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Les Communautés de Liège chez les Compagnons de la Terre

Nous avons croisé la madonna de la transition...

Yves Vanderbempden
Publié dans CEM n°118 (3/2018)

Au détour d’un vert bocage, un vieux donjon du 8e siècle se dresse devant nous. Une rangée d’arbres hautes-tiges nous mène devant l’un des plus vieux châteaux du Benelux.

Au cœur du pays de Herve, cette ancienne région habitée depuis 20 000 ans par l’homme : c’est le berceau de la coopérative des Cortils. Ce nom date de l’époque carolingienne : « Cœur de velours, vert tendre »  caractérisait une ferme modèle entourée d’une forêt de 500 hectares et représentait l’une des principales réserves de nourriture pour la cour impériale de Charlemagne, installée à Aix-la-Chapelle toute proche.

Créer des emplois durables

Dans une aile du bâtiment au style mosan, nous rejoignons une grande salle boisée rénovée. Louis Janssen nous accueille et introduit la journée de relance des Communautés de la région liégeoise. Une trentaine de personnes présentes sous le signe de la découverte d’un beau projet d’économie sociale dans le village de Mortier.

Ariane Hermans, philosophe, ancienne d’Oxfam et de l’Asbl De-Bouche-à-Oreille nous raconte la genèse des Compagnons de la Terre, son nouveau défi associatif…

Installés sur une partie du site, ils ont repris les terres d’un ancien fermier qui continue de venir les conseiller. Ce témoin précieux connaît les lieux vulnérables du moindre espace et a remis progressivement en question son ‘aventure conventionnelle’, ouvert désormais sur cette nouvelle génération en quête d’un autre modèle de production respectueux de l’environnement.

En 2013, un groupe d’amis se posent la question essentielle : « Que faire pour la souveraineté alimentaire ? » à l’occasion d’une journée de rencontre d’associations actives dans ce créneau à Liège.

Sous ‘'impulsion d’un ingénieur agronome, ces pionniers vont plancher sur un nouveau projet : réflexions sur un lieu d’implantation, la rentabilité,  les moyens, les risques, comment rendre le métier de l’agriculteur plus facile en travaillant ensemble pour mieux gérer le stress, les multiples tâches à accomplir…

Celui-ci s’inscrit dans ce mouvement de fond de croissance du bio 3,2 % de l’agriculture en Belgique, 4 % en Wallonie actuellement, soit 50 % de croissance depuis 2008 !

Ariane nous propose un power point illustratif « Les rapports de force dans le secteur agro-alimentaire sont maintenant trop importants et leurs impacts trop considérables pour être ignorés » souligne Olivier de Schutter dans un rapport de l'ONU.

« Pour 100 euros dépensés pour l’alimentation, 8,2 euros seulement, rémunèrent les producteurs ! »

Retour sur le local, « l’objectif ambitieux est de créer 20 emplois directs et durables d’ici 2021 et d’assurer les besoins alimentaires pour un millier de familles […] Nous sommes une coopérative de production (chaque part coûte 250 euros), nous devons être rentables dans l’économie sociale […]»

Redevenir acteurs de notre alimentation

Petit retour en arrière pour mieux cerner les enjeux globaux.

« L’agriculture est en crise. Chaque semaine, 62 agriculteurs ont quitté la profession  entre 1990 et 2011 [...] 30 % ont plus de 60 ans... A la naissance de la Belgique, 65 % des gens travaillent dans l’agriculture pour 1 % aujourd’hui. Les fermes qui subsistent sont très souvent de grandes exploitations très mécanisées ancrées dans la production intensive... »

Dans ce contexte, de nouveaux acteurs ont surgi et mobilisé leur énergie pour créer la ceinture alimentaire liégeoise qui s’étend progressivement à toute la province.

Ils veulent développer des systèmes locaux et diversifiés, réduire la dépendance au pétrole, redevenir acteurs de notre alimentation, avoir des pratiques transparentes agricoles avec un juste revenu pour les producteurs... Les exemples d’initiatives sont légion : vin de Liège, Coopérative Ardente, Le Temps des Cerises, les Petits Producteurs, Point Ferme, Cycle en Terre (Semences), Brasserie Coopérative (bière), Ferme Désiré à Theux, Fungi op (champignons), Asbl La Bourrache ...

Parole aux invités. Une interpellation de l’amie Angèle soulève le problème lancinant du prix du bio plus élevé : moins accessible pour de nombreuses familles ?

Ariane informe des possibilités existantes d’acheter via des groupes d’achats, des coopératives, directement chez les producteurs : cela permet  de payer certaines productions au même prix et /ou de faire des économies.

Par ailleurs, elle propose des pistes : la nécessité d’éveil des consciences, d’aider à mieux gérer son budget, comprendre les enjeux et sensibiliser, revoir les priorités de consommation, changer les habitudes alimentaires…

L’appel de la terre ... Une forme de vie communautaire

Seconde partie de l’exposé. L’ami Peter au look « mai 68 », ancien chef d’entreprise, nous explique les objectifs du domaine du Cortils, ce lieu de vie, ce bien mis en coopérative par l’ami Boudewijn.

Quelques familles hollandaises et belges (18 personnes) occupent différents espaces du château rénové.

Les promoteurs de l’association aux ressources multiples issus de professions plutôt favorisées financièrement et/ou culturellement sont  fédérés autour d'une charte de valeurs communes : l’écologie, l’ouverture sur le social, la reliance, l’éducation, l’innovation, la spiritualité ...

Une forme de vie communautaire est organisée même si chacun a son indépendance.

Ainsi tous les jours à 10 heures, les membres présents font le point ensemble autour d’un café.

Concrètement, ils ont conçu un système de récupération d’eau, favorisent  la permaculture et les technologies durables. Ils élèvent des moutons,  associent d’autres projets partenaires comme les Compagnons de la Terre…

« Notre volonté est de communiquer pleinement avec la nature et de participer à la nécessaire  transition pour répondre à l’appel de la terre ».

En attendant, Peter apprend aussi le wallon dans la chorale d’un village voisin.

L’agroécologie et l’agroforestie pour le meilleur

Après un repas de midi partagé autour d’une soupe au potiron, Ariane va nous balader à travers champs. Des nuages menaçants ne nous empêchent pas de découvrir les 14 parcelles de maraîchage cultivées : une trentaine  de variétés de légumes en production associée, quelques fruits (fraises, rhubarbe, baies de goji). A proximité, nous visitons 8 serres chauffées par le seul soleil où mûrissent les dernières tomates. Ariane met en exergue l’importance d’une culture  riche de biodiversité où plantes, fleurs, légumes, papillons, abeilles, coccinelles flirtent ensemble... « Les Compagnons de la Terre, ce sont aussi 6 hectares de blés, 377 arbres plantés en 2016 dont de nombreux fruitiers, notamment des anciens pommiers disparus dans les années 80 [...] » Ils inscrivent également leur action dans des échanges Nord-Sud avec des associations au Mali et au Burkina Faso « Un arbre ici pour un arbre là-bas ».

« Après une reconversion de 3 ans, nous avons obtenu la certification bio début 2017[…]. Le respect du sol est fondamental, nous avons retrouvé la traction animale au détriment du labour habituel... La terre nourricière est en dessous, elle est juste remuée pour conserver toute sa force ... »

Ariane nous montre aussi un croquis illustrant les services rendus par l’arbre : il améliore la structure du sol, crée un micro climat, apporte des nutriments essentiels...

L'agroécologie et l'agroforestie mariées pour le meilleur.

Autres questions. Elle met en évidence l’importance d’aller à la rencontre des consommateurs sur les marchés et les nombreux partenaires , canaux de distribution organisés en réseau.

Côté gestion, les difficultés résident principalement  dans ce souci d’assurer une bonne gouvernance pour l’association : « trouver un équilibre entre le besoin de structure et d’autonomie »,  c’est le défi permanent…

Cet autre monde

Nous reprenons un autre chemin un peu boueux. Au loin, une belle fleur rappelle l’emplacement de l’ancien charbonnage de Blegny. Ariane nous parle aussi du futur : cette volonté de démarrer l’an prochain un élevage de poules et de canards de races locales et des ateliers de transformation qui pourront valoriser les produits.

Nous traversons l’ancienne chaussée romaine Tongres-Aix.

Un rapide coup d'œil à l’ancienne ferme du château : l’un des pionniers du projet travaille dans la cour. Il replace d’anciens pavés qui permettront d’accéder à de nouveaux gîtes pour le tourisme vert. Au fond à gauche, regards sur l’étang qui donne un air romantique au site. Rapide passage au petit magasin, où il nous est possible d’acheter les légumes frais du jour, l’abondance de potirons annonce Halloween…

Le temps d’un goûter  autour d’un morceau de tarte, c’est l’heure de quitter cet autre monde où « Demain » a déjà commencé. Comme dans un rêve, nous avons croisé « la Madonna de la transition », là-haut sur la colline… Songe ou réalité ?


Yves Vanderbempden (Communautés de Base)

Notes :
Les Compagnons de la Terre : www.cdlt.be


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