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Religion ou philosophie : le débat reste-t-il possible ?

Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°54 (3/2018)

L’appel lancé le 18 décembre dernier dans Le Soir par Thierry Barreau, Paul Verbeeren et Richard Paulissen en faveur de l’organisation d’un cours de philosophie qui laisse place au questionnement religieux est un geste courageux qui invite à ne pas clore le débat ou à l’enfermer dans une querelle entre institutions (plutôt qu’entre communautés de convictions).

Certes le rappel de la position officielle de l’épiscopat n’est pas dépourvu de nuances : il met en évidence de manière heureuse le travail d’intel-ligence critique à exercer dans le cadre des convictions et en dialogue avec d’autres. Cette posture contraste avec les discours d’un autre âge que j’ai pu lire sur le site du Soir.be : certaines réactions invitent à mettre définitivement hors champ scolaire des options religieuses considérées définitivement comme synonymes d’aliénation et d’obscurantisme. À propos des intégrismes de tous bords, un ami psychiatre énonçait régulièrement avec un petit sourire : « c’est humainement triste mais cliniquement intéressant… ». Il me paraît toutefois essentiel aujourd’hui de nous interroger sur les attitudes qui permettent le vivre ensemble et l’interrogation commune à tous les citoyens, plutôt que la séparation entre les convictions athées ou religieuses. Peut-on au XXIe siècle maintenir avec pertinence les clivages qui ont marqué et influencent encore manifestement différents modes d’expression et de réflexion en société, au détriment d’autres raisonnements ? Quelle est la manière la plus adéquate de combattre non seulement les pensées totalitaires, mais également le prêt à porter du discours consumériste qui détruit de manière insidieuse la liberté de penser ?

Dans La Libre du 5 janvier, Laura Rizzerio et Bruno Vermeire proposent de ne pas opposer l’organisation d’un cours de philosophie et citoyenneté à celle d’un cours de religion ou de morale non confessionnelle. La première est professeure à l’Université de Namur et a fait partie du groupe chargé de penser l’initiation à la philosophie et à la citoyenneté. Le second est professeur de philosophie et de religion dans l’enseignement catholique, au Lycée Martin V de Louvain-la-Neuve. Ils insistent tous les deux sur la nécessité de développer l’enseignement de la philosophie à tous les niveaux de l’enseignement secondaire avec tout l’espace de rigueur et de questionnement que cela représente par rapport à une série de questions qui rejoignent l’expérience quotidienne. Ils estiment toutefois qu’une place doit être laissée à « un discours capable de relier par la foi à une réalité qui transcende l’exercice de la raison » dans le cadre des cours de religion.

En ce qui me concerne je suis très sensible à cette argumentation. Dans ma formation première en philosophie et lettres j’ai été amené à pratiquer le questionnement philosophique tant en premier cycle qu’à Louvain (notamment sous la direction de Jean Ladrière, Paul Ricoeur, Jacques Taminiaux et Claude Troisfontaines). J’ai apprécié la diversité des approches et l’apprentissage d’une démarche qui ne consiste pas à ressasser des théories apprises. En effet, le propos de la philosophie est d’amener sans cesse à réinterpréter et interroger notre manière de vivre, qu’elle concerne notre vie domestique ou citoyenne, existence exposée à la rencontre des autres, d’autres cultures, d’autres mentalités et convictions. Les actions individuelles et collectives menées au Parc Maximilien, dans des centres de réfugiés ou en appui à des personnes privées d’emploi ne sont pas de pures réactions émotionnelles : elles invitent sans trêve à développer le souci de l’autre, la préoccupation d’une "vie bonne et juste", de la croissance en "dignité et humanité". Les "relations courtes" et les "relations longues" pour reprendre la formule de Paul Ricœur sont des facettes complémentaires d’un même engagement humain et réclament la même rigueur de réflexion.

Par ailleurs, comme l’indiquent les deux philosophes, ce souci critique mérite d’être développé également à l’intérieur des convictions religieuses et pas simplement entre convictions. Que signifie notamment parler de Dieu, se référer pour les chrétiens "au Dieu de Jésus-Christ " ? Derrière tout théisme, il y a un athéisme : professer une croyance signifie en même temps affirmer et refuser certaines représentations du divin. Le remarquable ouvrage publié par Jean Olivier fin 2017, reprend de manière synthétique les 200 entretiens qu’Edmond Blattchen a menés durant 24 ans sur le plateau de la RTBF.[1] La pratique de "l’intelligence de la foi" (ou de la non foi) peut être tout à fait complémentaire du travail philosophique mené également dans le cadre scolaire. Il me paraît urgent de ne pas laisser le terrain aux intégristes et fondamentalistes dans le contexte pluriel de nos sociétés. S’affirmer croyant dans un cadre religieux n’est pas nécessairement équivalent à une posture dogmatique, intolérante et non rationnelle, comme le rappelait dernièrement avec justesse Gabriel Ringlet sur les ondes de la RTBF. La pensée forte et ouverte, développée en théologie fondamentale chez nous par des Adolphe Gesché, Jacques Vallery, José Reding et d’autres, reste pertinente par rapport à un souci de repenser le cadre d’enseignement des religions.

Toutefois cette préoccupation est-elle réaliste dans le cadre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, quand nous prenons la mesure du coût global de l’en-seignement et des dépenses nouvelles qu’entraînera le Pacte d’Excellence ? Ne faut-il pas renforcer la coopération entre acteurs de terrain telle qu’elle se vit au quotidien dans un certain nombre d’écoles publiques, entre mem-bres d’équipes enseignantes des différents cours convictionnels ? En posant cette question, je ne prétends pas clore le débat mais j’invite à une réflexion qui dépasse le cloisonnement actuel : vivre dans l’école aujourd’hui dépasse les enjeux des diverses options et du quasi marché entre réseaux, entre les différents établissements d’une même zone ou d’un même bassin. L’option proposée par Laura Rizzerio et Bruno Vermeire s’inscrit bien selon moi dans le débat ouvert par les trois inspecteurs. Elle mérite d’être creusée afin de nous demander quel humanisme est en construction dans ce 21e siècle au-delà des communautarismes et d’une pensée forgée par la réduction de l’être humain au schéma de la production et de la consommation.


Joseph Pirson

Notes :
[1]  J. Olivier, A la recherche de sens : 200 noms de dieux. Préface du Professeur Steven Laureys. Edipro 2017.


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