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Prêtrise ? Il faut changer de modèle...

Daniel Vanhoutte
Publié dans HLM n°150 (12/2017)

Nos amis flamands mènent des réflexions et produisent des analyses qui sont fort semblables aux nôtres, et à celles qui sortent un peu partout en Europe Occidentale, même si elles ne sont pas partagées par tout le monde. C'est ce qui nous a poussés à faire connaître cet article de Daniel Vanhoutte de Torhout. Dans le même ligne, on lira aussi avec intérêt l'excellent petit livre de Daniel Leroy.[1] L'auteur est un expert en organisation : constatant l'échec évident des politiques actuelles de restructuration des paroisses, il en arrive à la même conclusion que c'est à partir de la base "réelle", celle des laïcs, que tout doit être repensé. 

 


Jésus et ses apôtres n'étaient pas prêtres. Pourtant, dans l'Église catholique, une caste de prêtres s'est progressivement formée, et l'Église a évolué vers une église à deux étages, les laïcs et les ministres ordonnés. Au fil du temps, ce dualisme structurel a été solidement étayé par la théologie et le droit de l'Église, deux domaines qui étaient le monopole du clergé masculin jusqu'à la fin du siècle dernier. Le pape Jean-Paul II s'est également attelé à une révision du droit ecclésiastique et à la rédaction d'un catéchisme général pour l'église universelle (publié en 1992). Il a aussi clos de manière définitive toute discussion sur le célibat et sur la prêtrise des femmes. 

Tout cela signifie que les plus hautes autorités de l'Église tiennent fermement au modèle clérical. Il y a en effet des raisons à cela, parce que si l'Église ouvre la prêtrise aux femmes, on peut s'attendre logiquement à ce qu'il y ait des femmes évêques et cardinales et peut-être même finalement une femme pape. De même, l'existence de prêtres mariés pourrait également donner lieu rapidement à la nomination d'évêques mariés, de cardinaux mariés et d'un pape marié. C'est donc diabolique, car ce serait une rupture inacceptable dans la tradition. Raison de plus pour continuer à secouer le cocotier car d'elles-mêmes, les autorités de l'Église ne renonceront probablement jamais à leurs privilèges cléricaux. 

1. Le prêtre comme médiateur entre nature et surnaturel 

En Flandre, il y a encore des milliers d'hommes et de femmes qui travaillent comme bénévoles non rémunérés pour l'Église locale, et pourtant, il n'y a qu'une poignée d'ordinations de prêtres chaque année. Comment cela se fait-il ? Quelle est la cause de cette résistance face au ministère ordonné ? Est-ce seulement le problème du célibat obligatoire ? Ou est-ce également lié au concept ecclésiastique de prêtrise ? Et qu'est-ce qui ne va pas avec ce concept ? 

Lorsqu'on essaie de décrire ce qu'est la tâche spécifique du prêtre, on peut distinguer trois composantes majeures : le prêtre est le guide, l'administrateur et l'animateur de la communauté locale. Cela soulève trois questions. Tout d'abord, pourquoi faut-il que ce soit un homme ? Deuxièmement, pourquoi doit-il être célibataire ? Et troisièmement, pourquoi un prêtre doit-il être ordonné ?

Historiquement, il semble très clair que la prêtrise chrétienne n'est pas une invention, mais plutôt une version christianisée de la prêtrise qui existait dans toutes les autres religions à l'époque des débuts du christianisme. L'arrière-fond sous-jacent est celui du lien de la religion à une vision du monde dualiste de la nature et du surnaturel. Pour le christianisme aussi, le prêtre est toujours considéré dans le domaine de la liturgie et des sacrements comme le médiateur sacré entre deux ordres. En faisant cela, nous soutenons l'affirmation selon laquelle "le christianisme charrie encore beaucoup de poids mort non chrétien" ou – plus fort – que «le christianisme est rempli de paganisme» ou qu' "il y a encore beaucoup de superstition dans la foi". 

Sur le sacrement de l'ordre, les textes du catéchisme catholique romain de 1992 en disent long (§1536-1571). Citation : « L'intégration dans un de ces corps (ordres) se faisait par un rite appelé ordinatio, acte religieux et liturgique qui était une consécration, une bénédiction ou un sacrement. Aujourd'hui, le mot ordinatio est réservé à l'acte sacramentel qui intègre dans l'ordre des évêques, des prêtres et des diacres et qui va au-delà d'une simple élection, désignation, délégation ou institution par la communauté, car elle confère un don du Saint-Esprit permettant d'exercer un "pouvoir sacré" (sacra potestas cfr. LG 10) qui ne peut venir que du Christ lui-même par son Église. L'ordination est aussi appelée consecratio, car elle est une mise à part et une investiture par le Christ lui-même pour son Église. L'imposition des mains de l'évêque, avec la prière consécratoire, constituent le signe visible de cette consécration." (§ 1538). 

De tels textes confirment que le prêtre est incorporé par son ordination dans un état séparé et acquiert un pouvoir exclusif en tant que représentant du Christ lui-même. Luther et la Réforme protestante ont aboli cette forme de prêtrise ainsi que les autres sacrements en disant que tout croyant peut avoir une relation directe et personnelle avec Dieu sans médiateur ordonné. Mais cela n'a pas résolu grand chose parce que le protestantisme a aujourd'hui autant de difficultés avec la sécularisation que le catholicisme. Il faudrait donc aller plus loin. 

Le problème fondamental des Églises dans le monde occidental est l'évaporation silencieuse de la foi en Dieu. Cette "éclipse de Dieu" a tout à voir avec l'implosion de la vision du monde obsolète qui l'accompagne. S'il n'y a pas de double réalité, on n'a plus besoin de médiateurs sacrés entre les deux ordres d'un dualisme ontologique. 

2. La nécessité d'une nouvelle conception du prêtre

Pour Hans Küng, il y a trois problèmes majeurs dans l'Église : la structure médiévale, la théologie médiévale et la liturgie médiévale. Au moyen âge, l'Église a connu indéniablement une floraison impressionnante et influencé la culture et la civilisation occidentales, mais elle a mal géré la confrontation avec la modernité émergente et a continué à se valoriser de manière hautaine. C'est d'ailleurs l'évêque de Bruges, De Smedt, qui a appelé l'Église au concile dans les années 60 à se défaire "du légalisme, du cléricalisme et du triomphalisme". Cela semblait prometteur, mais en attendant, nous sommes un demi-siècle plus tard, et il n'y a pas eu beaucoup de renouvellement réel chez nous. L'Église catholique a toujours un profil à prédominance tridentine. 

L'un des principaux problèmes du système ecclésial actuel est la théologie conservatrice. On sait bien que la théologie des Pères de l'Église était largement remplie d'idées dérivées de la philosophie grecque de la période hellénistique. Cela a donné au christianisme un cadre intellectuel pour accentuer fortement son enseignement contre toutes sortes d'erreurs hérétiques de cette époque. La théologie chrétienne a été fortement influen-cée dès le départ par un contexte historique spécifique, mais avec l'arrivée et le développement de la modernité occidentale, ce contexte a changé tellement que la théologie classique a largement perdu de sa force d'expression. L'Église est restée théologiquement bloquée dans des concepts prémodernes. En conséquence, le fossé entre l'Église et le monde moderne s'est creusé de manière toujours plus large et plus profonde au cours des derniers siècles. Actuellement c'est le vide total, on a atteint le fond. 

La crise actuelle de l'église est essentiellement une crise de la foi, qui est le résultat de l'ancrage difficile de la foi dans une théologie obsolète qui rayonne dans tous les domaines de la vie ecclésiale tels que les sacrements, la liturgie, la morale, la catéchèse et la vision sur les ministères. La structure de l'église est encore ancrée dans le dualisme entre laïcs et ministres ordonnés. Le coeur du problème des vocations n'est donc pas le célibat mais le fondement théologique du concept habituel de prêtre. 

On a donc grandement besoin d'un nouveau concept de prêtre, mais il est impossible à réaliser sans un renouvellement théologique en profondeur. Et nous ne sommes pas près d'y arriver parce que beaucoup de concepts théologiques ont été sacralisés par la tradition de sorte qu'ils durent pour toujours. En faisant cela, l'église catholique s'est elle-même condamnée à l'échec. C'est tragique à quel point l'église d'aujourd'hui doit payer pour la fierté cléricale de son passé. 

Les religions sont cependant des produits culturels humains et sont, en tant que tels, dessinés par l'historicité et donc susceptibles de changement et de renouveau. La notion d' "historicité" se réfère non seulement à la vérité historique, mais aussi à l'interconnexion de la culture avec le contexte concret du temps et de l'espace. Si en outre nous reconnaissons que l'histoire et la tradition ne sont pas des données statiques, mais une combinaison complexe de continuité et de discontinuité, nous avons un argument supplémentaire pour défendre le changement et le renouvellement. Et en outre il nous faut veiller à ne pas interpréter les projets de "ressourcement" et de "nouvelle évangélisation" comme des "retours vers le passé". Le défi est aujourd'hui d'alléger la foi chrétienne de son ballast historique. Si jamais il devait y avoir un nouveau concile, cela ne pourrait être qu'un concile théologique parce que beaucoup de vieilles formulations sont complètement usées. 


Daniel Vanhoutte - Belgique flamande)

Notes :

Daniel VANHOUTTE, juin 2016

Source : “Evangelie Levens-nabij”

traduction : Pierre Collet

[1]  Daniel R Leroy, Voorbij de crisis in de kerk ? Van ambt tot voorganger, 130 pages, 6,50 € port compris, à commander chez l'auteur, Arthur Verhaegenstraat 15, 9000 Gent, dani.leroy@skynet.be - compte BE12 7374 3504 0292. On peut en trouver une brève présentation par l'auteur sur http://www.dominicusgent.be ainsi qu'une longue critique très détaillée par Arseen De Kesel sur http://www.bezieldverband.be/boekbespreking-van-ambt-tot-voorganger



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