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Religions, Morale, CPC ?

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°54 (3/2018)

Faut-il supprimer les cours de religions et le cours de morale non confessionnelle au profit d’un cours de philosophie ? Une question qui revient sur le tapis depuis des décennies ! Aujourd’hui, le terme philosophie a été remplacé ou complété par la nouvelle formule CPC, pour Cours de Philosophie et de Citoyenneté.

En septembre 2017, ce cours a été officiellement mis en œuvre dans les écoles secondaires de la Communauté française, des provinces et dans certaines écoles du réseau libre non confessionnel. Il vient remplacer une des deux heures du cours philosophique (religion ou morale). Les élèves qui le souhaitent peuvent même opter pour une deuxième heure CPC, en lieu et place de l’heure religion/morale restante !

Si la mise en place du CPC dans l’enseignement primaire en septembre 2016 avait mis au jour les difficultés d’emploi et d’horaire pour les professeurs concernés, l’arrivée du CPC dans le secondaire est venue confirmer toutes ces difficultés : une situation intenable selon les personnes directement confrontées à ce changement.

Du côté des partis politiques,  les prises de position ne laissent planer aucun doute. Ainsi Rudy Demotte (PS) était venu seconder la Fapeo [1] et le Centre d’action laïque dans la demande de dispense des heures de cours philosophiques (Religion/Morale). Concrètement, les élèves dispensés peuvent suivre 2 heures de CPC.

Le 8 décembre 2017, des parlementaires MR ont déposé une proposition de décret pour rendre obligatoires les 2h de CPC. Le cours de religion pourrait toujours être assuré, à la demande, respect de la Constitution oblige ! Le MR justifie son choix en se référant à la commission d’enquête de la Chambre sur les attentats : « Les enjeux du vivre ensemble sont aujourd’hui cruciaux. Le renforcement de l’éducation citoyenne et l’approche socio-historique des faits religieux sont les meilleurs remparts contre les discours haineux, les fake news, les théories du complot, le rejet de l’autre et de la société. »[2]

Du côté des autorités religieuses, la position est tout aussi tranchée ! Il n’est pas question de toucher à l’enseignement religieux ! Elles se retranchent derrière des arguments maintes fois entendus : « on a toujours fait comme ça, les enfants ont droit à connaître leur religion, c’est garanti par la Constitution, la spiritualité fait partie de l’éducation. »

Ces arguments méritent d’être questionnés ! Le "on a toujours fait comme ça" est une attitude défensive qui ne fait que dévoiler la peur du renouveau. Une remise en question du cours de religion ne risque-t-elle pas d’ouvrir la porte à d’autres remises en question comme le financement des cultes[3] et le subventionnement des bâtiments de l’enseignement libre ?

S’il est vrai que "les enfants ont droit à connaître leur religion", il est légitime de se demander si c’est bien là le rôle de l’école ? Car  "connaître sa religion" relève d’une catéchèse, qui se définit comme une  "instruction religieuse".[4] Les professeurs de religion seraient-ils des mamans ou papas catéchistes ?

Si la Constitution garantit un enseignement religieux, c’est en faveur de ceux qui seraient en demande. Un cours de religion non obligatoire, offert à qui le demande, ne s’oppose en rien à la Constitution.

S’il est vrai que "la spiritualité fait partie de l’éducation", encore faut-il s’entendre sur le terme. La spiritualité n’est-elle que religieuse ? L’Église ou les Églises ont-elles le monopole de la spiritualité ?

À côté des prises de position des politiques et des autorités religieuses, il est aussi essentiel d’interroger les gens de terrain, les professeurs de religion qui ont un peu ou beaucoup d’années d’expérience dans l’enseignement officiel. Ils ne chantent pas à l’unisson, tant s’en faut ! Il y a ceux qui ont peur pour leur emploi, ce qui est légitime, mais qui ne voient leur salut que dans le maintien de la situation acquise par le Pacte scolaire. Ils dénoncent une laïcité qui voudrait, disent-ils, renvoyer le religieux dans la sphère privée. Ils confondent, sciemment ou non, instruction religieuse, quête spirituelle, conviction, recherche de sens. Ils sont aidés en cela par ceux qui soulignent le danger d’une certaine paresse intellectuelle[5] ou qui crient à l’attitude criminelle.[6]

Une autre voix essaie de se faire entendre dans le monde de l’enseignement religieux, une voix qui prône l’ouverture et la remise en question en lieu et place d’une position défensive.

Les tenants de ce renouveau partent d’un double constat. Il apparait d’abord évident que la mise en place du CPC dans l’école officielle débouche sur une situation intenable, tant au niveau de la confection des horaires que des problèmes d’emploi pour les professeurs. Mais au-delà de ce problème purement fonctionnel, il y a une dimension sociétale qui interpelle, c’est la place du "religieux". La non-évidence de Dieu fait partie du quotidien, il est donc indispensable de repenser le rapport au religieux.

La réflexion qui est proposée par cette deuxième voix se mue en une nouvelle voie, celle d’un cours unique pour tous, qui s’ouvre aux questions de sens, éclairées par les apports des différentes convictions.

Cette nouvelle voie est étayée par des arguments sérieux, elle ne cherche pas tant à s’imposer qu’à questionner. Elle pose les jalons d’un cheminement qui devrait enrichir l’enseignement, et par là le vivre ensemble. Elle nous emmène sur des sentiers qu’il est bon d’explorer !

Il y a d’abord un problème de terminologie quand on parle de "neutralité". C’est un concept mal défini, et donc utilisé pour les besoins de la cause. Il y a une confusion entre la neutralité des institutions et la neutralité des personnes. « La neutralité est un moment méthodologique et non une finalité de la connaissance.»[7] Un enseignant neutre n’est donc pas un enseignant inodore, incolore et insipide, mais un enseignant qui peut attester de sa rigueur, par le titre académique qu’il a acquis et auquel il ne déroge pas. Au terme " neutralité", il conviendrait peut-être de préférer le terme "pluralisme" qui implique la reconnaissance des diversités des convictions au sein de la sphère publique.

De même, il y a une confusion des concepts de foi et de religion. La foi désigne le tissu de confiance qui soutient l’existence alors que la religion désigne une institution qui porte une orientation de sens.

En parlant d’un tissu de confiance qui soutient l’existence, on ne réduit pas l’être humain à sa biologie, sa psychologie et son intellect. On reconnait que son identité intime est immatérielle et qu’il est marqué par la dimension énigmatique de la vie. La question de la spiritualité et de la transcendance, non réduite au divin, est donc une question incontournable dans l’éducation. S’il est prétentieux de prétendre que seules les religions instituées peuvent se préoccuper de cette recherche, il est tout aussi guindé de prétendre que la philosophie peut assumer seule la démarche.[8] Il est donc indéniable que la philosophie est incontournable pour aider à acquérir du discernement et un esprit critique. Mais il est tout aussi indéniable qu’elle doit entrer en dialogue avec les intuitions profondes des grandes spiritualités pour une humanisation de notre civilisation. Une société pourra grandir dans la paix et dans la confiance dans la mesure où elle cherche à constituer un socle commun de valeurs et de normes, à partir d’une reconnaissance de la pluralité de ces valeurs et de ces normes.

À partir d’une brève intrusion sur ces nouveaux sentiers, il faut reconnaître que cette approche veut initier un débat pour faire évoluer les choses. Mais quels seront les acteurs qui accepteront de se mettre autour de la table, non pas pour défendre un acquis, mais pour entrer dans un dialogue de construction, celle d’un cours unique où l’humain est le sujet central, dans toutes ses dimensions ? Dimensions biologiques, psychologiques, intellectuelles et spirituelles !

Le chantier est vaste, d’autant plus vaste que le réseau catholique peut se permettre de retirer son épingle du jeu en assurant qu’il assure la formation à la citoyenneté de manière transversale. Cette disparité est dangereuse car elle risque de déboucher sur un nouveau conflit entre réseaux.

Le débat est proposé, mais est-il vraiment ouvert ? Et tous ceux qui persistent à croire qu’il s’agit de défendre des positions, comme on défend un dernier carré, n’ont pas l’air de réaliser que tout risque d’être joué après les élections de 2019. Les politiques, qui eux chantent presqu’à l’unisson, n’auront aucune peine à voter purement et simplement la fin des cours philosophiques, en les rendant optionnels, sans aucune référence au vrai convictionnel comme ciment d’une société démocratique !  


Philippe Liesse

Notes :

[1]  Fédération des associations de parents de l’école officielle

[2]  Olivier Chastel. Le Soir 18/12/2017

[3]  L’Église catholique reçoit plus de 80 % des allocations allouées aux divers cultes

[4]  Définition du Larousse

[5]  La religion n’est pas une affaire privée. Eric de Beukelaer. La Libre Belgique 04/01/18

[6]  Supprimer les cours de religion est criminel. Jean-Luc Vander Borght. La Libre Belgique 26/12/17

[7]  Jean De Munck. Professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de  communication. UCL

[8] Emmanuel Lévinas, À l’heure des nations, Paris, Minuit, 1988, p. 204. Lévinas souligne la complicité et la complémentarité de fait entre religion et philosophie, en disant qu’il s’agit de deux moments distincts mais solidaires du processus spirituel unique qu’est l’approche de la transcendance.





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