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Une Eglise condamnée à renaître

Conférence de Jacques Neirynck le 20.2.2002

Gerda Compère-Hilgers
Publié dans CEM n°62 (4/2004)

Jacques Neirynck prône une démocratisation de l'Eglise. Les trois facettes de son personnage public (le scientifique, l'écrivain et l'ancien conseiller national suisse) se retrouvent dans son argumentation, dont Gerda Compère nous donne un écho. 

Sylvie Kempgens

La première partie de la conférence a développé (par l’hypothèse d’un pape suisse, avec des réflexes de démocrate résultant d’un long apprentissage) l’idée des changements profonds qu’un fonctionnement démocratique de l’institution apporterait à l’Eglise et à la crédibilité de son message. Les vertus pratiquées par un peuple démocratique (tolérance, patience, solidarité, générosité) sont proprement évangéliques.

Un fonctionnement démocratique suppose l’élection des évêques à l’échelon du diocèse. Un pape démocrate ne supporterait pas de marquer la différence par le vêtement et bannirait toutes formes exagérées de respect, en quoi il serait fidèle à l’enseignement de Saint Paul (Ga 3, 18) qui, dans un Empire romain fondé sur le principe de l’inégalité entre les hommes, ose prêcher l’égale dignité de tous. Comment ce message qui s’inscrit de plus en plus dans la société civile a-t-il tant de peine à pénétrer la société ecclésiastique ?

Toutefois, ce qui fait la faiblesse de l’Eglise fait aussi sa force : la centralisation d’un pouvoir absolu d’institution divine lui a permis de survivre à d’innombrables défaillances qui auraient conduit une entreprise humaine à une faillite assurée. A première vue, seul le magistère doctrinal peut garantir la transmission de la foi. C’est ici que l’ingénieur Neirynck évoque le rôle du "Collège invisible" dans l’élaboration de la vérité scientifique comme alternative possible au magistère doctrinal. La vérité scientifique est le résultat d’une vérification par un réseau d’experts qui opèrent un tri des idées nouvelles sans exercer d’autre autorité que celle de leur savoir dans leur domaine particulier. Ce corps d’experts tacitement reconnus joue à la fois le rôle de moteur et de régulateur. Il donne à la théologie une leçon de démocratie, d’humilité et d’efficience. Même si celle-ci voulait elle aussi se développer de la même façon, elle est trop souvent entravée par des diktats de prélats qui jugent de ce qu’ils ne comprennent pas simplement parce que cela fait partie de leurs attributions magistérielles.

Faire confiance à l’Eglise invisible pour dire la foi des croyants, c’est croire en l’action de l’Esprit dont on sait "qu’il souffle où il veut". On conçoit que cette action ne puisse jamais s’insérer dans le cadre d’une administration de la foi.

Les sciences naturelles disposent toutefois d’une norme automatique de correction : l’expérimentation. Quelle en serait l’équivalent dans le domaine de la théologie ? Jacques Neirynck en donne un exemple dans le domaine de la pastorale : faire fonctionner dans le même territoire deux églises, l’une de rite latin, l’autre de rite oriental, l’une prescrivant le célibat et l’autre non et trancher la querelle byzantine du mariage des prêtres en fonction des résultats, l’objectif étant de rendre le meilleur service aux fidèles. Le contre-exemple a été "Humanae vitae" où l’avis d’une minorité conservatrice a prévalu contre une majorité d’acteurs de terrain. Cette décision fondamentalement antidémocratique a eu des résultats désastreux : beaucoup de fidèles ont déserté l’Eglise et beaucoup d’églises locales ont désavoué ou purement et simplement ignoré le diktat de Rome. L’Eglise y a beaucoup perdu de sa crédibilité et de son influence dans les combats cruciaux à venir dans le domaine de la bio-éthique.

En conclusion, Jacques Neirynck en appelle à une ouverture des esprits dans la réflexion sur la foi. La révélation n’est pas définitivement clôturée ; nous n’avons pas fini de décrypter le message spirituel de la Bible et de le réinterpréter en fonction d’un contexte culturel et social tout différent de celui dans lequel ces livres ont été écrits. Au lieu de cultiver un passéisme nostalgique, il appartient aux églises de se rendre utiles dans la société contemporaine en cherchant des solutions éthiques aux problèmes qui résultent de l’évolution technique accélérée. Et si les églises institutionnelles ne parviennent pas à générer un discours significativement différent de celui de la société civile, la conclusion s’impose : l’Evangile a tellement bien réussi que les églises ont terminé leur mission historique et que le christianisme vit désormais d’une vie autonome et souterraine.

Débat

Le débat qui a suivi la conférence a permis à Jacques Neirynck de clarifier et de nuancer certains de ses propos.

- A l’objection courante selon laquelle l’Eglise n’est pas une démocratie, il n’y a qu’une réponse possible : elle doit le devenir, sinon cela tourne mal (exemple, la désignation de l’évêque de Coire au mépris des règles, contestée par le peuple en colère).

- A propos de l’expérimentation : même si elle risque d’échouer, il faut avoir le courage de la tenter (par exemple dans les célébrations liturgiques).

- La tâche de la génération qui vient est de réussir son rapport avec l’Islam (d’où son ouvrage avec Tarik Ramadan, en vue de trouver un terrain d’entente).

- Les protestants procèdent à une forme d’expérimentation analogue à l’expérimentation scientifique; on pourrait interpréter la multiplicité des confessions et des chapelles comme un constat d’échec, mais il faut relativiser comme le montre l’existence de théologiens protestants d’envergure comme Lytta Basset que Neirynck connaît personnellement.

- Si le fonctionnement démocratique implique des affrontements, il faut aussi pouvoir se rallier à une autre opinion "par gain de paix" ; c’est par exemple la voie privilégiée par Giscard d’Estaing pour la constitution européenne : avoir chacun son avis, mais pouvoir se rallier à une proposition de compromis.

- La recherche de vérité n’est pas une entreprise solitaire. Les communautés de base gardent un lien avec l’Eglise en ce qu’elles reposent sur des personnes formées en son sein. Les ordres religieux et leur organisation interne souvent démocratique témoignent de l’existence de ce réseau de magistère invisible qui existe depuis longtemps. On pourrait imaginer une Eglise formée uniquement d’ordres religieux.

- Enfin, Jacques Neirynck se défend de plaider pour le chaos. Il faut structurer l’Eglise autrement, en laissant s’exprimer l’initiative personnelle. Il faut de l’organisation et de la juridiction mais pas trop.

Gerda Compère-Hilgers (Communautés de Base)


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