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Le dogme, cancer de l’Église catholique

Jacques Meurice
Publié dans Bulletin PAVÉS n°46 (3/2016)

L’Église catholique est malade, gravement. C’est un cancer qui la menace d’étouffement  progressif. Ce cancer c’est le dogme. Le dogme pour celui qui le professe c’est une certitude. La certitude de posséder la vérité, ou au moins un morceau de celle-ci. Un dogme cela ne se discute pas. Avant sa proclamation peut-être, après plus jamais. Cela s’accepte ou se rejette. Il n’y a pas d’alternative au dogme, pas d’aménagement, pas de révision ni de réforme du dogme. Quand un groupe d’êtres humains se lance dans la prati-que du dogme, il se prépare à se séparer de beaucoup d’autres êtres humains qui, pour diverses raisons, ne s’y soumettent pas. Le dogme entraîne l’exclu-sion. Le dogme se multiplie aussi. Un dogme en entraîne d’autres presque à l’infini. Il provoque une insatisfaction qui se traduit par de nombreux gan-glions, c’est-à-dire beaucoup d’autres dogmes complémentaires ou dérivés. Le grand tort de l’Église catholique c’est de ne pas s’être méfiée du dogme.

Et pourtant, rien de plus étranger à la pensée du Christ que le dogme. Sans doute, à son époque, Sadducéens et Pharisiens en alignaient un certain nombre, de plus en plus précis d’ailleurs, mais c’est une caractéristique de Jésus d’avoir pris ses distances vis-à-vis de ces positions. Que dit-il du sabbat pendant lequel on ne pouvait venir en aide à son prochain, ou des peuples et des gens qu’il ne fallait pas fréquenter ? Que dit-il des sacrifices rituels pratiqués au temple de Jérusalem, des multiples prescriptions dont le respect était garant de la soi-disant identification des honnêtes gens, des bien-pensants ? « Malheur à vous, Pharisiens, qui acquittez la dîme de la menthe, de la rue et de toutes les plantes potagères et qui négligez la justice et l’amour de Dieu… » (Lc 11,42). Le Christ préférait sans aucun doute la vie avec ses détours, ses conversions, ses échanges, sa relativité, à l’absolu, la rigueur, la fixation et l’hypocrisie des dogmes.

L’Église du Christ et des apôtres a vécu presque trois siècles sans dogme. Le nouveau testament, l’évangile, suffisait semble-t-il. Même si les premières déclarations dogmatiques ont été faites au cours d’un concile, le premier concile œcuménique à Nicée en 325 en Asie mineure (Turquie), elles n’étaient cependant pas l’œuvre des évêques mais d’un empereur, Constantin, qui voulait imposer sa volonté. Pour ce faire, il avait convoqué 250 évêques et présidait leur assemblée. Le Pape Sylvestre Ier n’y était d’ailleurs pas. Il n’avait pas voulu quitter Rome. Et pourtant le texte des conclusions du Concile, connu sous le nom de Symbole de Nicée, fut à l’origine du Credo des chrétiens, récité dans les églises catholiques jusqu’à présent. C’était en fait l’œuvre de Constantin, qui, comme empereur, assistait à la débâcle des religions grecque et romaine et voulait imposer une nouvelle religion monothéiste mieux adaptée et plus favorable à l’unité de l’empire. Pour obtenir l’adhésion des évêques il leur promit un rang et des avantages semblables à ceux des préfets et des procureurs, avec l’intention, à l’avenir, de les nommer lui-même. L’empereur n’était même pas chrétien, il fut baptisé plus tard, à la hâte, sur son lit de mort. Dès le départ, les dogmes furent une question d’autorité et de pouvoir politique. On se mit aussitôt à condamner les opposants et à excommunier Arius, prêtre très dévoué d’Alexandrie, qui avait le tort de nier la divinité de Jésus et ne reconnaissait pas la Trinité.


Ce fut le cas de bien d’autres dogmes encore, habituellement prononcés pour une raison de prestige, de pouvoir, et qui, sans cesse, divisèrent les chrétiens. Les derniers promulgués sont d’ailleurs un sommet en la matière: l’infaillibilité pontificale, l’immaculée conception et l’assomption de Marie ont été des armes à utiliser contre des opposants. Ils n’ont fait qu’agrandir le fossé qui sépare les Catholiques des Protestants, Anglicans, Orthodoxes, etc. Parfois, le Pape, l’Empereur ou le Concile ont ajouté aux dogmes des mesures disciplinaires pour ceux qui ne les respecteraient pas. On retrouve tout cela dans le Droit Canon. L’Inquisition en a fait de sinistres applica-tions. Bien sûr on dira que c’est du passé, que les choses ont évolué, comme le Moyen Age a été bousculé par la Renaissance et celle-ci par les Temps Modernes. Les théologiens diront que l’Église est toujours à réformer, semper reformanda, ils pourraient tout aussi bien dire qu’elle n’a jamais été réformée, numquam reformata, sinon par ceux qui en sont sortis !

Le Pape François voudrait ardemment que l’Église change, qu’elle s’ouvre au monde, qu’elle retrouve sa vocation qui est d’exister pour les pauvres et avec les pauvres. Mais il souhaiterait aussi qu’on ne s’attaque pas à la doctrine, aux rites, aux sacrements… sans doute parce qu’il ne peut compter pour agir sur une majorité suffisante de progressistes, de réformistes, comme l’a hélas montré le récent synode de Rome. Jorge Bergoglio a en face de lui une forte opposition qui brandit l’arme du dogme et veut à tout prix conserver une version traditionnelle de l’Église avec tous les usages et tous les privilèges que cela comporte. En le connaissant on a voulu confier à Jorge Bergoglio une mission impossible. Jésus lui-même n’en aurait pas voulu, lui qui avait renoncé à s’attaquer aux grands prêtres, aux lévites, aux Pharisiens, le clergé et la hiérarchie de son temps, de son peuple… 

Dietrich Bonhoeffer, le plus grand théologien protestant du XXe siècle, exécuté par les nazis en avril 1945 au camp de concentration de Flossenbürg, n’avait-il pas raison de penser que le christianisme n’était pas une religion ? Qu’il ne pouvait être qu’une philosophie au sens fort, une sagesse de vie, un message prophétique pour l’avenir des hommes et des femmes. Cela ne pouvait pas être envisagé par les Pères de l’Église. Car les véritables Pères de l’Église ne sont pas ceux qu’on croit, mais bien plutôt Constantin, Clovis et Charlemagne, les 3 grands C comme dans Catholique. Et bien sûr on a fait de l’évangile de Jésus une nouvelle religion comme les autres, avec un clergé, une hiérarchie, des rites, du sacré, des sacrements, des temples, des offrandes…

Une réforme profonde est-elle envisageable ? Il faudrait pour retourner aux origines, démonter la doctrine, détricoter tout le tissu ecclésiastique, rechercher la vérité pour laquelle Jésus disait à Pilate qu’il était né… Il faudrait, mais c’est probablement impossible, remettre en question toutes les formulations dogmatiques, car comme le disait et l’écrivait Albert Jacquard, il n’y a plus aucun dogme qui tienne vraiment la route, devant la science, la connaissance de l’évolution, les progrès de l’histoire et de l’archéologie, de la psychologie et de la psychanalyse, les aspirations des hommes et des femmes à la liberté, l’égalité par la justice, la fraternité à l’échelle de la planète…

Alors ? Sans chimiothérapie, le dogme va continuer à malmener l’Église, jusqu’à l’étouffer. Le dogme ne laisse aucune place à la discussion, il s’op-pose au « relativisme ». Or, toute la vie des hommes est relative, elle tient compte des changements de société, elle s’adapte aux nouvelles politiques, elle évolue avec la pensée, les idées, et Jésus l’avait bien compris, déjà !

Alors ? Il faut chercher, apprendre à recommencer, démonter et reconstruire, douter bien sûr, redire les choses autrement, accepter de reconnaître l’erreur et l’impasse, se projeter dans l’avenir, inventer, oser… Ce n’est pas gagné.


Jacques Meurice (Hors-les-murs)


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