humane vitae fut un exemple emblématique de l'exercice d'un pouvoir romain centralisé qui ne laisse aucune place à la responsabilisation des intéressés eux-mêmes. Fort heureusement, les évêques déjà à l'époque, et en Belgique aussi, avaient-ils renvoyé chacun à l'exercice d'une « conscience personnelle dûment éclairée ». Car, José Gérard le rappelle, « les adultes qui s'écartent aujourd'hui de la soumission servile à l'enseignement romain, ne renoncent pas pour autant à une morale et une responsabilité dans le domaine de la vie affective et sexuelle. Ils continuent d'investir dans des groupes de réflexion qui débattent de ces questions. Voilà sans doute des noyaux d'Eglise très importants pour la survie de l'Evangile », conclut-il.

La même question est abordée par Brigitte Laurent, de l' ACRF, un mouvement qui, comme d'autres, s'est posé la question du maintien du « C » dans sa dénomination. La question fait débat, car le maintien de cette étiquette est aussi l'aveu d'une volonté d'agir dans le respect de tous en exerçant dès lors aussi un pouvoir de contestation au sein de l'Eglise institution. Mais à entendre le rapport des décisions prises par les assemblées successives de ces dernières années, il semble bien que l'ACRF soit, au delà de cette question de positionnement, mobilisée par des nécessités bien plus vitales : le développement durable, l'engagement personnel et collectif pour une société plus juste et solidaire, une vigilance sensible aux intégrismes et aux images de dieu(x) qui discriminent (subordonnent) les femmes (question du genre, notamment). Un engagement prioritaire au service des femmes et des hommes alimenté par un dialogue ouvert et interconvictionnel. Car la Bible n'a pas de réponses toutes faites à ces questions d'aujourd'hui qui réclament dès lors un engagement responsable des hommes et des femmes de bonne volonté. Le décor est planté dès cette première soirée.

Paul Tihon, auteur de « Pour libérer l'Evangile », viendra répondre à la question : «Est-ce que l'Eglise et son langage font obstacle au message de l'Evangile ? » D'entrée de jeu, il le clame : malgré des tentatives avouées d'Evangélisation, l'Eglise ne fait plus recette. L'ampleur et la radicalité du phénomène de désertion est importante : l'explication à trouver dans un fonctionnement archaïque, une image dépassée et une collusion avec un monde occidental qui a trop cherché à s'imposer, et aussi économiquement et politiquement. La mesure du défi passe par l'abandon de fausses idées. Jésus n'a pas cherché à fonder une nouvelle religion. Or, la collusion du Magistère avec le pouvoir politique, depuis Constantin (313) et la centralisation d'un certain pouvoir à Rome a permis de sacraliser des choses que l'on a ensuite présentées comme intouchables... nous emmenant bien loin de la réponse de Jésus à la femme samaritaine : offrir un culte en esprit et en vérité.

L'expérience humaine au quotidien nous apprend que la vérité est le fruit du travail de l'homme qui se met en recherche et en dialogue... or l'Eglise s'est figée dans la conviction d'une Vérité divine révélée et confiée à la vigilance d'un sacerdoce. A partir de là beaucoup de choses peuvent déraper. Reprenant Frédéric Lenoir citant S. Kierkegaard, il conclut cette première partie par : « Toute la période de chrétienté est alors un sursaut du genre humain pour retomber sur ses pieds et pour se débarrasser du christianisme ». Que faire alors ? C'est là que Paul Tihon témoigne de ses propres pistes : son engagement au sein d'une communauté ecclésiale, la paroisse libre de Bruxelles... lieu de transgressions légitimes, à l'image des communautés de bases telles qu'en Amérique latine et en Afrique, par exemple, pour tenter de nouveaux témoignages évangéliques. Des engagements concrets, notamment auprès des sans papiers. Des mandats audacieusement confiés à des équipes (plus qu'à des personnes) pour des durées limitées et où « tout ce qui concerne tout le monde est débattu par tout le monde » (comme le disait le Père Y. Congar). La volonté aussi d'un langage théologique revisité, pour dire aujourd'hui le caractère unique de la personnalité et de l'action de Jésus sans verser dans le langage périmé qui ne passe plus. Un langage nouveau qui ne peut que se concrétiser dans des engagements pour plus de justice, car Dieu n'a d'autres bras que les nôtres pour construire le Royaume que l'Evangile annonce.

La troisième soirée ne sera pas très différente de la seconde, si ce n'est qu'elle est occupée par la parole d'un historien plus que celle d'un théologien : Jean-Pierre Delville. Son diagnostic de départ est sans appel : la contestation du Magistère ne date pas d’hier. La tradition rapporte nombre de soubresauts qui constituent chacun des tentatives de remise en question d'une Eglise qui se sclérose à temps et à contretemps, tout au long des 20 siècles de son histoire. Qu'une organisation matérielle quelque peu centralisée soit nécessaire à la vie communautaire des disciples de Jésus, et notamment dans leur souci de transmettre le message fondateur qu'ils ont reçu et tenté de comprendre : quoi de plus normal ? Mais cette indéfectibilité de l'Eglise depuis ses origines, ne garantit pas pour autant son impeccabilité! Reprenant l'Evangile, Jean~Pierre Delville parlera longuement ce soir-là, de la dimension communautaire de l'Eglise... mais pour replacer toujours en son centre le petit, l'enfant, le nécessiteux au service de qui elle doit se mettre. Il reprendra aussi l'annonce de l'envoi de l'Esprit Saint (Jean 16:13) qui en révélera plus encore que ce que Jésus n'aura eu le temps de communiquer de son vivant... concluant que, s'il n'y a pas d'Evangile transmis sans une communauté primitive, l'Evangile est toujours au delà de ce que l'Eglise peut avoir compris et réalisé du message de Jésus, dans les temps fondateurs.

En guise d'illustration, l'historien de l'Eglise reprendra alors plusieurs étapes de nos 2000 ans d'évolution pour pointer des figures marquantes du renouveau de la formulation du message évangélique pour un monde en permanente évolution : des pères de l'Eglise comme Irénée et Origène, les ermites, les fondateurs d'ordres monastiques, François d'Assise, Luther et jusqu'aux membres des assemblées du concile Vatican II. Le défi est récurrent : il faut réactualiser de façon fidèle et interpellante l'originalité de l'Evangile. Certes, cela passe aussi, selon lui, par un travail de redynamisation des structures internes de l'Eglise (conseils paroissiaux, communautés nouvelles...) mais surtout par l'audace d'un témoignage qui mette l'enfant, le petit, le nécessiteux au centre de nos vies. Lui aussi, comme Paul Tihon, témoigne d'un engagement personnel, en l'occurrence lui, dans un resto social à Liège, mais aussi au sein d'une communauté d'engagement de lutte contre le sida, en Afrique. La conclusion est identique et non concertée avec celle de Paul Tihon : les mains de Dieu agissent par notre truchement. Porter le caractère unique et interpellant de l'Evangile dans le monde d'aujourd'hui, c'est alors poser en communauté des gestes utopiques inspirés par les valeurs de l'Evangile... à la façon d'un Damien à Molokaï. Commencer une action qui, avec le soutien de ceux qui viendront ensuite y apporter leur concours, aura valeur de miracle (c'est-à-dire de signe) pour ceux qui en bénéficieront. Alors seulement, l'Evangile aura été porté aux petits.

Michel Berhin

Notes :
R' Atelier



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