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Retour au pays

Jean Peeters
Publié dans Bulletin PAVÉS n°47 (6/2016)

Au mois de juin 2015, j’ai eu la chance extraordinaire de faire un séjour de trois semaines à Boma, où j’avais travaillé pendant une bonne vingtaine d’années. L’objectif était de faire une « mise à jour » de ma tête, en vue de la réédition de deux livres. Je me dois de partager quelques découvertes.

Développement des villes

Ce qui m’a frappé dès l’arrivée, c’est le développement extraordinaire des villes. Électricité malgré les délestages réguliers, la multiplication des points d’eau, certaines grandes avenues à l’intérieur des villes comme Kin, Matadi, Boma sont bétonnées, avec écoulement des eaux, de nombreuses nouvelles et belles constructions, de nombreuses façades décorées... Mais ce qui dépasse tout entendement, c’est l’extension des villes et des cités le long des grands axes. A 35 km du centre de Kin, les routes restent toujours encombrées et bordées d’une multitude d’échoppes. Les collines à l’approche de Matadi, Boma et les cités du Mayumbe sont méconnaissables : des essaims de maisonnettes sans routes et bien souvent sans eau ni électricité.

Des véhicules dans tous les sens, des transports en meilleur état qu’il y a 20 ans, une multitude de taxis et de motos taxis en relativement bon état ; mais surtout, des foules de gens qui se pressent dans tous les sens : Père, si on ne bouge pas, on meurt de faim. Et c’est vrai, car ici, à part quelques privilégiés qui ont un travail fixe et bien rémunéré, pour la plupart des travailleurs, le salaire suffit à peine à faire vivre la famille pendant une semaine. Et donc, pour tous, il n’y a que la débrouillardise qui permet de vivre, tous les trottoirs dans les villes sont occupés par des échoppes : principalement vente de légumes, feuilles de laurier, ail, tomates, oignons… mais aussi, absolument tout ce que vous trouvez dans un super marché : du papier toilette aux casseroles, du savon à des chaises ou des tournevis, chasses d’eau, etc…

Délabrement à l’intérieur du pays

Mais le plus choquant, c’est la détérioration hors des grandes villes. Dès que vous quittez les grands axes, vous êtes 30 ou 50 ans en arrière, on dirait que rien n’a changé : mêmes maisonnettes en terre, difficultés pour puiser l’eau à la source, mais surtout, état déplorable des routes, depuis que bien des entreprises ont abandonné la région. C’est ainsi que beaucoup d’habitants délaissent le village et viennent s’agglutiner dans les cités et les villes, car il est devenu extrêmement difficile de sortir la production agricole des villages à cause de l’état des routes, et donc, il n’y a plus d’argent pour vivre.

Ainsi, dans la paroisse de Kilengi (60 km d’un axe routier) le médecin du petit dispensaire/maternité me disait qu’il ne resterait en poste qu’un ou deux ans grand maximum. En effet, n’étant pas payé par l’État, il était obligé de maintenir les patients dans les locaux jusqu’à ce qu’ils paient les frais, mais souvent, ces derniers s’enfuyaient après une semaine de séquestration ! Et, selon ce que me disaient des amis, la situation est la même, si pas pire dans tout le pays.

Petites lueurs

Des mutuelles de santé recommencent à exister, mais ne peuvent être efficaces que dans les grands centres, car pour bénéficier des avantages, il faut se rendre dans les quelques centres de santé reconnus par ces mêmes mutuelles. Ce sont principalement les groupes constitués qui cotisent : enseignants, militaires, administratifs, avocats… À l’intérieur, beaucoup de médecins ont installé un petit dispensaire. Ce qui est une grande aide pour la population, mais au détriment des grands hôpitaux traditionnels qui sont appelés à se spécialiser s’ils veulent survivre : ophtalmologie, revalida-tion… De plus, des actes médicaux tels que césarienne, appendicite, hernie… y sont pratiqués, souvent dans des conditions douteuses en entraînant des conséquences fâcheuses.

Une toute petite classe moyenne commence à naître dans certaines cités et les villes, mais la majorité de la population vit au jour le jour dans la débrouillardise. Le nombre d’ONG augmente également, mais elles sont confrontées à des difficultés que les donateurs occidentaux n’auraient jamais imaginées : panne de courant qui met le congélateur hors circuit, pluies torrentielles qui ont détruit le pont, maladie imprévue, état des routes… De plus, une multitude d’ONG locales fleurissent partout, mais il semble qu’approximativement un tiers à peine consacrent + de 50 % du budget aux objectifs déclarés !

Église - Évangile

La crise économique et sociale que traverse le pays pour le moment, ainsi que les croyances ancestrales sont le terrain favorable pour la multiplication de sectes, de prédicateurs de toutes sortes. Certains parlent même d’une véritable industrie du démon et des ndoki (sorciers). Un véritable fléau qui mine la société à cause des accusations multiples. Le phénomène des enfants sorciers chassés de chez eux et limité au siècle dernier à la culture Luba au Kasaï  envahi tout le pays. Une nouvelle loi permet de dénoncer ces pratiques, mais…. Cette loi n’est pratiquement pas connue.

L’Église a développé partout les « Communautés Ecclésiales Vivantes de Base » avec des succès selon les lieux et les personnes. Mais il ne faut pas se faire d’illusion, la ‘base’, c’est la base de « l’institution église », ce n’est pas vraiment la base d’un Évangile vécu dans la vie quotidienne. Il m’a semblé même que la fréquentation du dimanche stagne ou même semble reculer : multiplication des sectes, dépit vis-à-vis de l’institution Église et peut-être vis-à-vis de la fonction sacerdotale qui est une véritable promotion sociale.

Par contre, j’ai été frappé par ce que j’appellerai « un évangile vécu sans le savoir », ou des « pratiquants évangéliques ». À la cité, j’ai été témoin de plusieurs événements dans lesquels des amis s’étaient impliqués d’une manière réellement évangélique, mais sans aucune référence explicite à l’évangile ni à la foi chrétienne. Ce sont des personnes qui, plus jeunes, fréquentaient l’église et les mouvements chrétiens, et qui à présent ont tout déserté, tout en fréquentant parfois des « groupes de prière », là où on peut prendre la parole. Mais dans leur vie de tous les jours, ce sont de vrais « pratiquants ».

Mais ce qui est remarquable avant tout, c’est le courage et la bonne humeur d’une population, de lutteurs, avec une devise immuable : ici, à part ce qui ne va pas, tout va très bien !


Jean Peeters


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