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Nous avons célébré l’anniversaire du concile

Sylvie Kempgens
Publié dans Bulletin PAVÉS n°45 (12/2015)

Vendredi 20 novembre 2015.

Un pâle soleil éclaire encore Rome. Les participants arrivent des quatre coins du monde à l’occasion du 50e anniversaire de la fin du Concile Vatican II : nous serons plus de cent pour partager nos luttes et nos espoirs et pour prendre l’engagement de conti-nuer à œuvrer pour réorienter le monde et donner un nouveau souffle à l’Église.

Outre les organisateurs provenant principalement du Réseau européen Églises et Libertés que nous avions accueillis à Drongen en 2014, je retrouve des membres des Communautés de base, italiens, français, espagnols rencontrés à Buizingen, et des membres du groupe inter-convictionnel G3i basé à Paris, qui ont été invités pour un atelier.

La rencontre a lieu dans un immense couvent des Frères des Écoles chrétiennes, bâti au milieu du XXe siècle et aujourd’hui presque vide. Je ne peux m’empêcher d’y voir un symbole de l’Église (du Concile même, en étant un peu cynique...). Mais nous allons pendant trois jours nous employer à y ramener la couleur et l’animation. Y faire entrer le monde et ses défis.

Chacun a apporté de quoi présenter son groupe : livres, affiches, calicots. On remarque particulière-ment le groupe brésilien, et l’arc-en-ciel des LBGT[1]. Apéritif, dîner et séance inaugurale, l’accueil est polyglotte et chaleureux. François Becker donne lecture des messages d’amitié et d’encouragement reçus entre autres de Jon Sobrino, Jacques Gaillot et Hans Küng. Massimiliano Tosato, des Communautés de base italiennes, a préparé une projection de dessins humoristiques, et le dessinateur attitré de PAVÉS est à l’honneur ! J’en suis d'autant plus surprise et fière que je suis la seule Belge présente...

La journée de travail du samedi 21 novembre commence par l’intervention enthousiasmante d’une théologienne sud-africaine née au Zimbabwe. Le front ceint d’une parure de perles traditionnelle, le sourire éclatant, Nontando Hadebe va nous emmener à la rencontre de ses spécialités : une anthropologie fondée sur la Trinité, et les violences commises pour des raisons de genre. Jésus était arrivé dans une société qui respectait les principes de l’Ancien Testament et il a annoncé un message de salut pour tous les hommes. De même, l’Église doit être cohérente : si elle annonce que tous les êtres humains ont été créés à l’image de Dieu, elle doit respecter et faire respecter leurs droits : ceux des femmes, des personnes LBGT stigmatisées, des groupes ethniques humiliés, des laïcs écartés des décisions. La grâce est pour tous, même pour les malades du sida. Il faut s’attaquer au fait que la majorité des pauvres sont des femmes. Et obtenir de l’Église que son enseignement "sorte de la chambre à coucher" : la cuisine est importante aussi, des gens ont faim ! Et le living, avec les questions de vivre-ensemble ! ? Le monde a plus besoin de spiritualité et de libération que d’interdits sexuels !

Ensuite la parole est donnée à des représentants de (presque) tous les continents pour nous exposer les problèmes qu’ils connaissent et leurs propositions pour renouveler l’Église et l’impliquer dans le monde d’aujourd’hui.

L’Asie sera diagnostiquée par un Coréen du Sud et une jeune Indonésienne. Paul Hwang attire l’attention sur le fait que l’Église en Inde discrimine elle-même les Dalits (jamais un "intouchable" ne devient prêtre et, lors des funérailles de l’un d'eux, il arrive que l’on refuse l’entrée du corps dans l’église), sur la façon très légère dont les évêques d’Asie qui ont pris part au synode sur la famille s’étaient préparés (ils auraient réutilisé de vieilles informations pour rédiger leur rapport), sur le mauvais employeur qu’est l’Église catholique (droits humains, droit à un salaire correct, droit de se syndiquer ne sont pas respectés). Il appelle à l’instauration de dialogues internes, à l’élection des évêques, à la mise en place à tous les niveaux (paroisses, diocèses, pays) d’instances de décision auxquelles les laïcs actifs soient pleinement associés. Il faudra aussi soutenir la formation des jeunes laïcs. Ne manquant ni d’audace ni d’ambition, Paul Hwang propose que les conseils et commissions au Vatican qui sont chargés de la problématique des migrants, des peuples indigènes, des questions interreligieuses, de la culture quittent Rome et s’installent dans des pays où ces diversités sont considérées comme un cadeau, et non comme un fléau, dans des pays où diverses traditions et cultures religieuses sont enracinées dans la vie des gens. C’est particulièrement nécessaire dans les régions d’Asie du Sud-Est qui sont aujourd’hui confrontées à l’influence de groupes islamistes radicaux. L’orateur demande que le célibat des prêtres soit rendu optionnel et qu’on révise Humanae Vitae : "Si l’Église a peur de respecter les gens comme des humains adultes, cela prouve indéniablement qu’elle n’a pas du tout foi en Dieu !" Paul Hwang appelle enfin de ses vœux un changement de paradigme : que l’Église sorte d’elle-même et aille à la rencontre des pauvres et des marginalisés, dans les rues et partout où ils luttent pour survivre. La jeune Felicia Dian Revenska Parera lance, quant à elle, un appel pour ses congénères : "Les jeunes ont besoin qu’on mette en évidence leur valeur humaine, trop d’entre eux sont confrontés à l’exploitation et à la compétition. Dialoguez, donnez-leur confiance en eux, offrez-leur des opportunités. Ils ont besoin de donner un sens à leur vie !"

Ensuite, le projecteur se tourne vers l’Afrique avec Douglas Irvine (Nous sommes Église Afrique du Sud), qui met en lumière les problèmes que connaît l’Église d’Afrique : la catéchèse et la formation sont très pauvres ; la qualité des vocations est douteuse (souvent c’est la carrière qui attire, avec le statut social et des bénéfices matériels) ; la hiérarchie est très conservatrice, autant sur le plan social que sur le plan doctrinal ; les évêques africains semblent en outre vivre totalement dans le déni de la réalité ("L’homosexualité n’est pas africaine", "Il n’y a pas de problème de divorces"). Puis nous entendons Georges Obolo (Réseau des anciens Jécistes d’Afrique), qui ajoute au tableau la dépravation des mœurs du clergé et des cas de pédophilie... Il plaide pour une nouvelle évangélisation qui apporte la libération aux opprimés et la justice dans le monde, pour le développement de centres de compréhension de l’Écriture, pour l’introduction du langage vernaculaire dans l’enseignement biblique, pour une rénovation et une simplification des rites, pour que l’homélie soit aussi un lieu d’échanges ! Il demande que le divorce ne soit plus un motif d’exclusion de la pratique de la foi, et il réclame un statut de salarié pour les prêtres, qu’on en finisse avec l’hypocrisie de leur célibat et qu’ils puissent assumer officiellement leur devoir parental ! Enfin, s’il reconnaît que l’Église d’Afrique doit aller au-delà de ses traditions pour mener des réflexions sur l’homosexualité, il réclame (en échange ?) que l’Église accueille, organise et encadre... la pratique de la polygamie ! Personne n’a bronché mais j'ai du mal à concilier ce point avec nos appels répétés à faire reconnaître, en paroles et en actes, l’égale dignité de la femme ...

Cap alors sur les Amériques : une religieuse mexicaine rappelle combien l’Amérique latine a entendu le message de Vatican II et a mis en œuvre l’option pour les pauvres, combien aussi ultérieurement le Vatican n’a pas reconnu ces avancées, et combien de souffrance et de martyrs le continent a connus. Dans un contexte de problèmes écologiques majeurs, de trafic des êtres humains et de besoin de dialogues interculturels, Socorro Martinez Maqueo appelle à une politique inclusive, à l’écoute des plus humbles, des pauvres d’entre les pauvres, à des changements dans la hiérarchie catholique lorsque celle-ci accumule les richesses, à la reconnaissance des ministères que sont l’accueil des migrants et la défense des droits humains.

Jamie Manson, une jeune journaliste du National Catholic Reporter donne, elle, des échos des États-Unis : elle remarque que c’est la première fois depuis longtemps que les mouvements réformateurs ne sont pas tous d’accord à propos du pape ! Les groupes catholiques américains qui luttent pour l’ordination des femmes et les sacrements pour tous ont été très actifs cette année, pour dénoncer que l’Église soutient les discriminations contre les personnes LBGT plus qu’elle ne reflète la miséricorde divine. Elle explique pourquoi ces combats ont tant d’importance. C’est que la doctrine sexuelle de l’Église a de l’influence sur la pauvreté et sur les violences. Ordonner des femmes serait donc un message fort sur la dignité des femmes qu’enverrait une grande institution mondiale.

Pour l’Europe enfin, Christian Weisner (Nous sommes Église Allemagne) souligne que les civilisations musulmane et juive ont contribué à la construction de la civilisation européenne et nous appelle à reconnaître que nos petits pays ne sont plus le centre du monde : l’Europe est une grand’mère, qui ne peut plus enfanter ! En outre, 20 % de la population se déclare sans religion, et la sécularisation est une des caractéristiques marquantes du continent. Il appelle l’Église à aller vers les gens plutôt que d’attendre que les gens aillent à l’église.

On achève le tour d’horizon en Espagne avec Raquel Mallavibarrena, qui rappelle que la hiérarchie catholique espagnole a toujours trop partie liée au pouvoir, comme du temps du "Catolicismo national". Son groupe, Redes cristianas, tente donc de faire entendre une autre voix catholique, respectueuse du pluralisme, et identifie les défis suivants : se coordonner avec l’Amérique latine, ne pas se couper des paroisses qui partagent les mêmes préoccupations et offrir des lieux aux jeunes militants.

L’après-midi sera bien remplie, qui offrira deux séries d’ateliers. Pour ma part, j’ai choisi l’atelier sur la guerre et la paix, animé par la délégation hollandaise (avec un témoignage ramené d’Irak : chrétiens et musulmans vivent encore en bonne entente dans pas mal d’endroits ; il n’y a pas que les minorités chrétiennes qui soient en danger là-bas : tous les Irakiens le sont ; et il est essentiel que les Occidentaux reconnaissent la part qu’ils ont prise dans la déstabilisation de la région !). Et le carrefour sur le dialogue interreligieux a donné l’occasion à trois membres du G3i de parler de leur foi, de leurs convictions, de leur chemin : un bouddhiste, un anglican et une musulmane. C’est évidemment le témoignage de cette dernière, en faveur de la diversité, d’une recherche personnelle, d’une vérité toujours à atteindre, qui a le plus touché l’auditoire.

La messe pour Monseigneur Romero, en espagnol, et des prières dans toutes les langues, nous rassemblent tous à l’issue de cette dense journée.

Le dimanche matin nous a vus travailler sur un projet de charte, puis rejoindre la Place Saint-Pierre pour l’Angelus (avec des pieds de plomb pour certaines ! Mais aussi avec nos amis James, l’anglican, et Lilia, la musulmane, ce qui était pour le coup très sympathique).

Le groupe nourrit plein de projets ambitieux pour ne pas en rester là : rassembler le travail de ces journées dans une publication, établir une liste des groupes réformateurs de part le monde, multiplier les contacts, constituer un réseau pour échanger des nouvelles, susciter des actions et des réflexions au niveau local, travailler aussi sur le chapitre "éthique" de Laudato Si, coordonner des actions à plusieurs groupes pour mettre en œuvre notre charte à paraître, mettre sur pied un comité de vigilance des cas de corruption des autorités religieuses, et... se retrouver en Amérique latine en 2018 pour le 50e anniversaire de la Conférence de Medellin, et en 2021 en Afrique ! Inch’Allah !


Sylvie Kempgens (Communautés de Base)

Notes :
[1]. Lesbiennes, bisexuelles, gay et transsexuelles.

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