Le 8e Congrès International des Groupes de Prêtres Mariés s’est tenu à Madrid
Pierre Collet
Publié dans HLM n°142 (12/2015)
Du temps de la Fédération Internationale des Prêtres Catholiques Mariés, unitaire et mondiale, des Congrès se sont tenus tous les 3 ans, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne, au Brésil, aux États-Unis, jusqu’en 2005 à Wiesbaden en Allemagne : 7 Congrès sur 20 ans. L’évolution vers une décentralisation, accompagnée sans doute d’une certaine lassitude et de l’usure du temps, n’a plus mobilisé depuis lors les mêmes énergies qu’auparavant et quelques différences de sensibilités, voire des incompréhensions assez marquées, ont pesé sur les débuts de ce qu’on espérait être une ‘confédération’ de fédérations continentales. Les contacts intercontinentaux ont diminué au point de disparaître totalement, sauf entre la Fédération européenne et la Fédération latino-américaine.
Même si la décision de ce 8e Congrès et sa conception dans les grandes lignes ont été adoptées à la réunion européenne de Bruxelles en 2014, on comprend donc bien pourquoi la préparation en a été prise en charge par le mouvement espagnol MOCEOP.
La rencontre s’est tenue au Centre de Congrès Fray Luis de Leon à Guadarrama, à quelques dizaines de kilomètres de Madrid, du 29 octobre au 1er novembre 2015. Ce fut une réussite incontestable, tant du point de vue de l’organisation qu’en ce qui concerne le contenu. Bravo et merci à nos amis espagnols et à la trentaine de délégués qui avaient fait le voyage depuis l’Amérique latine. Notre invitée brésilienne Silvia Regina de Lima Silva, du Département œcuménique au Costa Rica, a beaucoup impressionné l’auditoire en renouvelant de manière très personnelle la lecture féministe de trois textes des évangiles. La table ronde qui a fait connaître une série d’expériences originales d’animation communautaire ainsi que la conférence du jésuite espagnol José Antonio Estrada ont ouvert des horizons assez insoupçonnés et ont permis de riches échanges en ateliers. Et tout cela dans une entente excellente, car nos trois interprètes étaient d’un professionnalisme aussi remarquable que convivial.
Nous avons profité du Congrès pour nous interroger sur la pertinence et l’avenir éventuel de notre mouvement de prêtres mariés. Deux réunions se sont tenues avec les représentants des 15 pays participants : une certaine diversité d’opinions est apparue, bien naturelle d’ailleurs, mais il faut souligner la bonne volonté, la capacité à écouter et surtout la décision d’arriver à des accords. Il ne fait aucun doute que l’Esprit de Jésus était présent parmi nous et nous a aidés à nous rencontrer en profondeur.
Il était assez clair que les deux fédérations présentes (latino-américaine et européenne) partageaient une vision fondamentale commune : le désir d’une réforme en profondeur de notre monde et de notre église, ainsi que d’un renouvellement dans la ligne de l’évangile et d’une maturité plus adulte des communautés où nous sommes intégrés, mais aussi des ministères qui y sont exercés, y compris le presbytérat ; en même temps, nous sentons bien que les situations et les horizons géographiques et culturels où nous vivons nous font percevoir la réalité et nous engagent avec des particularités différentes, inévitables et même nécessaires. Il faut tenir compte dès le départ et de cette unité et de cette diversité. C’est la vie elle-même qui les impose et c’est une richesse.
Étant donc bien entendu que la priorité reste la
vie et la foi des communautés concrètes et particulières, les prêtres mariés
présents ou représentés dans ce Congrès n’ont visiblement pas voulu renier leur
passé, se "protestantiser" comme certains le leur reprochent, encore moins
se couper de toute la tradition catholique : une "communauté
adulte" n’est pas synonyme de "sauvage" ou "anarchique", même si ce que vivent aujourd’hui
certaines d’entre elles peut y ressembler. Nous
pensons que c’est une étape qui ne demande qu’à être discutée. Renvoyons une
fois encore au dernier livre d’Albert Rouet : Prêtres. Sortir du modèle unique. Et remettons les choses et les
gens à leur place : la prêtrise – des ‘anciens’
au service d’une communauté ? – doit redevenir une fonction, et cesser
d’être pensée comme un état de vie et moins encore comme un statut…
Nous avons regretté le manque de réponse des Philippines et de l’Amérique du Nord et nous avons pris conscience de la particularité de l’Afrique noire dont nous n’avons rencontré qu’un seul représentant. Nous n’avons donc pas pu assumer le défi de confédération mondiale de manière exhaustive, mais nous avons estimé souhaitable de continuer à collaborer avec nos limites dans diverses activités et à partager nos expériences et nos réflexions. Nous faisons donc circuler en ce moment, dans les 15 pays et quelques autres, les idées de base d’un communiqué que nous rendrons public à l’Épiphanie de 2016. D’après ce qui s’est exprimé lors des réunions, le contenu de ce communiqué pourrait suivre les lignes directrices du Message final du Congrès que nous vous livrons ci-dessous.
Pierre COLLET
12 novembre 2015
Message final du Congrès
Une centaine de personnes venant de 15 pays et appartenant au mouvement international de prêtres catholiques mariés, se sont réunies du 29 octobre au 1er novembre à Guadarrama (Madrid, Espagne) pour y tenir un congrès international sur le thème "Prêtres dans des communautés adultes". Ce fut un événement particulièrement remarquable... On a pu compter sur la participation de 30 personnes qui avaient fait le déplacement d’Amérique latine malgré la distance et le coût. Cet événement se situe dans un processus déjà ancien de 7 autres congrès internationaux, ainsi que de 7 congrès continentaux en Amérique latine, et d’autres encore.
Nous appartenons à ce vaste groupe de croyants en Jésus de Nazareth, avec lequel nous revendiquons depuis une quarantaine d’années par la parole et par l’action la liberté de choisir le célibat pour les prêtres de l'Église catholique occidentale.
Notre parcours en tant que groupe a élargi la perspective initiale centrée sur le célibat, pour aller plus loin vers un modèle de prêtre non-clérical et un modèle d’Église qui ne repose pas sur une prêtrise exclusivement masculine, célibataire et cléricale.
Notre objectif dans ce Congrès était clair : "analyser et faire le point" - après bientôt quarante ans de cheminement dans les communautés de croyants auxquelles nous appartenons, tant au plan personnel qu’au niveau de l’Église.
Pour ce faire, nous avons partagé et réfléchi sur diverses expériences de communauté, dont certaines ont été travaillées et publiées dans un livre sous le même titre ("Prêtres dans des communautés adultes"). Nous avons bénéficié de l’aide précieuse de deux conférenciers (Silvia Regina de Lima Silva, brésilienne, et Juan Antonio Estrada, espagnol), des participants à une table ronde, et du travail effectué dans les différents ateliers.
Après cet important événement, nous voulons souligner les conclusions suivantes :
1. Nous sommes convaincus – et nous sommes d’accord en cela avec d'autres communautés de l’Église – que le modèle dominant et répandu du christianisme est obsolète même s’il n’est pas terminé; et bien loin d’aider à la mise en œuvre du Règne de Dieu, il est souvent un obstacle pour vivre les valeurs évangéliques. Un nouveau modèle d’Église est urgent pour pouvoir collaborer face aux défis auxquels les humains sont confrontés.
2. Pour le renouvellement de l’Église et des communautés de croyants vers un modèle communautaire actif d’Assemblée du Peuple de Dieu, il faut un changement de structure ; les simples changements personnels ne suffisent pas. L’inertie des siècles agit comme un poids mort et empêche tout changement de progrès.
3. Notre itinéraire nous a permis d’expérimenter et de comprendre que l'axe de cette transformation ne se situe pas chez les prêtres – célibataires ou non : ce n’est pas le problème principal – ni dans la hiérarchie ecclésiastique, mais dans les caractéristiques de la communauté : seules les communautés adultes, matures, peuvent mener à bien cette transformation structurelle nécessaire et urgente. La structure actuelle ne peut que perpétuer l’immobilisme et des changements formels sans aborder le fond.
4. Ces communautés adultes – elles existent déjà, sont parfois ignorées ou persécutées, mais à encourager – sont des communautés dont les membres vivent l’égalité, la responsabilité, la fraternité et la solidarité, sans que ce soit autour d’une personne - le prêtre - qui a concentré sur lui-même à travers l’histoire toutes les tâches et toutes les responsabilités.
5. Cet âge adulte et cette majorité leur permettent de s’adapter aux besoins sociaux et culturels de notre monde en mutation, de vivre et de formuler la foi d’une manière différente et de s’organiser de l’intérieur à partir de ses besoins. Elles sont libres et exercent la liberté. Elles ne vivent pas de l’obéissance, mais de la créativité.
6. Et enfin, parmi ses caractéristiques, il y a le fait de choisir et de confier les charges et les ministères à des personnes qu’elles considèrent comme préparées et jugées aptes à cela, sans distinction de sexe ou de statut. Elles cherchent à être des communautés ouvertes, inclusives, dans le pluralisme et le respect.
Nous avons trouvé des communautés de ce genre et nous y participons. Elles ne sont pas un rêve mais une réalité, malgré leurs défauts. Et nous sommes déterminés à continuer à nous battre chaque jour pour qu’elles soient plus nombreuses et authentiques.
Ce n’est pas facile. Nous sommes conscients de la nature problématique de notre engagement : nous frôlons parfois l’illégalité; mais ce n’est pas du caprice ou de l’arbitraire; c’est par fidélité aux valeurs profondément évangéliques.
Et nous pensons que les défis d’aujourd’hui nous obligent à ouvrir des chemins dans ces domaines inexplorés, à être créatifs, à reconnaître et à promouvoir le rôle premier des communautés et à réaliser ainsi les intuitions de Vatican II : elles nous ont donné une telle espérance avant d’être remises au placard comme dangereuses, et elles retrouvent aujourd’hui avec le pape François toute leur actualité et leur pertinence dans notre Église.
Nous invitons tous les croyants en Jésus à être courageux et à avancer sur ces chemins de créativité et de liberté pour rendre chaque jour plus réel l’Évangile de la miséricorde et de la responsabilité pour les êtres humains et pour notre Mère la Terre.
Guadarrama, 1er novembre 2015.
Pierre Collet (Hors-les-murs)