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À vrai dire…

À propos de "post-vérité"

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°51 (6/2017)


Accordons-nous que nous ne sommes pas menteurs. Ou pas trop. Que notre démarche est habituellement celle de la quête de la vérité. Bien ! Serions-nous cependant attentifs aux réflexions que voici, à autant de mises en garde ?

Paul Valadier[1] s’inquiète et nous invite à redoubler de vigilance quant à deux évolutions qui travaillent nos sociétés. Nous sommes manifestement entrés dans l’ère du virtuel, le ‘communiqué’ s’imposant à nous et se substituant insidieusement au réel. Que savons-nous des guerres en Afrique, de la situation économique du Royaume-Uni, des manipulations de l’argent public, de l’évasion fiscale sinon ce qu’en dit notre média préféré, ce qu’il en a appris selon ses ressources et ses priorités, ce qu’il en laisse filtrer selon les options de son actionnariat. Nous nous réjouissons ou nous pleurons quand on veut bien que nous le fassions ; on nous ouvre les fenêtres et on nous les ferme. Au point que des observateurs théorisent le phénomène, décrétant que le réel s’est évanoui, qu’il devient désormais impossible et vain de chercher à l’atteindre. De connaître et de dire le vrai. Enfermés dans le virtuel !

Une autre évolution est plus flagrante encore, portée par les populistes décidément en faveur. Des tenants du Brexit ont menti sur les chiffres de l’économie nationale, puis l’ont avoué sans remords. Trump ne s’embarrassait pas de vérité lorsqu’il courait les adhésions. Le Front National ne cherchait pas à fonder correctement ses allégations sur le danger supposé des immigrés. Là aussi, l’évolution est inquiétante pour nos sociétés, désormais toutes contaminées de populisme : la tolérance au mensonge s’est acclimatée. De tout temps la politique s’en est accommodée sans doute, du mensonge, mais l’on s’en indigne moins, l’on s’y résout comme à l’inévitable. Pour plusieurs, seul compterait l’utile, et selon les circonstances, ce peut être aussi bien le faux que le vrai. Enfermés dans l’utile !

Paul Valadier s’effraye et s’insurge. Car les relations humaines ne peuvent pas se passer de cet ingrédient majeur qu’est la confiance et, par conséquent, elles ne peuvent bafouer la quête de vérité ou de véracité. Comment faire crédit à quelqu’un qu’on soupçonne de mentir ou de travestir la vérité ? On voit mal comment la démocratie et peut-être plus largement une communauté humaine pourraient survivre dans le mensonge institué ou dans un virtuel dominant. Car, il faut le redire, la démocratie n’est pas seulement un système procédural, ni non plus l’obéissance à des règles plus ou moins arbitraires : elle a besoin de vérité, ou du moins de recherche de la vérité.

Toute relation de confiance peut et doit être mise à l’épreuve, doit donc être vérifiée et montrer sa fécondité. Il n’y a pas de garantie absolue que notre confiance ne sera pas trahie, ni dans un couple, ni dans aucune institution humaine. C’est pourquoi la recherche de la vérité est essentielle : nous ne sommes pas sûrs en effet d’atteindre la vérité, mais du moins ne devons-nous pas renoncer à la poursuivre. Et même, il faut convenir qu’elle n’est jamais atteinte, ni en politique, ni dans les relations affectives, ni même en religion. Mais c’est qu’il faut désirer la vérité plus que prétendre la posséder, car c’est un tel désir qui motive le chercheur en science, qui éveille l’amoureux à l’attention délicate envers l’aimé(e), qui mobilise un peuple pour trouver des solutions à ses problèmes, qui pousse donc à la recherche de la justice et de la paix.

Serait-il incongru de mentionner ici un autre danger de la vie commune ? Le 500e anniversaire de la Réforme luthérienne donne l’occasion d’examiner ce qui est devenu commun entre protestants et catholiques ainsi que les désaccords persistants[2]. Commun l’essentiel, la foi confiante en un Dieu qui se révèle en Jésus de Nazareth. Mais ce qui divise se déroule en une longue énumération : l’Écriture (qui ‘peut’ l’interpréter ?), la mariologie et le culte des saints, l’Église (la signification de la ‘succession apostolique’, l’institution des ministères, l’autorité des conciles, l’infaillibilité du pape), la Cène (présence ‘réelle’), un code moral (censé révélé). C’est beaucoup.

Tant de sujets de divergence empêchent-ils les confessions catholiques et protestantes d’espérer une communion visible ? Pour les protestants, il est suffisant que les Églises s’acceptent dans leurs différences. L’obstacle majeur vient de l’Église catholique, de sa prétention à être l’unique fidèle, l’unique autorisée. Il s’agit donc, ici aussi, de notre relation à la vérité : cheminement et travail d’interprétation personnels aidés par la communauté, la conception protestante et, par ailleurs, conception dogmatisée par l’Église romaine et reçue par la plupart des catholiques, interprétation de ‘la vérité’ par un magistère se réservant l’autorité de la formuler. La prétention n’est pas seulement vertigineuse quant à la capacité présumée de l’esprit humain à capter le divin, pas seulement suspecte quant au privilège accordé à une caste, mais particulièrement surprenante de la part d’une institution qui se veut fidèle à des communautés primitives manifestement diversifiées et à un prophète qui n’a rien dogmatisé ni institué, qui fut bien méfiant à l’égard du religieux et qui n’eut de cesse de recommander, avec une inlassable insistance, la foi, la confiante relation au Père et la confiante relation mutuelle. Le piège ne fut pas évité, bientôt, de laisser se dégrader la confiance en une possession crispée de croyances absolutisées, de ‘moyens du salut’. Enfermés, nous les catholiques, dans la prétention !

Nous sommes appelés à sortir d’une ère de confiance naïve à l’égard du virtuel ou des médias, comme à l’égard des discours des démagogues et, ajouterions-nous, à l’égard d’un dogmatisme hautain. Le nécessaire et le suffisant ? La confiance.


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Valadier Paul, Péril en démocratie : la post-vérité, in Études, 2017/5 (mai), p. 55-64.

[2]  Ce que réalise le livre cosigné par JacquesClavairoly (président de la Fédération Protestante de France) et Michel Kubler (précédemment rédacteur en chef de La Croix, directeur du centre œcuménique St-Pierre-St-André à Bucarest), Protestants, catholiques, ce qui nous sépare encore, Ed. Bayard, présenté par Jacques Musset dans la livraison Golias Hebdo n° 480, 11-17 mai 2017.




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