El Kalima a 40 ans. Quel avenir ?
François Mougenot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°56 (9/2018)
El Kalima (La Parole), centre chrétien pour les relations avec l'Islam, a 40 ans cette année. Je viens de participer à l'Assemblée Générale annuelle. J'avais, en m'y rendant quelques appréhensions. Lors de l'AG de 2016 (la dernière à laquelle j'avais pu participer), j'avais eu l'impression d'un certain désintérêt de l’Église de Belgique pour cette institution créée par elle en 1978, alors que pourtant j'avais la conviction qu'elle répondait à une urgence renforcée par les événements graves survenus à Paris et à Bruxelles ces dernières années. Je suis sorti de cette réunion un peu réconforté. El Kalima vit toujours et a toujours le feu sacré. Je dirais même, plus que jamais. Il me reste cependant une crainte. La situation financière du centre n'est pas brillante. Et j'ai à ce sujet une incompréhension.
El Kalima dépend financièrement de l'Église de Bruxelles (le vicariat de Bruxelles). Ne connaissant pas la situation de ce vicariat, il ne m'appartient pas de juger leurs décisions ni leurs priorités, mais il me semble qu'au moins une telle institution devrait dépendre de l’Église de Belgique toute entière ou, à tout le moins francophone, et pourrait ainsi disposer d'une assise financière plus à la hauteur de ses objectifs. El Kalima joue un rôle majeur et dispose d'une expérience irremplaçable dans les relations entre chrétiens et musulmans en Belgique et il me paraîtrait tout à fait désastreux que cette expérience puisse disparaître faute de financement. Mais dans la foulée, je crois qu'il serait bon d'élargir l'assise du centre et d'en faire un véritable organe mixte et pas seulement un centre chrétien. Bien sûr il y a quelques musulmans dans l'AG mais beaucoup trop peu selon moi. Et je crois que le vicariat considère trop El Kalima comme un outil pastoral, ce qu'il n'est pas. S'il y a un volet pastoral concernant les couples islamo-chrétiens, l’essentiel des activités de ce centre est axé sur le dialogue et l'information. Je ne vais pas présenter El Kalima. Le centre dispose d'un site web très bien fait (www.elkalima.be). On y trouvera de nombreux renseignements sur l'histoire, les objectifs et les activités de l'association. Mais je voudrais citer la description qu'en donne Emilio Platti, son président : « El Kalima est une association chrétienne, active depuis 1978 et qui a pour objectif principal de favoriser et d'approfondir les relations et le dialogue entre les chrétiens et les musulmans par diverses activités, animations et rencontres ». Le mot clé de cette description est le mot « dialogue ». C'est effectivement l'ADN d'El Kalima. Avant notre réunion, Emilio Platti nous avait envoyé un texte intitulé « Le dialogue islamo-chrétien à l'épreuve ».[1] Ce texte est une sorte de plaidoyer pour le dialogue et je voudrais dire quelques mots de ce que cela représente pour moi.
Je pense que certains se méfient. Et c'est vrai, tant chez les chrétiens que chez les musulmans. Je pense aussi que parmi ceux qui se méfient, certains chrétiens croient que la volonté de dialogue existe uniquement du côté chrétien et que les musulmans sont réticents, voire opposés à ce dialogue.
Cette méfiance est sans doute la résultante de la prétention à l'universalité qui anime nos deux religions. Comment dialoguer avec quelqu'un lorsqu'on a la conviction que l'autre cherche à nous convertir ou lorsqu'on se croit missionné pour convertir l'autre. Et ce qui n'arrange pas les choses, c'est le caractère asymétrique de notre relation avec les musulmans. La majorité d'entre eux viennent de pays qui furent nos colonies et cet état de fait a laissé dans la mémoire des peuples des blessures qu'il est difficile de dépasser. D'une façon générale, vouloir convaincre l'autre n'est pas une posture de dialogue et dans le contexte actuel on peut comprendre que certains se méfient.
Si on parvient à franchir le seuil de la méfiance, un second écueil nous attend. C'est celui des dogmes. Si le but du dialogue est de faire coïncider les fondements de nos religions et d'effacer les divergences, la démarche est vouée à l'échec. Je voudrais citer ici les paroles du Grand Shaykh d'Al-Azhar, une des plus hautes autorités du monde sunnite. Pour lui, il ne faut pas débattre au sujet des articles du credo de chacun, ce qui inévitablement mène au conflit. Il cite le Coran (49 : 13). « Dieu nous a créés pour que nous nous connaissions entre nous » et il ajoute « et non pour que nous nous combattions et nous nous tuions les uns les autres ». A propos du dialogue islamo-chrétien, il dit « nous n'allons pas commencer par discuter de la Trinité, c'est inutile, on s'est écharpé la dessus depuis des siècles ». Et il définit le dialogue comme étant une démarche consistant à « rechercher ce que les humains ont en commun entre eux ».
Et Emilio Platti conclut qu'au cœur de la foi, « il y a l'ouverture à l'autre et la reconnaissance de sa dignité inviolable. C'est elle qui est absolue et non des rites ou même des articulations de la foi qui sont liées à des contextes particuliers. Ce n'est que basé sur ce fondement qu'un dialogue pourra porter ses fruits ».
Que dire de plus ? A ceux (et ils sont nombreux) qui nous accusent de naïveté ou pire encore, de mettre notre société, notre civilisation ou notre culture en danger en refusant de voir le caractère fondamentalement agressif de l'Islam, il faut répondre par une information objective mais il faut mettre en avant que l'Islam habite notre avenir et que notre société ne survivra que si elle sait se montrer ouverte et respectueuse de l'autre. C'est à cela que travaille El Kalima.
Juin 2018
François Mougenot
On sait bien qu’une de tâches les plus évidentes de El Kalima consiste souvent à accompagner les couples mixtes chrétien-musulman.
Un premier dossier à ce sujet est paru en janvier 2018.
Il est disponible en format PDF sur le site www.elkalima.be
et peut aussi être envoyé par voie postale (9 euros + PAF). (NDLR)
[1] C’est une analyse remarquable et, sur certains points, très éclairante et sans concession. Elle se trouve en ligne sur notre site : http://www.paves-reseau.be/revue.php?id=1553 (NDLR).
