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"Un nouveau visage d'Église" :

mais sans toucher à ses prêtres...?

Pierre Collet
Publié dans HLM n°105 (9/2006)

Un nouveau visage d'Église [1], c’est le titre qu’a donné Mgr Rouet à une pastorale inventive à partir des "communautés locales" et installée depuis quelques années dans le diocèse de Poitiers. Ce qu’on y découvre ne ressemble guère aux solutions connues qui consistent souvent à garder en service des prêtres de plus en plus rares et de plus en plus âgés, à engager des prêtres étrangers, africains ou polonais, à déléguer la pastorale de secteurs entiers à des "communautés nouvelles" également importées de l’étranger : plutôt que de poser la question à partir des prêtres, autour desquels tourne toute la problématique, – et donc des laïcs qui sont là "pour aider monsieur le curé" – ,  il s’agit de la poser à partir des communautés locales responsables. Celles-ci sont formées à partir d’un noyau de cinq laïcs, responsables des trois grandes dimensions de la vie en Église (l’enseignement, la prière, la solidarité fraternelle), et de son organisation (animation de la communauté et prise en charge des aspects matériels), « avec un prêtre à leur service, allant de l’une à l’autre en prenant son temps... » (p. 35).

 

Une pastorale respectueuse

L’expérience nous interpelle et nous séduit d’autant plus qu’elle semble cou-ronnée de succès, puisque l’évêque a installé cette année sa 300e "communauté locale". Elle est abondamment discutée voire proposée en exemple en France, et les évêques belges sont partagés à son sujet, comme le révèle le mensuel l’Appel du mois de septembre [2]. Inspirée des Communautés Ecclésiales de Base d’Amérique latine, elle a au moins le mérite indiscutable de situer la communauté locale au cœur des préoccupations pastorales et de relativiser "l’institutionnel à tout prix" de la plupart de nos hiérarchies catholiques : regroupements, centralisation pyramidale, équipes de pastorale spécialisée (et uniformisée), etc…

D’autres voix s’élèvent d’ailleurs dans d’autres pays pour dire "non" aux politiques actuelles de restructuration. À titre d’exemple, voici ce qu’en dit un curé autrichien dont la paroisse fermera ses portes avec son départ à la retraite :

« Plutôt fermer des églises que modifier les conditions réglant l'accès au ministère de prêtre. Telle est l'opinion du gouvernement de l'Église. Et c'est une catastrophe. En Allemagne, beaucoup de diocèses ont procédé à ces fermetures. Le diocèse de Essen fermera en l'espace de deux ans un quart de ses églises et les 259 paroisses seront regroupées en 42 ensembles paroissiaux. Aux USA, le diocèse de Boston comptait encore 400 paroisses en 1992. Un quart en sera totalement dissout. Rien que l'année dernière, ce sont 65 paroisses qui ont été fermées. Et en Autriche ? L’évêque d'Innsbruck a annoncé que les 286 paroisses du Tyrol seraient réunies en "70 espaces paroissiaux". Actuellement 188 prêtres de moins de 70 ans sont en fonction et dans dix ans il n'y en aura plus que 80 ! (…)

Lors du Synode des Évêques qui a eu lieu en octobre à Rome, le Cardinal Angelo Scola s'est prononcé dans son exposé officiel d'introduction contre la modification des conditions d'accès au ministère de prêtre. À son avis les fidèles n'ont aucun droit à faire valoir à propos de la messe dominicale. Des offices de la parole sans prêtre devraient, recommanda-t-il cyniquement, être désignés comme "offices religieux en l'attente d'un prêtre".  Un évêque du Honduras lui opposa l'argument que dans son pays la proportion était d'un seul prêtre pour   16 000 catholiques. En Amérique du Sud il existe des paroisses de 40  à 50 000 catholiques. Conséquence : les sectes se répandent en proportions énormes. (Udo Fischer, curé) » [3]

Le rôle du prêtre

Il y a quelques mois, Mgr Rouet précisait : « Il faut donc repenser le rôle du prêtre. » Et dans Le Pèlerin du 29 juin [4], il ajoutait : « Le prêtre n’est pas un patron ni un gourou, mais celui qui fait la jonction entre les communautés, les mouvements, les personnes et le Christ… Il empêche la communauté de se replier sur elle-même en l’ouvrant sur le monde, dans un esprit de mission… et il est indispensable pour vivre les sacrements, notamment l’eucharistie ».

Un ami français, Claude Bernard, co-président de Femmes et Hommes en Église, nous a fait part de ses réflexions très intéressantes à ce sujet.

« Ce rôle de prêtre itinérant, lien entre les personnes et les groupes, dispen-sateur des sacrements, est-il vraiment incompatible avec une situation d’homme marié, même si théoriquement le célibat rend plus libre ? On peut en douter en voyant bien des pasteurs en d’autres confessions chrétiennes, et aussi chez les catholiques de rite oriental. Déjà dans le domaine civil, combien de personnes doivent concilier vie familiale et vie professionnelle aux horaires décalés et avec des engagements dont on dit volontiers : c’est un véritable sacerdoce !

Il serait signifiant de voir aussi à ces postes clés des prêtres mariés, relativement jeunes, tout comme on voit actuellement des célibataires par choix ou par obligation. Cela éviterait l’inconvénient de reléguer tous les prêtres mariés dans la zone du troisième âge, après l’entrée dans la retraite professionnelle.

Pourtant A. Rouet déclare : « Ce genre de solution (l’ordination d’hommes mariés), trompeusement moderne, nous ferait immédiatement revenir cinquante ans en arrière en nous dispensant de faire évoluer le rôle du prêtre. On continuerait à raisonner en termes de pouvoir au lieu de passer à une relation de confiance ».

Une telle affirmation n’est-elle pas en contradiction avec la priorité accordée à la communauté locale ? Les craintes de l’évêque de Poitiers s’atténueraient peut-être si l’on dissociait, dans la mission du prêtre telle qu’il la conçoit, les deux aspects principaux : le rôle de lien entre les nombreuses communautés (situation relativement nouvelle), et celui de dispensateur obligé des sacrements (qui existe depuis toujours et qui pèse de plus en plus lourd).

Pourquoi le don des sacrements ne pourrait-il pas être confié aussi, totalement ou en partie, sur le plan local, à tel ou telle laïque mûr et généreux, qui recevrait "l’ordination" appropriée, ou l’habilitation nécessaire, en vue d’un service sacramentel et pastoral, pour un temps donné ?

Pourquoi ces personnes ainsi "habilitées" devraient-elles être systématiquement soupçonnées de briguer un pouvoir, contrairement à des prêtres célibataires itinérants qui, eux, seraient idéalement détachés de tout ? On frise la caricature !

Pourquoi la revitalisation des communautés locales par ce moyen devrait-elle être qualifiée de retour au bon vieux temps d’une paroisse de "chrétiens con-sommateurs" regroupés autour de leur curé ? Bien sûr, les fidèles ne sont pas parfaits, pas plus que les prêtres, mais faut-il leur faire un procès d’intention ?

(…)  Il n’est pas question de refaire la paroisse de grand papa,  mais de donner le maximum d’autonomie, de co-responsabilité et de subsidiarité à des regroupements locaux, même numériquement faibles, car c’est là le lieu de vie de ces baptisés, et c’est leur premier lieu de mission. » [5]

Renoncer au prêtre "homme-orchestre"

À côté de bien des remarques pertinentes de Claude Bernard sur les questions de pouvoir et de sexualité, sur lesquelles – et sur le lien desquelles – il serait intéressant de revenir, épinglons cette phrase sur le double rôle du prêtre : celui de lien entre les communautés, et celui de dispensateur obligé des sacrements. Pourquoi faudrait-il que ces deux fonctions soient nécessairement et toujours assurées par la même personne ? Ce n’est pas en tout cas l’héritage de l’histoire ancienne de l’Église, et en particulier de la mission confiée par Paul à son disciple Tite : « Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour y achever l’organisation et pour établir dans chaque ville des presbytres » (Tite 1,5)… Ce que le père Hervé Legrand commente : il y a « action active du peuple chrétien et de ceux qui sont déjà dans le ministère, pour choisir les personnes aptes au ministère, même si elles ne s’y sentent pas appelées, alors qu’elles ont la compétence voulue».

« On est bien en présence de deux types de "prêtres" ou responsables de communautés, continue Cl. Bernard : d’une part les missionnaires itinérants comme Paul (un célibataire par choix) ou les autres apôtres (certains mariés, comme Pierre), qui annoncent l’Évangile et font le lien entre les communau-tés, et les "presbytres", responsables locaux, gens mariés et exerçant un métier, qui sont les véritables animateurs du groupe de chrétiens en tel lieu précis. » (…)   De nombreuses femmes et des hommes président actuellement des "célébrations dominicales"  ainsi que des funérailles. Leur mission confiée par l’évêque est signifiée par le port d’une écharpe analogue à une étole. Ces personnes sont jugées aptes à organiser le déroulement de la célébration, à commenter la Parole de Dieu et à prononcer une prière de louange. Dans l’exercice de cette fonction, n’agissent-elles pas "in persona Christi", représentant le Christ tête et pasteur de l’Eglise, tout comme les ministres ordonnés ? Pourquoi ne seraient-elles pas jugées capables  de présider également une eucharistie moyennant la formation appropriée et l’imposition des mains par l’évêque ?»

Deux types de ministères confiés à des personnes différentes ? Pourquoi pas ? On a bien inventé la trilogie évêque – prêtre – diacre pour un seul et même "sacrement de l’ordre"… D’ailleurs ce qu’il adviendra de plus en plus de la fonction du prêtre "itinérant", courant de clocher en clocher (pardon, de communauté en communauté) ne s’apparenterait-il pas davantage à la fonction "épiscopale" (celui qui veille sur et qui assure les liens) qu’à celle d’un "presbytre"… ?

Un ami qui fut missionnaire au Brésil et qui a vécu de près les "communautés de base" nous fait d’ailleurs remarquer à quel point le "monopole ministériel" est partiellement responsable du succès des sectes dans cette région du mon-de : c’est qu’à la longue bien des laïcs, auxquels on n’avait jamais osé confier les responsabilités ultimes, ont finalement trouvé dans des mouvements paral-lèles la reconnaissance – et l’ordination – qu’ils attendaient. S’il ne faut sans doute pas généraliser ni caricaturer, ce n’est pas non plus un aspect à négliger.

Dehors ou dedans ?

On en revient toujours à des problèmes de frontières : le prêtre qui doit "signi-fier" le Christ pour la communauté, doit donc aussi en être distingué. Il en fait partie, bien sûr, mais doit en même temps se situer face à elle, et donc pas tout à fait "à égalité"… Accompagnateur oui, mais comme guide et pasteur !

Et Claude Bernard de conclure : « Tant que les instances ecclésiales se sentiront obligées d’opter pour une conception du presbytérat qui soit compatible uniquement avec un statut clérical et un état de vie dans le célibat, leur souci pour les attentes réelles des communautés paraîtra inévitablement passer au second plan, quoi qu’ils en pensent et quel que soit leur discours. »   

Bravo donc à Mgr Rouet et à son équipe pour cette première étape… et encouragements pour la suivante ! Depuis Vatican II qui n’était pas arrivé à produire une théologie satisfaisante sur le sujet, on répète à l’envi que la question du prêtre, de son identité et de son rôle, est la clé de bien d’autres problèmes, y compris ceux qui touchent à la crédibilité de l’Église et même à la transmission de la foi. Mais apparemment, on préfère culpabiliser les familles et ne pas se remettre en cause, et c’est peut-être déjà trop tard…  Dans ces conditions, ce n’est pas sans raison que beaucoup d’entre nous se sentent bien "hors-les-murs", ce qui signifie évidemment pour nous "dedans comme tout le monde" !

Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Un nouveau visage d'Église. L'expérience des communautés locales à Poitiers, par Albert Rouet, Eric Boone, Gisèle Bulteau, Jean-Paul Russeil, André Talbot, Paris 2005, ed. Bayard, 250 pages - 15,90 €.

[2]  Prêtres étrangers : une solution ? par Paul de Theux, in L’appel, n° 289, septembre 2006.

[3]  in bulletin paroissial de Paudorf-Göttweig, mai 2006, cité sur le site de Jonas http://www.groupes-jonas.com/articles.html

[4]  Dossier "Faut-il ordonner des hommes mariés ?", in Le Pèlerin du 29.06.2006

[5]  voir le texte complet sur le site de Jonas ci-dessus, au "Document 64".



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