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Vieillir

José Arregi
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Personne ne veut mourir jeune, mais personne ne veut vieillir. Il ne semble pas que le dilemme trouve une solution facile, à moins que toutes les sciences et le premier de tous les savoirs, qui est la sagesse spirituelle ou le savoir vivre à fond, ne se donnent la main pour nous enseigner l'art de vivre, l'art de vieillir et l'art de mourir. Vivre, vieillir et mourir humainement. A quoi nous serviraient nos avoirs, pouvoirs et savoirs, si nous ne savons pas vivre ? Et à quoi nous serviraient les avantages de la jeunesse si nous n'apprenons pas à vieillir et si nous n'acceptons pas de mourir ?

Mais, ne serait-il pas préférable de n'avoir pas à vieillir ni à mourir ? Et s'il était possible d'échapper à l'un et à l'autre ? La question n'est pas vaine. Il y a quelques jours, j'écoutais un scientifique français expert en la matière déclarer que déjà sont nés des gens qui vivront 200 ans. Et au rythme actuel, avant 2050, la proportion d'habitants de la planète âgés de plus de 60 ans va doubler. Et l'on peut supposer que les nouvelles technologies, à ce jour à peine expérimentées voire non encore conçues, permettront de retarder indéfiniment la mort redoutée (pourquoi redouter autant "notre soeur la mort corporelle" ainsi que la nommait François d'Assise, qui l'accueillit à l'âge de 44 ans ?). Il n'est pas absurde de penser qu'un jour, pas tellement lointain, notre espèce Sapiens parvienne à une certaine a-mortalité. Cela me fait peur rien que d'y penser. Cela me fait peur car seuls quelques-uns pourront profiter de cette a-mortalité – les plus riches, comme toujours, sur le compte des appauvris – et aussi parce-que je crains que l'a-mortalité n'entraîne avec elle plus de maux que de bienfaits pour ceux qui en bénéficient. A l'heure actuelle, je préfère mourir plutôt que de prolonger indéfiniment cette vie. Je préfère vieillir avant que la soeur mort ne confonde totalement mon souffle vital avec Le Souffle Vital. Et je veux choisir ce moment avec la plus grande liberté, et, quand il se présentera, être maître de mon souffle pour pour le rendre en fin entièrement. C'est la raison pour laquelle je veux vieillir.

Mais qu'est-ce donc que veillir ? D'un point de vue biologique, veillir traduit l'accumulation de dommages moléculaires et cellulaires au fil du temps. Les organes se fatiguent, les jambes deviennent maladroites, la mémoire défaillante, l'esprit plus faible. Ce n'est pas cette vieillesse là que je souhaite, bien qu'aujourd'hui elle paraisse inévitable. J'espère qu'un jour on pourra éviter toutes ces dégradations, c'est ce que je souhaite, à condition toujours – réserve cruciale – que ce ne soit pas aux dépens de l'égalité entre tous les humains et de l'harmonie de tous les vivants.

Il ne suffira pas de vivre de nombreuses années si nous ne vivons pas humainement. Il ne suffira pas d'échapper au déclin biologique dû à la vieillesse si nous n'accédons pas à la sagesse spirituelle, à la sagesse de la vie profonde. Il ne suffira pas de maintenir nos corps jeunes, si nous ne parvenons pas à être sages d'esprit.

Eh bien, beaucoup de traditions ont justement assimilé la vieillesse (accompagnée de ses nombreuses pertes) avec cette sagesse de la vie. Je veux revendiquer cette acception du terme vieillesse face au futile et unanime culte de la jeunesse, à l'éloge de la santé et de la forme physique, à l'exaltation des facultés corporelles et mentales, à la vogue du reishi, à la quête de l'élixir de l'éternelle jeunesse en pharmacies, parapharmacies, herboristeries, drogueries, grandes surfaces, sites web et boutiques on line. L'être humain ne vit pas seulement de jeunesse, mais aussi de sagesse. Certes, la sagesse ne dépend pas du nombre des années, mais il est plus aisé de la trouver chez les vieux plutôt que chez les jeunes, que ceux-ci veuillent bien me pardonner et sans me compter parmi les sages.

La condition pour être sage est de savoir vieillir. C'est-à-dire: de savoir qu'il y a un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour entreprendre et un temps pour renoncer, un temps pour parler et un temps pour se taire, un temps pour croître et un temps pour décroître, un temps pour conduire et un temps pour se laisser conduire.

Vieillir, c'est découvrir que tout a valu la peine malgré tout, et que tout accepter en s'acceptant du tout est l'unique façon de tout transformer. Vieillir, c'est reconnaître que seule la bonté a valu la peine et que seule elle vaudra la peine. Et parvenir enfin à la paix avec soi-même et avec tout.

Vieillir, c'est nous donner du tout, jusqu'à mourir, jusqu'à naître, jusqu'à être notre propre être en vérité dans la Plénitude de ce qui Est.


José Arregi - Espagne)

Notes :

Publié dans DEIA et les publications du Groupe NOTICIAS le 14-05-2017

Traduction de l'espagnol par Peio Ospital






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