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Mission

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°54 (3/2018)

Le hasard d’une fouille de tiroir. Dans la farde fanée, en latin ecclésiastique, l’encre un peu délavée, ma première Lettre d’obédience ! Oui, le Nord Kivu ! Torrent d’émotions.

L’été 62 ! Vite, en quelques courtes semaines, vite faire le tour des oncles et tantes, prêcher et faire la quête chez des curés encourageants, enfiler la soutane blanche pour rejoindre Zaventem. Puis à deux pas de l’équateur, petit professeur devant une cinquantaine de gamins avides de recevoir. Peu importe si l’outillage de dogmatique, exégèse et apologétique était mal ajusté, j’étais porté par le sentiment enthousiasmant de conforter une institution qui d’un bout à l’autre d’une province, par un solide réseau de paroisses et d’écoles, répandait la culture et consolidait la vraie foi. Enfant de chœur déjà, je me savais né au bon endroit, pas chez les communistes mécréants d’en face, mais dans la vraie religion, me réjouissant de pouvoir un jour participer à la plus nécessaire des tâches : Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant tout ce que je vous ai prescrit. (Mt 28,19-20)

Une décennie plus tard, je laissais les confrères poursuivre le programme et l’on verrait bien un jour si, après métro et boulot, mariage et paternité, s’en viendrait plus de crédibilité. Je changeais, moi. Mais mon Église, elle, n’avait pas à changer, poursuivant l’annonce de la Bonne Nouvelle, la mission qui est son cœur même.

Farde et tiroir refermés, je regarde ce matin autour de moi. Un autre monde ! Un jeune de vingt-cinq ans annoncerait-il aujourd’hui à sa parenté vouloir partir ‘en mission’, on se retournerait, interrogateur, plutôt inquiet. Mieux ! personne, même pas la hiérarchie – pour peu que je l’entende encore, à moins qu’elle soit muette, à moins que je sois devenu sourd, ce qui serait bien plausible – ne parle de mission, ne recrute pour la mission. Comme si le mot lui-même était devenu piégeux, suspect de violation des consciences, d’irrespect pour les autres croyances. Nous sommes invités aujourd’hui à « la plasticité », « à accepter l’autre tel qu’il est et l’accompagner sur son chemin ».[1]  L’on doit avancer, et c’est dans « l’inter-convictionnel » !

Désarroi et tremblement : mon Église a-t-elle elle-même changé, dans son cœur même ? Oui, partir en ONG, sans doute, certainement, oui, partir enseigner, soigner, aider. Mais annoncer ? Mais la Pentecôte, où déjà se pressaient Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce… (Actes 2,9) ? Et Paul ? Et Jésus déjà, sur la margelle du puits ? Qui aujourd’hui ?

Je l’accorde, ce n’est pas sans questionnement que l’on se retourne sur son passé missionnaire, sur la justification de la mission. Vers qui allions-nous ? En fait, vers une population en position de faiblesse. Pas question de se mesurer au shintoïsme, à l’hindouisme, encore moins à l’islam. Nous avions (dans l’ensemble !) du respect pour les Noirs, aucun pour leur philosophie ou leur religion – en connaissions-nous le premier mot ? Là devant nous, pensions-nous, la tabula rasa. Nous avions ‘tout’ à apporter, le bic et l’accord du complément d’objet direct, Adam et Ève, le butagaz et l’urne à voter. L’Afrique noire, elle, ne pouvait nous résister et même, nous semblait-il, ne voulait que nous accueillir. En principe universelle, la mission était, de fait, sélective, ciblée. Assurée mais parce que coulée dans le moule colonial à peine refroidi. Question, donc. Serait-ce par mauvaise conscience que nous serions devenus aujourd’hui à ce point réservés ?

Ou parce qu’incertains de la valeur de notre proposition ? Nous offrions un package, un service complet, culture, démocratie, économie, technique, avec la religion romaine comme noyau et inspiration. Nous étions confiants dans le progrès à venir, dans notre capacité à contenir le danger communiste, à vaincre la faim dans le Tiers-Monde, à revitaliser l’Église dans l’enthousiasme de Vatican II. Ce ne serait qu’une question de temps. Nous voici désormais à douter. Sans doute pas tant de la religion elle-même : si nos contemporains mesurent chichement leur confiance en l’Église, ils ne mettent pas en question la qualité d’humanité du message et de l’exemple de Jésus. Mais à douter de la vertu de notre mode de vie, de notre démocratie, de notre package. Un ressort s’est cassé. Nos propres sociétés ne nous semblent plus capables, peut-être même pas désireuses, de contenir la rapacité des puissants, d’obtenir la justice fiscale, de garantir la protection de chacun des citoyens. Irions-nous donc aujourd’hui, Européens désenchantés, annoncer un évangile dont nous n’avons pas pu animer nos propres sociétés, prôner une foi dont se désintéresse la majorité de nos compatriotes, promouvoir au-delà de nos horizons des valeurs que nous n’arrivons pas à défendre contre nos droites extrêmes en expansion ? Le trouvons-nous encore bien présentable notre Dieu blanc, convaincant ?

Nous nous installions sans gêne hors de nos frontières et présentions avec assurance notre catéchisme en kyrielles d’homélies préformatées. Ils viennent chez nous aujourd’hui, en appellent au respect des droits de l’homme pour défendre celui d’être accueillis. Et … nous bégayons.

Ces hypothèses sur un présumé désintérêt, aujourd’hui, pour la mission ont-elles quelque pertinence ? À chacun de jauger et de réagir. Ou ne seraient-elles que le produit d’un désenchantement que l’âge n’arrive pas toujours à esquiver ?

Ceci pourrait nous rassurer quant à la pérennité de la mission. Laissant au Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation la tâche de s’adresser aux pays d’antique fondation, en voie de sécularisation, en « éclipse du sens de Dieu »[2], la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (héritière de la Propaganda Fide née à la Contre-Réforme, en 1622) considère qu’elle a toujours à s’adresser aux non-catholiques, à des peuples dont les croyances – hautement estimées comme l’on sait – sont jugées bonnes candidates à être confrontées à la propagation de la foi chrétienne.[3] « L'importance de ses responsabilités et l'extraordinaire étendue de son autorité et des territoires dépendant de sa juridiction ont valu au cardinal préfet chargé de cette Congrégation le surnom de pape rouge »[4]. Rassurant en effet.

- Tu pars où, comme ça?

-  En mission. Missionnaire.

- (selon l’époque :) Ah ! bravo ! On pensera à toi dans nos prières.

- (ou :)  Ça va ? Tu vas bien ?

Je ne rouvrirai pas de sitôt la farde fanée au fond de son tiroir. Ce mot de mission m’éclairait. Je le retrouve opaque, fermé sur lui-même, embarrassant. À l’aide !


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Nicolas de Brémond d’Ars, Plus le temps de pleurer, Golias Hebdo, n° 510, 11 au 17 janvier 2018, p. 14.

[2]  Wikipédia, « Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation »

[3]  Réflexion redoutable d’E. Lévinas, in Difficile liberté, Paris, Livre de Poche, p. 241 : « La vérité religieuse la plus douce est déjà croisade. »

[4]  Wikipédia, « Congrégation pour l’évangélisation des peuples ». S’y trouvent citées les démarches récentes du préfet Fernando Filoni, caritative en Iraq et diplomatique au Vietnam.




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