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Un Grand Cru de Joseph MOINGT

Esprit, Église et monde. De la foi critique à la foi qui agit

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°50 (3/2017)

En prenant de l’âge, un vin s’aigrit ou bonifie. Vinaigre ou boisson suave qui réjouit le coeur de l’homme (Ps 103) ?

Pour le livre de Joseph Moingt[1], il conviendrait de parler d’un nectar de tout premier choix.

L’auteur est né le 19 novembre 1915 !  Un théologien centenaire ! Une théologie dense, d’une densité comparable à un vin de grande qualité, qui ne peut que réjouir le cœur du croyant… en recherche !

Le grand mérite de Joseph Moingt est d’inviter les chrétiens à oser exprimer leur foi de manière intelligible et intelligente pour fonder leur manière de vivre dans le monde. Tout est contenu dans le sous-titre : De la foi critique à la foi qui agit. Une démarche audacieuse qui invite à un décryptage de La vie de la foi dans le temps de l’Eglise. C’est le premier parcours qui nous est proposé. Un deuxième parcours s’intéresse à L’agir chrétien dans le monde présent.

Vouloir résumer l’œuvre relève de la quadrature du cercle. Il vaut mieux choisir itinéraire et étapes pour approcher la pensée de Joseph Moingt. En effet, lire son œuvre en une seule étape, de la première à la cinq cent vingtième page est une épreuve de longue haleine. Il faut choisir, picorer, s’arrêter, respirer, reprendre.

C’est donc une lecture de « morceaux choisis » qui vous est présentée ici, choisis dans la mesure où ils peuvent venir donner sens, redonner sens, voire dénoncer certaines des conceptions courantes ou pratiques religieuses qui balisent la vie chrétienne aujourd’hui.

Dans le premier parcours qui s’intéresse à La vie de la foi dans le temps de l’Eglise, JM s’arrête aux quatre caractères essentiels qui permettent de cerner l’identité chrétienne : baptisés dans l’Esprit, engendrés par l’Evangile, Nourris du même pain, Pour former un seul corps.

En se replongeant dans les textes d’origine, on perçoit assez vite que Jésus n’a jamais cherché à fonder une nouvelle religion. Il n’a créé aucun rite, ni baptismal, ni eucharistique consécratoire. Il n’a « ordonné » personne, il n’a pas créé une hiérarchie en conférant un pouvoir spirituel et cultuel à des clercs qui seraient chargés de dispenser des moyens de salut aux membres du peuple, les laïcs.

Dans les évangiles, quand Jésus parle du baptême, il le fait au sujet de sa mort. Pour lui, être baptisé, c’est donner sa vie. L’invitation à baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, que l’on trouve à la fin de l’évangile de Matthieu, est une conclusion théologique qui ne figure nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, et certainement pas dans la bouche de Jésus.

Et lorsque Jean le Baptiste dit : « Moi je baptise dans l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint »[2], il veut clairement signifier que le baptême, pour Jésus, consiste à se mettre à sa suite. Ce n’est pas un rite à l’efficacité réelle ou virtuelle.

On est situé dans l’ordre de l’acquiescement, du oui, de l’engagement personnel du converti à suivre l’enseignement évangélique. Être baptisé, c’est choisir de se laisser inspirer par l’esprit de Jésus dans toute sa vie. Il s’agit d’accepter de se mettre en route dans la nouveauté de l’Evangile qui se définit comme « une loi de liberté où l’on passe du critère de la Loi à celui de l’amour »[3], un passage du temps des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie »[4]. C’est aussi une « loi de fraternité et d’égalité ». Le point de mire de la révélation du Christ, c’est la fraternité universelle, au-delà de toute religion[5].

A propos du baptême du nouveau-né, JM parle d’avatar « puisqu’il réussit à éliminer toute subjectivité et à faire dépendre son efficacité de la seule objectivité de son dispositif, des paroles et des gestes qui constituent le sacrement en tant qu’appareil de production » [6]. En effet, le baptême à la naissance évacue l’acte de conversion personnelle.

Jésus n’a pas créé de rite eucharistique consécratoire !

La « fraction du pain » veut marquer la volonté des disciples de communier au don de la vie du Christ pour s’en inspirer dans leur propre vie. Cette volonté se concrétise dans le partage d’un repas, attitude fondamentale pour marquer la fraternité ou l’amitié[7].

L’Eucharistie est le geste fort qui veut marquer la vérité du Royaume : « … au 1ier siècle, bien avant l’implantation d’un ministère sacerdotal, une communauté chrétienne n’est pas concevable sans la pratique de l’eucharistie, et le critère de vérité de cette pratique est l’unité fraternelle de ses membres. Il en est ainsi parce qu’elle n’est pas imposée par une autorité religieuse ni par un texte sacré, mais par le testament de Jésus colporté de bouche à oreille : mettez-vous et restez ensemble, vous qui croyez en moi, quelle que soit votre origine ou votre condition…[…]. L’eucharistie n’est pas l’injonction d’un culte dû à Dieu, c’est un message de réconciliation et de fraternité universelles qui fait et proclame la vérité du Royaume que Jésus annonçait, dans lequel il nous précède et auquel il nous attire. »[8]

Ainsi, la Cène nous rappelle les nombreux repas partagés par Jésus avec ses amis, attitude qui lui valut d’être réputé « glouton »[9] mais qui voulait surtout signifier la préférence de Dieu pour la miséricorde plutôt que les sacrifices. Un Dieu affamé d’humanité !

« Tel est le sens de l’eucharistie, désacralisé mais devenu plus spirituel en étant humanisé. »[10]

Cette désacralisation ne fait pas l’impasse sur une volonté sacrificielle du Christ, puisque celle-ci n’a jamais existé. En effet, « Nombre de chrétiens, s’instruisant auprès des savants biblistes apprennent que Jésus n’avait jamais pensé que sa mission était de mourir en victime expiatoire des péchés des hommes, mais de témoigner de l’amour et du pardon de Dieu ; qu’il n’avait jamais commencé à annoncer sa mort qu’après avoir compris jusqu’où irait l’hostilité des gardiens du temple à son égard, qu’il ne s’y était pas dérobé, mais n’avait pas cherché à lui donner une valeur sacrificielle, alors même qu’il ne comprenait plus le dessein de Dieu sur lui ; qu’il n’avait jamais pourtant douté que Dieu l’arracherait à la mort pour qu’il ouvre les portes du royaume à ceux qui auraient cru à sa mission. »[11]

Si Paul, les apôtres et les évangélistes ont interprété la mort de Jésus dans un sens rédempteur et sacrificiel, c’est qu’il réfléchisse dans une « perspective patriarcale »[12] où le culte judaïque et les religions anciennes ne cessent de proclamer la valeur du sacrifice : « Toute offense exige réparation, car la société s’effondre si l’autorité établie n’y est pas respectée ; Jésus a donc accepté, librement, de payer notre dette envers Dieu qui l’a envoyé nous en libérer. »[13]

Quant à la distinction clergé-laïcat, JM souligne le fait qu’aux premiers siècles, il n’y a pas d’ordination de prêtres : « Le Nouveau Testament ne connait qu’un seul sacerdoce, commun à tous les chrétiens, qui a été l’unique base de la vie de l’Eglise dans les deux premiers siècles de son existence, et qu’un sacerdoce consacré au culte a été institué au IIIe siècle dans l’oubli complet du sacerdoce commun à tous les baptisés, à qui le nouveau venu a coupé la parole et supprimé toute activité. Il s’est ensuivi un grave déséquilibre dans la vie de l’Eglise, auquel l’Esprit Saint a suppléé en continuant à inspirer un esprit contestataire, mais qui a du mal à se faire entendre sans être accusé de rébellion. » [14]

            Dans le second parcours, intitulé « L’agir chrétien dans le monde présent ou l’annonce de l’Evangile », JM tente de définir un témoignage de l’Evangile au service du monde.

Il invite à faire référence à plus compétent que lui dans les différents domaines de la vie sociale[15] en préférant se centrer sur la forme d’Eglise à mettre en chantier pour une annonce de l’Evangile ajustée au monde d’aujourd’hui : « En quoi la vie sociale des chrétiens en Eglise détermine-t-elle leur appartenance à la société humaine ; ce sera le seul aspect de l’agir chrétien dans le monde que j’aborderai. »[16]

JM commence par un plaidoyer pour l’autonomie des communautés dans la prise en charge de l’évangélisation de leur milieu de vie : « Quand apparaitront (au IIIe siècle) des fonctions intégrées à une hiérarchie et réservée à des ministres ordonnés, elles feront valoir leur légitimité en montrant qu’elles découlent de la même filière apostolique où elles étaient exercées, au ‘commencement’ : -- l’autorité épiscopale, par le maître ou (assez souvent) la maitresse de maison qui recevait chez lui ou chez elle la petite communauté chrétienne, -- la fonction ministérielle, par un ‘ancien’ ou une ‘diaconesse’ délégué(e) à cet office par sa communauté (parfois au moyen d’une imposition des mains qui signifiait à l’origine une délégation d’autorité et non un pouvoir sacré). Telle est la raison fondamentale – au sens où elle touche au fondement même de leur autorité apostolique – qui oblige les évêques et les prêtres de notre temps à reconnaitre le droit des communautés chrétiennes qui le désirent de pourvoir par elles-mêmes à l’évangélisation du lieu où elles sont établies, à la formation des catéchumènes et à leur acheminement vers le baptême. La vraie « autorité » de l’évêque à l’égard d’une communauté à laquelle il doit reconnaitre la « sainteté » d’être corps du Christ, c’est de lui fournir toute l’aide possible à l’exercice de sa vocation évangélique. » [17]

JM insiste sur l’importance de la liberté du chrétien : pour l’efficacité de l’annonce de l’Evangile au monde,  les chrétiens « doivent se présenter à leurs contemporains en personnes parfaitement libres, […] partir de l’Evangile et non se cantonner dans l’enseignement de l’Eglise ni de ses rites et préceptes ni de sa constitution. Il importe de ne pas confondre formation à la foi et apprentissage de la religion. »[18]

JM souligne encore combien il serait salutaire que les petites communautés s’autorisent des expérimentations dans l’accueil de tous les marginaux comme les couples en difficulté, les divorcés, les couples remariés, les familles recomposées, décidant en conséquence de leur ouvrir ou non leurs célébrations eucharistiques.

Il insiste encore sur la légitimité des eucharisties « domestiques » célébrées par de petites communautés, car l’eucharistie rend présent le « corps du Christ » que constitue une communauté de disciples unis entre eux comme les membres d’un même corps : « Ce qui est essentiel à l’idée d’Église corps du Christ, c’est précisément d’être un corps social, dont la socialité ne résulte pas d’un simple découpage territorial, ni seulement d’actes cultuels, mais des liens actifs qui relient ses membres les uns aux autres. »[19]

Il y a urgence à retrouver la notion de « corps du Christ », une communauté unie, sans distinction clergé-laïcat : « L’Église doit retrouver sa visibilité de corps du Christ qui appartient à son essence et qu’elle manifestait dans ses origines apostoliques par la célébration du repas du Seigneur, et elle doit pour cela cesser de s’exhiber au monde sous la forme divisée, d’une part, d’un corps de ministres semblablement ordonnés et structurellement hiérarchisés et unifiés, et, d’autre part, d’une multitude de gens passifs et muets. »[20]

À propos de l’autorité dans l’Église, JM souligne combien Jésus à demandé à ses disciples de ne pas se comporter comme des maîtres ou des puissants, mais comme des serviteurs : « L’Église ne peut annoncer l’Évangile sans se présenter au monde en modèle d’humanité fraternelle, affranchie par Jésus des marques de division et d’inégalité qui défigurent tant de sociétés. Et là se pose le problème de sa ‘constitution hiérarchique’. »[21]

Et JM de conclure par un appel au renouveau qui ne peut venir que de la base de l’Église : « C’est le peuple entier qui est chargé d’annoncer l’Évangile, d’où dépend la vie de l’Eglise. Elle doit donc mettre en œuvre le sacerdoce du peuple de Dieu en invitant les laïcs à s’organiser entre eux pour jeter partout à l’entour des semences d’Évangile. »[22]

 

Ceci n’est qu’une approche, un  survol d’une œuvre magistrale.

Le lecteur comprendra très vite qu’un tel langage suscite des réactions en sens divers, allant de l’enthousiasme à l’allergie. Allergie de la part de ceux qui se sentent ébranlés dans leur statut de clerc ou dans un certain confort spirituel mis à mal par des questions dérangeantes. Il est vrai que beaucoup de nos balises catholiques traditionnelles sont remises en cause !  Mais n’est-ce pas le chemin pour progresser dans une foi personnelle ? En effet : « L’invitation à croire commence par le récit d’une histoire du salut à transmettre, dépouillée de son enveloppe mythologique et dogmatique, dans les termes de la vérité de l’histoire de Jésus et de ses apôtres, qui appelle les hommes de notre temps à sortir de la tradition religieuse et sociale dans laquelle ils ont été élevés, à s’ouvrir à une vie nouvelle, reconstruite sur la base du commandement de l’amour des autres dont Dieu avait embrasé son cœur. »[23]

 

Si vous êtes sensibles à l’avènement d’un Autre Visage d’Eglise et de Société, vous serez enthousiasmés par une telle approche !

Une lecture qui demande du temps. Mais n’y a-t-il pas un temps pour tout, comme le dit Qohélet ?

 



Philippe Liesse

Notes :

[1] MOINGT Joseph, Esprit, Église et monde. De la foi critique à la foi qui agit, Gallimard, 2016

[2] Marc 1, 8.

[3] 1 Jn 3, 23

[4] 1 Jn 2, 7-8

[5] JM, p. 108

[6] JM. p.58

[7] D’où le mot « copain », cum pane, celui avec qui on partage le pain !

[8] JM. p. 128

[9] Matth. 11, 19

[10] JM. p. 134

[11] JM pp. 131-132

[12] JM. p. 388

[13] JM. p. 374

[14] JM. p. 220

[15] JM. p. 429

[16] JM. p. 460

[17] JM. p. 462

[18] JM. p. 459

[19] JM. p. 465

[20] idem

[21] JM. p. 483

[22] JM. p. 512

[23] JM. p. 234



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