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Dom José Maria Pires, une vie dédiée aux victimes des injustices

Luis Vandaele
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Avec le décès de Dom José Maria Pires survenu le 27 août 2017 à l'âge de 98 ans, le Brésil et l'Amérique latine ont perdu un des promoteurs du chemin de libération. Avec plusieurs évêques de ce continent il concrétisait ce chemin emprunté par les Églises catholiques de ce continent depuis que leurs évêques ont opté pour la priorité pour les pauvres en 1968 à Medellin (Colombie). Moins connu qu'un Dom Hélder Câmara et d'autres pasteurs engagés, il a dédié toute sa vie à la libération des victimes des injustices. Pour l'avoir bien connu et apprécié, Luis Vandaele nous dresse le  portrait de ce prophète.


 En plus de la reprise de quelques éléments de la présentation de Dom José Maria Pires signée par Fernando Altemeyer dans le récent « Dictionnaire historique de la théologie de la libération »  (1),  je me suis inspiré de mes souvenirs, de certains témoignages d'amis et des Mémoires de cet archevêque émérite.

J'ai en effet eu la chance de rencontrer plusieurs fois Mgr Pires quand il était archevêque de Paraíba  et alors que je travaillais dans le diocèse voisin de João Pessoa. Je l'ai accueilli lors de son dernier passage en Belgique en 1995 et j'ai continué d'entendre parler de lui avec beaucoup d'admiration.

Dès notre première rencontre, cet homme noir, grand,  toujours souriant et affable m'a impressionné. C'était un homme d'une grande dignité, d'une cohérence avec lui-même et d'une grande ouverture intellectuelle. Lors des réunions, il faisait preuve d'une grande écoute, parlait peu, mais se montrait très précis. Selon plusieurs personnes qui l'ont connu de plus près, dont le réputé théologien belgo-brésilien José Comblin, il était un homme authentique, vrai et toujours prêt à assumer ses responsabilités (2).

Éduqué dans un carcan ecclésiastique traditionnel et rigide selon le modèle lazariste (3) , il s'est converti en devenant un homme libre intérieurement et un évêque solidaire avec les victimes des injustices. Il a lui-même reconnu que ce sont les contacts avec des pauvres exploités et résistants qui l'ont converti.

J'ai relu sa dernière lettre pastorale publiée à João Pessoa en 1995 (4), et qu'il présenta comme étant  « ses mémoires ». Il commence à y demander pardon pour ses manques d'amour, en rappelant même quelques gaffes et erreurs commises durant son ministère. Puis il raconte son parcours, sa conversion, ses engagements, les réalisations qu'il a menées grâce à ses collaborateurs,  collaborateurs qu'il remercie,...

Selon son propre témoignage, ce sont surtout deux grands événements des années '60 qui ont mobilisé et transformé l’Église catholique du Brésil (dont il était déjà un des nombreux évêques) : le Concile Vatican II (tenu à Rome de 1962 à 1965) et le début de la dictature militaire au Brésil  en 1964.

Comme jeune évêque d'un peu de plus de quarante ans,  il participe aux quatre sessions du Concile plus pour apprendre que pour parler, mais il fait partie du  groupe : « Jésus, l’Église et les pauvres », concélèbre l'eucharistie dans les catacombes romaines et adhère, tout comme Dom Hélder Câmara et Mgr Himmer, au fameux « Pacte des Catacombes » dans lequel il est notamment dit : « Nous essaierons de vivre selon le mode ordinaire de notre population en ce qui concerne l'habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s'ensuit.... » (5).

Fidèle à ses origines afro-brésiliennes pauvres et en homme cohérent, il applique peu à peu ce style de vie. De plus, devant les injustices des grands propriétaires et devant les persécutions de la dictature militaire, il assume explicitement les engagements sociaux dans la ligne de la théologie de la libération et en lien avec plusieurs évêques du Nord-Est, comme Dom Helder Camara.

En homme pratique, il ne se limite pas aux déclarations et aux lettres. Ainsi, en 1971 est fondé dans son diocèse le Centre de défense des droits humains, premier du genre dans le continent latino-américain. Par la suite, il est parmi les évêques qui soutiennent la mise sur pied des organismes de défense des indiens (Conseil Indigène Missionnaire) et des petits agriculteurs et des sans-terre (Commission Pastorale de la Terre).

Dom José encourage les Communautés Ecclésiales de Base et s'implique dans les nombreuses « pastorales sociales », portées par le peuple et accueillies par la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB). Durant, les dernières années de son épiscopat, il élargit l'éventail de ses soutiens aux mouvements sociaux qui s'organisent autour des droits des indiens, des femmes, les prisonniers, des prêtres mariés et surtout des noirs. En assumant pleinement ses racines afro-brésiliennes, il préfère  le titre de « Dom Zumbi » (leader d'un Quilombo, communauté de noirs libérés) à celui de « Dom Pelé ». 

 

Mgr Pires cherchera encore pour l'Église des chemins nouveaux pas toujours acceptés par le Vatican. Ce fut le cas avec la création d'un séminaire rural pour des jeunes ruraux qui voulaient devenir prêtres. Avec l'aide de José Comblin et en appliquant la « théologie de la houe » ou du maintien des futurs prêtres dans leur milieu d'origine, il voulut répondre à un vrai besoin pastoral. Mais, à la suite de la désapprobation de la Curie romaine, ledit séminaire devint un Centre de Formation Missionnaire (CFM).

La formation fut vraiment une des priorités pastorales de Dom José, si bien qu'en plus de la formation des séminaristes et de la formation permanente des prêtres, il soutient celle d'agents pastoraux et de leaders populaires.

Il fut encore parmi les initiateurs de nouveaux chemins liturgiques pour favoriser l'inculturation et le dialogue interreligieux. Avec Dom Pedro Casaldàliga et plusieurs musiciens, il célébra la « Missa dos Quilombos » et la « Messe de la terre libérée des malheurs », inspiré par la vision des indiens Tupi-Guarani. Mais, à nouveau, l'interdiction du Vatican empêcha la poursuite de cette recherche d'une liturgie incarnée. De plus, Dom José accompagna les marches des « Romarias da Terra », qui se faisaient quelquefois durant toute une nuit.

 

Tel fut cet évêque qui, s'étant libéré de la formation centriste qu'il avait reçue et en revenant à ses racines familiales, passa du centre à la marge, pour reprendre le titre du livre qu'il a écrit (6). Il fut un évêque agissant en entendant les clameurs de son peuple (7).

Et toujours à propos de sa simplicité, je voudrais encore dire combien j'avais été frappé par l'accueil simple et chaleureux que j'avais reçu lors d'une visite chez lui. Dom José vivait dans une modeste maison avec un jardin et il s'occupait lui-même du potager. Il était aussi très fier des abeilles dont il s'occupait personnellement. Il proposait à ses visiteurs une caipirinha au miel de sa production.

Comme il se maintenait en bonne condition physique – il allait encore nager dans la mer après ses 90 ans – je n'ai  pas été étonné d'apprendre par ses amis qu'il était encore actif jusqu'à la veille de sa mort.


Luis Vandaele

Notes :

(1) Maurice Cheza, Luis Martinez Saavadra et Pierre Sauvage, Dictionnaire historique de la théologie de la libération, Lessius, Paris-Namur 2017.

(2) José Comblin, Dom José Maria Pires na Paraíba, article dans Sampaio Geraldo Lopes Ribeiro (org.) Dom José Maria Pires, Uma voz fiel à mudança social, Paulus, São Paulo 2005, pp. 247-249.

(3) Eduardo Hoornaert, Rompendo o casulo, article dans son blogspot à l'occasion du décès de Dom José Maria Pires.

(4) José Maria Pires, Amor e dedicacão à Paraíba.  Carta Pastoral- Mensagem de despedida, dans Sampaio (op.cit) pp. 191-240

(5) Maurice Cheza (op cit.), Pacte des catacombes, pp. 355-361

(6) Dom José Maria Pires, Du centre vers la marge, Acauà, Paraíba, 1978.

(7) « J'ai entendu les cris de mon peuple ». Document des évêques et supérieurs religieux du Nord-Est, en 1973 et diffusé en Belgique lors du « Brasil Export '73 » par Broederlijk Delen et Entraide et Fraternité.





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