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Utopie : 1516-2016

Jacqueline De Cat - Hansen
Publié dans Bulletin PAVÉS n°46 (3/2016)

Cela ne vous aura sans doute pas échappé, cette année 2016 marque le 500e anniversaire de la publication à Louvain de l’œuvre célèbre de l’anglais Thomas More, L’Utopie. Cette célébration donne lieu à une série d’initiatives de grand intérêt.

C’est à son ami Érasme que More envoya de Londres le texte en latin de L’Utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement. Et leur ami commun, l’Anversois Pierre Gilles à qui L’Utopie est dédiée, se chargea de l’édition et de la première impression chez Thierry Martens à Louvain.

Le succès fut immédiat, les éditions se succédèrent, bientôt les traductions aussi, et le retentissement de cette œuvre surprenante s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui.

Avec Érasme et More, mais aussi Gilles et Martens, nous sommes chez des érudits humanistes de la Renaissance. Ils pratiquent avec aisance le latin et le grec, lisent les auteurs de l’Antiquité. L’humanisme a remis les auteurs anciens à l’honneur avec esprit critique, l’imprimerie qui sort de l’enfance les diffuse. L’effervescence intellectuelle qui en résulte ne reste pas cantonnée dans les bibliothèques, elle participe aux grands bouleversements de l’époque, sur tous les plans. À grands traits, plus de place est faite à l’homme, au développement de ses capacités, tant intellectuelles et artistiques que morales, à sa soif de connaissance, au retour aux sources, au libre arbitre, à la tolérance. Érasme et More défendent un humanisme chrétien.

Un mot sur Thomas More. Né à Londres en 1478, grand lettré, More est poussé par son père à faire des études de droit. Il est élu au Parlement en 1504. Il se marie, a quatre enfants. Il obtient le poste de juge municipal de Londres, puis entre à contrecœur au conseil privé du roi Henri VIII, et mène des missions diplomatiques en France et aux Pays-Bas, ce qui lui permettra d’y fréquenter les universités. Au contact de moines, il acquiert une bonne connaissance de la Bible. Après avoir reçu d’autres honneurs et charges importantes, il est nommé en 1529 Chancelier d’Angleterre – l’équivalent de Premier ministre. Adversaire des réformateurs anglais, il dénonce ce qui est pour lui hérésie dans plusieurs écrits. Quand le Pape ne veut pas reconnaître le remariage d’Henri VIII avec Anne Boleyn, More refuse de signer le serment reconnaissant le roi comme chef spirituel de l’église d’Angleterre. Accusé de haute trahison, il est décapité en 1535. Il sera béatifié en 1886, et canonisé en 1935.

En 1509, Érasme avait dédié à Thomas More son Éloge de la folie. Clin d’œil à son ami More : « moria » en grec signifie « folie ». Il y donne la parole à la Folie personnifiée qui mène le monde (comment ne pas penser à l’air de Brel « Salut à toi, Dame Bêtise, toi dont le règne est méconnu » !). Ce procédé permet à Érasme une satire comique et vitriolique de la société de son temps.

En 1516, Thomas More rédige en retour un pendant à ce livre d’Érasme : il imagine un lieu dirigé par la sagesse, qu’il nomme Utopia, nom forgé sur le grec « ou – topos », un « pas de lieu », un lieu qui n’existe nulle part. C’est d’ailleurs à More que nous devons ce mot « utopie », entré dans l’usage avec un sens un peu différent : société idéale imaginaire, rêve irréalisable…

Le livre est construit en deux parties. Le livre premier raconte de façon apparemment autobiographique la rencontre aux Pays-Bas de More avec Pierre Gilles qui lui présente le Portugais Raphaël Hythlodée – s’ancrant ainsi dans le monde réel. Hythlodée raconte qu’il a voyagé avec le navigateur Amerigo Vespucci dans le Nouveau Monde, et est resté cinq ans dans un pays lointain, sur l’île d’Utopie. More greffe ainsi sa fiction sur le récit de Vespucci, si célèbre alors, où celui-ci raconte qu’à son quatrième voyage, il a laissé sur la côte d’Amérique du Sud vingt-quatre hommes dont on n’a plus de nouvelles. Hythlodée raconte son aventure aux deux amis, curieux des mœurs et coutumes d’Utopie.

À Gilles qui lui dit qu’avec cette expérience, il pourrait devenir conseiller du roi, Hythlodée refuse et répond par une longue anecdote qui montre comme ses jugements ont été mal reçus en Angleterre : il raconte que, lors d’un dîner, quelqu’un a fait l’éloge de la justice d’alors et de la terrible façon de réprimer le vol. Hythlodée l’a contredit, en montrant comment on crée par les guerres, les taxes, l’accaparement des terres, une situation où ceux qui en sont victimes ne peuvent plus que voler pour vivre, et qu’alors, le système pénal les met à mort. Il a montré qu’il y a d’autres manières de procéder, mais sans convaincre. Ce long développement offre un effrayant tableau sur la situation anglaise. Quand les sociétés coincées se révèlent incapables de répondre à leurs défis, de se réformer et de proposer une bonne gouvernance, peut-être faut-il chercher ailleurs un modèle inédit ?

Le livre second est tout entier consacré à décrire l’île d’Utopie et ses institutions. Un monde en paix, parfaitement égalitaire, où tous participent aux décisions de l’État, où tous travaillent six heures par jour dans l’agriculture, prennent leurs repas en commun et vivent simplement, où il n’y a pas de propriété privée ni d’usage de l’argent – l’or est utilisé à fabriquer les pots de chambre ! – où l’éducation est donnée à tous. La liberté des croyances règne, du moment qu’on n’est pas athée.

Les lois sont peu nombreuses et simples, les méfaits sont punis de façon éducative. Les rares prêtres sont élus. On soigne les malades, mais on propose l’euthanasie dans les cas incurables. Le divorce est admis. Il y a des esclaves, même s’ils sont bien traités, et s’ils peuvent espérer recouvrer leur liberté. La guerre est évitée par tous les moyens, même si elle est déléguée à d’autres peuplades quand il faut se défendre, et on préfère toujours la négociation au conflit. On profite des savoirs étrangers, car en Utopie, on admet d’être perfectible. Le personnage More apprécie bien des choses de la république utopienne, mais pas tout.

J’avais choisi de lire l’Utopie sans autre méthode que d’aller y voir moi-même, et d’y prendre plaisir. Il est facile de se procurer le texte – il y a de multiples éditions de poche, dont une à deux euros, et l’on peut aussi le décharger gratuitement d’internet. Même si j’ai d’abord trouvé la lecture aisée, j’avoue qu’elle m’a aussi laissée à bien des égards très perplexe. L’intelligent et malicieux Thomas More est maître en ironie, en humour comme en litote, ce qui met à l’épreuve la sagacité du lecteur ! Que pense More, finalement ? À nous de réfléchir, et c’est passionnant.

Je me suis alors plongée dans les notes explicatives, les introductions et commentaires, fort utiles pour capter les indices, les allusions et le contexte. Par exemple, les noms propres forgés du grec : Hythlodée = expert en balivernes – ah bon ! Et puis, j’ai voulu au moins me faire une idée des prédécesseurs de More en cités idéales : Platon et La république, Saint Augustin et La cité de Dieu. (Vive Wikipedia !)

Quelles initiatives marquent cette année du 500e anniversaire de l’Utopie ?

Voici ce que j’ai glané dans un éventail impressionnant.

D’abord dans les deux universités sœurs, UCL et KUL – bien naturellement, Louvain étant le lieu de la première publication de l’Utopie. La KULeuven annonce des évènements pour l’automne. Leur site annonce un concours de rédaction où l’on est invité à écrire sa propre utopie, et aussi une importante exposition « Op zoek naar Utopia » au M-Museum. À l’UCL par contre, tout est déjà en cours. Une branche de son site est consacrée à cette « Année Louvain des utopies pour le temps présent » : www.uclouvain.be/utopies.html Expositions, films, débats, conférences, colloques, ateliers… l’offre est abondante, et présentée en détail. Une newsletter, Utopies-Infos, envoyée sur demande, signale les activités utopiques de la quinzaine.

J’ai d’abord été voir l’exposition Utopia/ Utopies, dans les pas de Thomas More, à Inforville aux Halles de LLN, jusqu’au 10 mars (ensuite au Campus Alma à Woluwe-Saint-Lambert du 11 au 29 avril). Autour d’un exemplaire précieux de l’édition originale de 1516, c’est une belle introduction pour situer Thomas More et son audacieuse Utopie, l’histoire de la réflexion politique et de divers projets et réalisations pour établir une société plus juste.

On termine la visite avec la présentation du livre-symbole de cette année « Chemins d’Utopie. Thomas More à Louvain, 1516-2016 » où 38 membres de la communauté universitaire de LLN commentent un passage de l’Utopie en l’actualisant. L’introduction de Philippe Van Parijs se clôt sur ce souhait que, dans la formation qu’elle offre, l’université n’oublie pas sa mission « d’oser imaginer un monde meilleur, de contribuer à le faire advenir et d’équiper nos étudiants pour qu’ils puissent eux aussi y œuvrer ». Voilà remarquablement illustré l’axe choisi pour cette année de commémoration : pour le temps présent. […]

L’offre présentée sur le site mentionné plus haut est si variée et copieuse qu’elle décourage toute tentative de la résumer… À chacun d’y aller voir, et de choisir selon ses intérêts. Agenda, calendrier visuel, brochures à décharger, tout est fait pour une annonce claire et tentante de la foison d’évènements […] comme l’exposition « Les utopies urbaines de Luc Schuiten » du 9 mars au 15 septembre. […]

Je laisse la conclusion à Paul Ricoeur : « Les peuples ne peuvent pas plus vivre sans utopie que les individus sans rêves »…


Jacqueline De Cat - Hansen (Communautés de Base)


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