Est-ce que l’Amazonie manque de prêtres… ?
Jorge Costadoat
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
En Amazonie, il y a beaucoup de chrétiens, même si 30 % des communautés seulement ont des prêtres pour célébrer l’eucharistie. Il manque de prêtres, évidemment. Est-ce si évident ? L’eucharistie est-elle indispensable au christianisme ? Laissons ouverte cette question que je proposerais pour une réflexion théologique plus approfondie, mais le fait d’un christianisme sans prêtres fait réfléchir.
J’avais envie de reproduire dans cette chronique la lettre au pape de José Ignacio González-Faus pour n’avoir pas permis, dans son Exhortation apostolique sur l’Amazonie, d’ordonner les viri probati. Le théologien plaisante : il propose que les prêtres romains célibataires quittent la Curie et se rendent en Amérique du Sud pour y remplir un service pastoral. Leurs emplois à Rome pourraient être occupés par des laïcs. En revanche, ils pourraient se rendre dans les différents pays amazoniens pour effectuer des tâches qu’ils ne remplissent pas actuellement.
Je prends au sérieux la blague de González-Faus. Je ne plaisante pas : quelqu’un imagine-t-il le cardinal Sarah, préfet de la congrégation pour la liturgie, célébrant l’eucharistie au Brésil, tournant le dos au peuple et ne distribuant la communion que sur la langue ? Ce serait de la barbarie pastorale. Mais il l’a déclaré lui-même, c’est comme ça qu’il comprend le sacerdoce.
En Amazonie, il existe un christianisme sans prêtres. De quelle qualité ? Seul le Père éternel le sait. Mais, pour ce que nous pouvons savoir, en tant qu’êtres humains, un christianisme avec des prêtres romains serait probablement contre nature. Ces types de prêtres sont ceux qui sont encore formés dans des séminaires qui les déracinent de leurs cultures et communautés et les cléricalisent. Ce sont des gens qui sont arrivés en Europe après avoir reçu une formation sacerdotale très européenne et qui sont revenus en Amérique latine encore plus européens. Rome regorge de maisons de formation et d’universités qui romanisent les prêtres et en font les ministres du sacrifice eucharistique pour le pardon des péchés. Cette idée préconciliaire restrictive du prêtre n’a pas disparu, elle s’est même renforcée et constitue la fabrique du cléricalisme que le catholicisme actuel déplore partout.
L'Amazonie n’a pas besoin de prêtres, mais de prêtres qui ont fait leurs preuves dans leurs communautés en les aidant à vivre l’Évangile et en s’occupant des divisions qui les guettent. Le seul sacrifice dont ces communautés ont besoin est celui de l’amour de ceux qui se privent eux-mêmes en faveur de leurs frères et sœurs. Les viri probati ne peuvent-ils pas remplir cette mission? Il semble que oui. Les religieuses et les femmes en général peuvent-elles le faire ? Nous ne savons pas, mais peut-être qu’elles peuvent faire mieux que les hommes. Soit dit en passant, l’Amazonie n’a pas besoin du type de prêtre resacralisé qui, au cours des cinquante dernières années, a fini par détruire les communautés ecclésiales de base (CEB) d'Amérique latine, le meilleur acquis de Vatican II.
Une interprétation bienveillante de Querida Amazonia a été proposée ces jours-ci. Cette exhortation apostolique n'aurait pas exclu la possibilité d’ordonner des viri probati, mais aurait laissé la décision aux églises locales. Le Pape apprécie certainement les conclusions du Synode qui a abordé cette question. "Je n'ai pas l'intention de le remplacer ou de le répéter" (QA 2), dit-il. Avec ce nouveau document, François veut compléter son enseignement et présenter officiellement le résultat du travail synodal. Mais fallait-il encore un tour de vis pour convaincre les cardinaux qui font obstacle à son enseignement ? Ou pour gagner la partie avec une stratégie de délocalisation ? Je ne le pense pas. Je ne pense pas non plus qu'il était bon de remettre aux épiscopats locaux la décision d'Amoris Laetitia d’autoriser l’eucharistie aux divorcés et remariés. D’après mes informations, très peu de conférences épiscopales dans le monde ont eu le courage de le faire. Les évêques du Brésil ordonneront-ils des viri probati ? Le feront-ils en alliance avec les Allemands à la recherche de changements ministériels semblables ?
Qu’on franchisse le pas ou non, le christianisme en Amazonie est une réalité avec ou sans prêtres. De plus, dans les communautés où il n'y en a pas toujours, il est possible de développer d'autres types d'action de grâce à Dieu pour Jésus-Christ. Ne serait-il pas possible de faire des repas eucharistiques avec du manioc et de l’eau de coco ? Au Chili, en Argentine et en Uruguay, on pourrait le faire avec du pain et du maté. Karl Rahner entrevoyait le développement d’un christianisme mondial, ouvert à ces innovations. Il se demandait : "Est-il nécessaire de célébrer l’eucharistie avec du vin de raisin même en Alaska" (1980) ? D’autres formes d’action de grâces pourraient être menées par des gens ordinaires, hommes et femmes, idéalement des animateurs de communautés, prêts à faciliter l’interprétation de la Parole et capables de guider, réconcilier et encourager leurs communautés. Ce service, en fait, est déjà effectué par ce type de personnes. Il y a des religieuses qui disent même confesser les chrétiens.
Je conclus : et si le christianisme actuel de l’Amazonie, sans clercs, nous poussait en avant ? Ne pas ordonner de viri probati, ne pas ordonner de femmes éprouvées, ce n’est peut-être pas si mal. En tout état de cause, le vrai et le plus grand danger sera toujours les prêtres cléricaux qui sont là ou qui seront envoyés dans une région d’Amérique latine qui n’en a pas besoin.
Jorge Costadoat - Chili)
18 février 2020
Jorge COSTADOAT, s.j.
Sacerdote jesuita. Profesor de la Facultad de Teología de la P. Universidad Católica de Chile. Director del Centro Teológico Manuel Larraín. Sacerdote en la comunidad Enrique Alvear (Peñalolén)
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