Le Pacte des Catacombes reste d’actualité
Edouard Brion
Publié dans Bulletin PAVÉS n°33 (12/2012)
Ce fameux pacte, conclu, dit-on, à la fin du concile Vatican II, continue à faire parler de lui. Il était évoqué, en mars 2011, à l’occasion de la mort du théologien belge Joseph Comblin[1]. Il circule sur le web et est consultable sur le site de Pax Christi Italie. Le numéro d’octobre de Stimmen der Zeit s’y réfère aussi, en des termes surprenants, comme on verra plus loin.
Si ce pacte suscite toujours de l’intérêt, ce n’est pas simplement comme souvenir du concile Vatican II, c’est aussi parce que son inspiration rejoint le moment présent. À supposer, bien sûr, qu’il y ait vraiment eu un tel pacte. À la lecture des documents d’époque, il y a des précisions à apporter. C’est un premier point à régler.
Pour le Père Paul Gauthier[2], protagoniste principal, on se trouve devant deux événements distincts, mais convergents : une célébration aux catacombes romaines et une liste de résolutions[3].
D’une part, lors de la quatrième session du Concile, le 16 novembre 1965, une quarantaine de pères conciliaires se sont réunis aux catacombes de Domitille à l’invitation de l’évêque de Tournai, Charles-Marie Himmer. Par cette messe concélébrée ils voulaient implorer la grâce de la fidélité à l’Évangile et aux pauvres. Il ne s’est pas agi d’un quelconque pacte[4].
D’autre part, quatre jours avant le 6 décembre qui marquera la fin du Concile, un texte de résolutions, veillant à promouvoir plus de pauvreté dans l’Église et à assurer une présence plus active de l’Église aux pauvres, est présenté à la presse par Dom Helder Camara. De son côté, le Père Gauthier le distribuait aux évêques.
Première remarque : rien n’indique dans cette lettre, que ces résolutions furent formulées et prises lors de la concélébration.
Ensuite, plusieurs questions restent à clarifier. Qui a rédigé ce texte ? Pour la revue Frères du monde de décembre 1965, c’est le Père Gauthier. Pour celui-ci et Marie-Thérèse Lacaze, présente à Rome avec lui, c’est Grégoire Haddad, l’évêque grec melkite de Beyrouth[5]. Il aurait été « complété et approuvé par plusieurs évêques et cardinaux », sans aucune autre précision[6]. Le nom de Dom Helder Camara a été souvent cité comme à son origine, du fait qu’il l’a présenté à la presse. Il faut dire que sa figure se détachait nettement par rapport aux autres évêques du groupe du Père Gauthier, en particulier ceux d’Amérique Latine : Larrain (Talca, Chili), Da Mota e Albuquerque (Vitoria, Brésil), Tavora (Aracaju, Brésil), Golland Trinidade (Botucatu, Brésil), Botero Salazar (Medellin, Colombie). En fait, on y trouve le résultat du travail du groupe et d’enquêtes faites avant le Concile, ce qui relativise l’importance de la question du nom de l’auteur.
Autre problème, ces résolutions impliquaient-elles un accord signé en bonne et due forme ? Ici, Gauthier souffle le chaud et le froid. D’un côté, pour lui, il n’est pas question de signatures : « Ce texte fut adressé à tous les Pères, non pour une signature ni un engagement public, mais pour une méditation et un engagement de conscience. Il ne s’agit que de suggestions dont la mise en application doit être considérée suivant les circonstances et les lieux[7] ». Dans le même ouvrage, il fait mention de soixante évêques du "Tiers-Monde" comme signataires[8]. Ailleurs, il affirme que « quelques (sic) 300 pères conciliaires » le signèrent[9].
De tout ceci, on peut affirmer qu’il n’y a jamais eu au sens strict de pacte aux catacombes. Ce terme peut néanmoins servir à symboliser toute la recherche effervescente autour de la pauvreté qui s’était mise en route au concile, notamment dans ce groupe, mais aussi plus largement, et qui trouvera son aboutissement surtout en Amérique latine et dans la théologie de la libération, les communautés de base et l’option pour les pauvres (« préférentielle, prioritaire, non exclusive… »).
Le numéro d’octobre dernier de la revue Stimmen der Zeit a cru reconnaître un prolongement inattendu et exemple significatif de ce pacte des catacombes « conclu par environ 40 évêques le 16 novembre 1965 ». Ce fut à l’occasion de certains propos récents du pape lors de sa visite en Allemagne l’année dernière. Le 25 septembre 2011, dans la salle de concert de Fribourg-en-Brisgau, Benoît XVI s’est adressé aux catholiques engagés, estimant qu’il est opportun de se retirer de ce qu’il y a de "mondain" dans l’Église. « En un certain sens, l’histoire vient en aide à l’Église à travers les diverses périodes de sécularisation, qui ont contribué de façon significative à sa purification et à sa réforme intérieure. En effet, les sécularisations – que ce soient l’expropriation des biens de l’Église ou l’abolition des privilèges ou de choses semblables – ont chaque fois signifié une profonde libération de l’Église des formes de "mondanité" : elle se dépouille, pour ainsi dire, de sa richesse terrestre et elle revient embrasser pleinement sa pauvreté terrestre… L’histoire montre que plus l’Église est "démondani-sée", plus son témoignage resplendit. »[10]. Il n’empêche que le rapporteur général du synode sur la nouvelle évangélisation, le cardinal états-unien, Donald William Wuerl, archevêque de Washington, voyait dans cette sécularisation un « tsunami qui a lessivé le monde occidental dans les années 1970 et 1980 ». Il serait bon d’accorder ses violons.
Quoi qu’il en soit, ce pacte des catacombes, événement qui n’a jamais eu lieu au sens strict, a pu et peut toujours avoir un impact important et inattendu ! La petite semence n’aurait-elle pas été étouffée par la pierre des soucis matériels de l’institution mais continuerait-elle à la soulever ?
Charleroi, novembre 2012
Le Pacte des Catacombes
« Nous, évêques réunis au Concile Vatican ; ayant été éclairés sur les déficiences de notre vie de pauvreté selon l’Évangile ; encouragés les uns par les autres, dans une démarche où chacun de nous voudrait éviter la singularité et la présomption ; unis à tous nos frères dans l’Épiscopat ; comptant surtout sur la force et la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, sur la prière des fidèles et des prêtres de nos diocèses ; nous plaçant par la pensée et la prière, devant la Trinité, devant l’Église du Christ, devant les prêtres et les fidèles de nos diocèses, dans l’humilité et la conscience de notre faiblesse mais aussi avec toute la détermination et la force dont Dieu veut bien nous donner la grâce, nous nous engageons à ce qui suit :
1. Nous essaierons de vivre selon le mode ordinaire de notre population en ce qui concerne l’habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s’ensuit. Cf. Mt 5,3 ; Mt 6,33s ; Mt 8,20.
2. Nous renonçons pour toujours à l’apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse (ces signes doivent être en effet évangéliques). Cf. Mc 6,9 ; Mt 10,9s ; Actes 3,6. Ni or ni argent.
3. Nous ne posséderons ni immeubles, ni meubles, ni comptes en banque, etc., en notre propre nom ; et s’il faut posséder, nous mettrons tout au nom du diocèse, ou des œuvres sociales ou caritatives. Cf. Mt 6,79-21 ; Lc 12,33s.
4. Nous confierons, chaque fois qu’il est possible, la gestion financière er matérielle, dans nos diocèses, à un comité de laïcs compétents et conscients de leur rôle apostolique, en vue d’être moins des administrateurs que des pasteurs et apôtres. Cf. Mt 10,8 ; Actes 6,1-7.
5. Nous refusons d’être appelés oralement ou par écrit des noms et des titres signifiant la grandeur et la puissance (Éminence, Excellence, Monseigneur). Nous préférons être appelés du nom évangélique de Père.
6. Nous éviterons dans notre comportement, nos relations sociales, ce qui peut sembler donner des privilèges, des priorités ou même une préférence quelconque aux riches et aux puissants (par exemple par des banquets offerts ou acceptés, par des services religieux). Cf. Lc 13,12-14 ; 1 Cor 9,14-19.
7. Nous éviterons d’encourager ou de flatter la vanité de quiconque en vue de récompenser ou de solliciter les dons, ou pour toute autre raison. Nous inviterons nos fidèles à considérer leurs dons comme une participation normale au culte, à l’apostolat et à l’action sociale. Cf. Mt 6,2-4 ; Lc 15,9-13 ; 2 Cor 12,4.
8. Nous donnerons tout ce qui est nécessaire de notre temps, réflexion, cœur, moyens, etc., au service apostolique et pastoral des personnes et des groupes laborieux et économiquement faibles et sous-développés, sans que cela porte préjudice aux autres personnes et groupes du diocèse. Nous soutiendrons les laïcs, religieux, diacres ou prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers en partageant la vie ouvrière et le travail. Cf. Lc 4,18s ; Mc 6,4 ; Mt 11,4s ; Actes 18,3s ; 20,33-35 ; 1 Cor 4,12 t 9,1-27.
9. Conscients des exigences de la justice et de la charité et de leurs rapports mutuels, nous essayerons de transformer les œuvres de « bienfaisance » en œuvres sociales basées sur la charité et la justice qui tiennent compte de tous et de toutes les exigences, comme un humble service des organismes publics compétents. Cf. Mt 25,31-43 ; Lc 13,12-14.33s.
10. Nous mettrons tout en œuvre pour que les responsables de notre gouvernement et de nos services publics décident et mettent en application les lois, les structures et les institutions sociales nécessaires à la justice, à l’égalité et au développement harmonisé et total de tout l’homme chez tous les hommes et par là l’avènement d’un autre ordre social, nouveau, digne des fils de l’homme et des fils de Dieu. Cf. Actes 2,44s ; 4,32-35 ; 5,4 ; 2 Cor 8 et 9 ; 1 Tim 5,16.
11. La collégialité des évêques trouvant sa plus évangélique réalisation dans la prise en charge commune des masses humaines en état de misère physique, culturelle et morale – les 2/3 de l’humanité – nous nous engageons :
- à participer, selon nos moyens, aux investissements urgents des épiscopats des nations pauvres ;
- à demander ensemble, au niveau des organismes internationaux, en témoignant toujours de l’Évangile, comme l’a fait le pape Paul VI à l’ONU, la mise en place de structures économiques et culturelles qui ne fabriquent plus de nations prolétaires dans un monde de plus en plus riche, mais permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère.
12. Nous nous engageons à partager dans la charité pastorale notre vie avec nos frères dans le Christ, prêtres, religieux et laïcs, pour que notre ministère soit un vrai service ; ainsi :
- nous nous efforcerons de « réviser notre vie » avec eux ;
- nous susciterons des collaborateurs pour être davantage des animateurs selon l’Esprit, que des chefs selon le monde ;
- nous chercherons à être plus humainement présents, accueillants ;
- nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion ;
Cf. Mc 8,34s ; Actes 6,1-7 ; 1 Tim 3,8-10.
13. Revenus dans nos diocèses respectifs, nous ferons connaître à nos diocésains notre résolution, les priant de nous aider par leur compréhension, leur concours et leurs prières.
Que Dieu nous aide à être fidèles. »
Edouard Brion (Mouvement Chrétien pour la Paix)
Source (français) : Informations catholiques internationales, 1er janvier 1966.
Texte revu par Dial en comparant avec la version espagnole.
Source (espagnol) : Adital, 9 mars 2010.
[1] Bulletin du CIL, Sillages, mai-juillet 2011, p. 3.
[2]Paul Gauthier (1914-2002), prêtre du diocèse de Dijon, prêtre ouvrier à Nazareth et fondateur des Compagnons et compagnes de Jésus charpentier. Initiateur et cheville ouvrière du groupe d’évêques dits du Collège belge à Rome. Voir Denis PELLETIER, « Une marginalité engagée : le groupe “Jésus, l’Église et les pauvres„ » dans M. LAMBERIGTS, Cl. SOETENS et J. GROOTAERS (dir.), Les commissions conciliaires à Vatican II, Leuven, 1996.
[3] Paul GAUTHIER, L’évangile de justice, Paris, Cerf, 1967, p. 223.
[4] Ibid. p. 222. Dans ses souvenirs, Himmer ne fait pas non plus mention d’un pacte ; les participants étaient une cinquantaine (Interview dans La Foi et le Temps, 1987/5, p. 457).
[5] Paul GAUTHIER, « Et le voile se déchire », Paris, L’Harmattan, 1990, p. 60. Marie-Thérèse LACAZE, La fin des terres promises, Paris, Syros, 1980, p. 42.
[6] Paul GAUTHIER, L’évangile de justice, p. 223.
[7] Ibid. p. 223.
[8] Ibid. p. 80.
[9] « Et le voile… », p. 60. Aussi LACAZE : « Un évêque sur dix signa cet engagement » (p. 42).
[10] Thomas FORNET-PONSE, Für eine arme Kirche ! Die Katakombenpakt von 1965 als Beispiel der Entweltlichung; dans Stimmen der Zeit, octobre 2012, pp. 651-661, texte cité : pp. 651-652.
Texte du discours papal : in La Documentation Catholique, 6 novembre 2011, n° 2477, pp. 957-959.