72 compagnes de prêtres témoignent
Gino Hoel
Publié dans HLM n°150 (12/2017)
On se prend ces témoignages en pleine figure. Ces morceaux de vie retournent le ventre, on est parfois obligé de s’arrêter en raison de l’émotion qui étreint : « Des compa-gnes de prêtres se livrent » [1] explique la genèse de tant d’amours, et par là même, de tant de souffrances de prêtres avec des femmes et des hommes, tapis dans l’ombre, cachés, réunis par l’association Plein Jour. (http://plein-jour.eu/wordpress/)
Des prêtres pris entre deux feux, entre l’Église et l’amour ; des compagnes/ compagnons, victimes de cet entre-deux, de cette autre qui régit la vie du compagnon prêtre : l’Église. Dieu n’a en effet rien à voir là-dedans, il apparaît même comme un révélateur. L’Église, elle, ne montre nullement sa maternité, ni même son « expertise en humanité » : on a parfois l’impression que, par le biais de ses serviteurs, elle agit en belle-mère, voire en marâtre, insensible et inhumaine, dépourvue de sensibilité ; jalouse. Est-ce là le témoignage chrétien ? Le témoignage du prêtre serait-il de meilleure facture dans le célibat que dans le couple ? Nullement : nombre de prêtres sont obligés de quitter le ministère parce qu’ils vivent une histoire d’amour qui leur a permis de se révéler, selon le témoignage des communautés souvent unanimes sur leurs qualités pastorales. Que de gâchis ! Que de souffrances !
« Cette discipline des hommes n’est pas conforme avec l’Évangile, ni avec les dons de l’Esprit. La grâce peut aider la nature mais elle ne saurait s’y substituer. Il n’appartient à aucune institution de demander ce que Dieu ne demande pas. Encore moins d’ignorer les dispositions naturelles au célibat ou non. Longtemps l’institution a prétendu que c’étaient les moins bons qui s’en allaient. Aujourd’hui elle se garde bien de maintenir une telle affirmation, préférant fermer les yeux sur le non-respect du célibat auquel s’engage le prêtre de l’Église latine. » Le témoignage de cet ancien prêtre ne manque pas de bon sens et rappelle en effet ce qui fut longtemps affirmé par la hiérarchie vis-à-vis de ces prêtres « défroqués » ; il ne s’agissait que d’un écrémage naturel… Or, ces départs en pagaille[2] n’ont jamais été compensés par un afflux de séminaristes, loin s’en faut, et quantité d’évêques fermèrent de fait les yeux sur certaines situations – qui ne posaient aucun problème à partir du moment où cela restait caché – pour maintenir les structures. Ces cas ne furent pas rares où un prêtre en responsabilité fréquentait en même temps une chrétienne (souvent), rencontrée au gré de sa mission… Que s’était-il passé soudain chez ces hommes ? Une compagne de prêtre propose cette analyse : « Élevés dans une foi catholique autoritaire, où l’idée même du sexe était péché, ces hommes ont été formatés dès l’âge le plus tendre dans leurs familles ou les séminaires, à une défiance confinant à la haine de la femme-Ève. Seules, les mères, Marie, ou les vierges étaient sinon pieusement reconnues, en tout cas, tolérées. Les voilà, une fois prêtres, lâchés dans la vie avec pour seule armure leur ordination, "en proie" aux femmes, nombreuses et efficaces dans les diverses associations de l’Église. Souvent, aux environs de la quarantaine, ce qui devait arriver se produisait. Une attirance physique, émotionnelle, intellectuelle, entre deux personnes partageant les mêmes idéaux, et souvent chacune avec une qualité d’être assez rare. » Un cataclysme se produit alors : « Après avoir paniqué devant le sentiment amoureux dénommé "amitié" (le danger étant moindre !) commence le combat des deux pour comprendre ce qui leur arrive, l’inouï, la fatalité au sens des Grecs anciens. Pour l’homme, la culpabilité est au centre de cette lutte qui va se jouer entre son amour terrestre et sa fidélité à un engagement contraint, moralement forcé. "Le célibat est dans la corbeille de l’ordination, à prendre ou à laisser", me disait mon ami. Finalement, la femme est mise de côté. » Elle demeure pour l’institution, cette débaucheuse de curés, ce suppôt de Satan qui a entraîné un de ses fils en dehors de ses sentiers, sur qui elle garde malgré tout une mainmise psychologique. Certains prêtres pensent ainsi être littéralement mariés à l’Église, la femme (ou l’homme) fréquentée étant reléguée au rang de maîtresse : « Dans la relation avec un prêtre, la femme souffre. Pas l’Église. Sa règle imbécile du célibat obligatoire est cause de la souffrance de la femme. Tous deux se retrouvent pour des soirées, des week-ends, des vacances, où on joue au couple stable en sachant qu’après ces récréations viendra l’inéluctable séparation et son cortège de frustrations. » Mais, heureusement, « d’une certaine façon, elle tient les rênes de la relation. C’est elle qui décide ou non de continuer, ou bien de rompre. Lui n’a rien à perdre. Il a tout, le beurre, l’argent du beurre, le sourire ou la grimace de la crémière. S’il ne se sent pas trop harcelé, pourquoi rompre ce qui le satisfait, au moins en apparence. Cependant, on ne peut pas passer sous silence les moments parfois très tendus : reproches, demandes jamais satisfaites de la part de la compagne. Elle sait que dans tout ça, il n’y a pas d’avenir. On vit les bons moments qu’il daigne accorder… Si elle est jeune, elle renonce à une vie sociale de couple : pas d’amis communs, ni de rencontres familiales, ni l’espoir d’être mère un jour. » L’Église permet cette souffrance même si des prêtres – « une minorité » – « pren[nent] la décision courageuse de vivre leur amour au grand jour, et de quitter le ministère. Ce n’est pas facile. Perdre son image de marque, affronter familles, collègues… trouver du travail… » [...]
Des témoignages bouleversants
Faut-il multiplier les témoignages ? Au fond, tous méritent d’être cités, aucune histoire ne se ressemble, la rencontre est toujours unique. Toutes interpellent, bouleversent, émeuvent. Les femmes souffrent mais les prêtres aussi. Quand un prêtre aime une femme, la seule qui reste intacte demeure l’institution ecclésiale, on peut en prendre conscience en lisant le témoignage de l’épouse – Marie – de Mgr Raymond Dumais, évêque de Gaspé (1994-2001) au Canada, décédé en 2012, à qui ne fut jamais accordé la réduction à l’état laïc et qui subit maintes pressions (reprise d’études, retraites, rejet de la cléricature…) afin de le faire revenir sur sa décision d’abandonner le ministère pour l’amour d’une femme… Parmi la hiérarchie ecclésiale, une figure émerge, différente : celle de Mgr Guy-Marie Riobé, évêque d’Orléans (1963-1978), lequel sut accueillir ces hommes ayant abandonné le ministère ainsi que leurs conjoints. À une compagne d’un prêtre, il avait confié : « Lorsque j’ai fait mon séminaire, le célibat faisait partie du costume ; on l’endossait naturellement. Votre génération avait une toute autre conception. Ce qui l’intéressait, c’était le ministère, porter l’Evangile dans la vie. Le célibat ? Ce n’était qu’un sac à dos encombrant. Un jour, vous avez compris que le sac n’apportait rien de plus à votre mission et vous avez rejeté le sac ! » Ces mots furent prononcés il y a quarante ans et pourtant la situation est toujours la même car il demeure des prêtres, actuellement, qui renoncent au presbytérat pour un ou une autre ; il demeure aussi des prêtres qui vivent encore des relations cachées, le poids de l’institution et la peur de n’être plus rien l’emportant finalement.
L'incapacité de l'Église
L’Église persiste à penser, encore aujourd’hui, en fonction des prêtres qu’elle veut célibataires pour célébrer les sacrements. Incapable de créativité (ni dans les diocèses, ni dans les paroisses), elle se sent démunie face aux défis qu’elle devra pourtant tôt ou tard relever. Le célibat ecclésiastique en est un. Elle ne s’imagine pas remettre en cause cette discipline qui retirerait alors quasiment sa substance au prêtre, seul à pouvoir célébrer l’eucharistie et remettre les péchés. Elle est dans l’incapacité de repenser le rôle du prêtre, toujours à part dans le Peuple. Ainsi le P. José Comblin[3] (1923-2011) pointait-il cette « séparation » entre profane et sacré, « exactement ce que Jésus est venu abolir ». Et de poursuivre, au sujet du célibat : « La base est l’opposition entre le sexe et sacré. De cette manière, la séparation entre le clergé et les laïcs est encore plus grande. Car, de manière symbolique, le célibat sépare très solidement […]. Pour beaucoup de gens, l’entrée dans le monde des adultes, c’est le mariage. Sans le mariage, le prêtre reste en dehors du monde […]. En plus de cela, le célibat donne aux prêtres un sentiment de supériorité remarquable. » On imagine donc le travail colossal qui reste à accomplir, car au-delà du célibat c’est surtout la place du prêtre dans les communautés qu’il faut repenser et même refonder. Des femmes de prêtres se livrent fera date en raison de l’humanité qui s’en dégage. Il apparaît aussi comme un bon document de travail pour tous les chrétiens, clercs comme laïcs, qui souhaitent réfléchir sur le célibat presbytéral, innover, faire des propositions. Des témoignages édifiants, marquants, qui ne peuvent que nourrir la réflexion chrétienne.
Gino Hoel (Golias - France)
Source : Golias-Hebdo n° 504 du 23.11.2017.
[1] Des compagnes de prêtres se livrent, préface de J. Gaillot, éd. Golias, 2017, 19 €
[2] Cf. Jacques Musset, Sommes-nous sortis de la crise du modernisme ?, Paris, éd. Karthala, 2017, pp. 195-199. Le théologien rappelle que "si de 1960 à 1964 leur nombre est de 241, de 1965 à 1969 il s’élève à 485 et de 1970 à 1974, il croît jusqu’à 972."
[3] http://www.redescristianas.net/el-modelosacerdotaljose-comblin-teologo