« Questions à la Une » sur l’islam radical en Belgique
Philippe de Briey
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
L’émission « Questions à la Une » du 11 octobre 2006 portait sur « l’islam radical ». La 1ère partie portait sur la situation en Belgique, et elle mérite quelques commentaires.
L’émission présente une série de séquences intéressantes, surtout sur des personnes d’origine marocaine. Elle montre divers aspects du choc de deux cultures dont le public n’a souvent pas une idée claire. L’émission veut présenter, non pas l’islam, mais l’islamisme, appelé parfois « islam radical » ou « islam politique ». A mon avis, la présentatrice part tout de même d’un a priori négatif sur l’islam, et la signification profonde de la dimension religieuse semble lui échapper.
- A Molenbeek l’échevin Mohamed Daif a tenté d’introduire la viande « hallal » dans les cantines des écoles. Le bourgmestre Philippe Moureau n’a pas été contre : « Tout ce qui ne gêne pas les autres et n’est pas contraire aux principes démocratiques, je n’ai pas de raison de l’empêcher ». L’expérience n’a cependant pas duré « parce que cela a créé des frottements ». On aimerait en savoir plus sur cette expérience et ces frottements.
- Dans une école de Bruxelles un enseignant explique que certains élèves musulmans refusent les théories darwiniennes de l’évolution, au nom du Coran. M. Chemsi Cheref Khan, membre du groupe « Pour un islam d’ouverture », s’en inquiète beaucoup : « la propagande religieuse est entrée dans les écoles ». Je ne vois pas d’autre solution à ce type de problèmes que dans un dialogue approfondi avec tous ceux qui enseignent l’islam, dans les mosquées ou les écoles.
- On entre ensuite dans la boutique islamique « Salam ». On voit le vendeur faire sa prière sur son tapis à l’heure prescrite. La journaliste ne comprend pas : Vous auriez pu devenir un Belge complètement assimilé (sic !), alors pourquoi avoir choisi ce retour aux sources ? ». « L’islam c’est le respect d’autrui, Madame, c’est un mode d’emploi de la vie » lui est-il répondu, mais elle lui fait avouer que l’islam lui interdit de toucher aucune femme autre que celles de sa famille… « Ils refusent décidément de s’assimiler, contrairement à l’islam modéré de leurs parents », conclut-elle. C’est un autre exemple du choc des cultures, Je me dis souvent qu’en regardant la TV, les musulmans croyants doivent éprouver un malaise, se sentir entre deux chaises, entre deux mondes. Entre l’excès de rigorisme et l’excès de laxisme, n’y a-t-il pas une voie à tracer ensemble, en particulier pour et avec les jeunes, musulmans et non musulmans ? Certains professeurs le font très bien avec leurs classes ([1])
- Elle interviewe ensuite une femme qui a revêtu, par peur des représailles, la « bourka » que lui a fait mettre un mouvement salafiste dans laquelle elle s’était laissé embobiner. Mais quand le mari qu’on lui a fait épouser l’a enfermée tous les jours dans sa chambre à coucher (sic !), elle a compris et est revenue vers ses parents complètement choqués par ce retour en arrière de la religion et cet esclavage de la femme. Ce n’est pas du tout ce qu’ils ont connu au Maroc, où la femme avait beaucoup de responsabilités. En fait, il faut savoir que les salafistes sont un mouvement intégriste et sectaire venant d’Arabie saoudite et particulièrement rétrograde. Mais ils semblent avoir pas mal d’adeptes à Bruxelles, ce qui est certes inquiétant.
- On entre ensuite dans une mosquée réputée modérée et on assiste au prêche enflammé de l’imam Mohamed Toujgani, président de la Ligue des imams de Belgique, à propos de la Palestine. Commentaire de l’émission : « plus dangereuse que le foulard, cette récupération par les islamistes des conflits du Moyen Orient qui sont autant de motifs de révolte contre l’Occident, et les imams attisent encore le feu un peu plus ». Nous aimerions des imams bien sages qui ne parlent pas de politique (et qui surtout ne critiquent pas la politique occidentale...) Mais on ne pourra jamais les empêcher de dénoncer les injustices. Et la frontière entre religion et politique sera toujours très poreuse dans l’islam.
- Au Centre islamique de Belgique (au Cinquantenaire) le franco-syrien Bassan Ayashi prêche, paraît-il, un islam pur et dur et flirte avec l’idéologie islamiste et les propos haineux contre les juifs et les occidentaux. Ce Centre, il est vrai, a été érigé, il y a 30 ans, avec l’argent de l’Arabie saoudite et demeure donc dépendant des doctrines wahabites (très rétrogrades). Nous payons aujourd’hui les conséquences d’un manque d’intelligence et de connaissance de nos hommes politiques des années septante. Pourtant, à la base, dans les associations, on sentait déjà bien le danger !
- Tout cela est très compliqué, reconnaît Mme Onkelinckx, car il y a la liberté religieuse et nous ne pouvons sanctionner qu’en cas de non-respect de nos valeurs constitutionnelles ». On aurait aimé que l’émission consacre un peu plus de temps à notre ministre responsable des cultes…
- Selon le français musulman Malek Chebel, les autorités ont déjà réagi contre la violence terroriste, mais pas encore contre l’islamisme même. Il reconnaît pourtant que ceci n’est pas facile !
- Portrait ensuite d’un autre islamiste dangereux : Jean-François Bastin, converti à l’islam et fondateur du « Parti des jeunes musulmans ». Il fait « juste de la politique », dit-il, mais ses tracts électoraux partent comme des petits pains et pour cause : « Les musulmans veulent élire des gens qui viennent d’eux et pas les autres, hypocrites et islamophobes comme le prouve leur volonté d’interdire le foulard à l’école ». Bastin est pour la lecture littérale du Coran et voit l’Etat islamique et la Charria comme un idéal absolu à poursuivre. Sa propagande est sûrement très toxique, mais son influence ne serait pas si grande s’il n’y avait pas effectivement autant de discriminations et d’attitudes islamophobes.
- C’est contre cet islam politique que se bat, non sans beaucoup de courage (elle a reçu des menaces de mort) la sénatrice anversoise d’origine marocaine Mimount Bousakla : « L’islam est une affaire privée et n’a pas à faire de la politique. Sinon la démocratie est en danger. Je suis fière d’être en Belgique, dans une démocratie qui n’existe pas dans les pays arabes et je dis aux islamistes radicaux : si vous n’êtes pas contents, dans ce pays où vous avez des allocations de toutes sortes, alors retournez dans vos pays ». Etant elle-même immigrée, elle peut se permettre un tel langage salutaire qui, venant de Belgo-belges, ne susciterait que fureur.
- L’émission se termine sur une conclusion qui, à mon avis, risque de provoquer des peurs exagérées dans le public d’une émission à grande audience : « l’islam radical pourrait remettre en question les fondements de nos sociétés modernes ». Une pareille affirmation me paraît totalement exagérée et même irresponsable quand on sait que c’est sur de pareils slogans que s’appuient l’extrême droite et tous ceux qui veulent l’expulsion des musulmans, notamment dans la police des étrangers.
- En conclusion, je dirais que l’émission nous présente une série de problèmes importants. Elle a raison de dénoncer le danger de l’islamisme, mais je regrette qu’elle n’ait même pas évoqué les initiatives d’associations, de professeurs, d’animateurs, d’assistants sociaux etc, notamment musulmans, propres à endiguer l’islamisme.
- Je crains que malgré la précaution oratoire de M. Defossé en introduction, disant que « l’émission porte sur l’islamisme et pas sur l’islam qui est une religion tout à fait respectable », les téléspectateurs ne retiennent surtout que l’islam est arriéré et un danger public. On offre ainsi un beau cadeau à l’extrême droite et à l’islamophobie et on détruit en une heure des années d’efforts pour construire des relations de dialogue, de confiance et d’acceptation mutuelle des différences culturelles. En outre, à être sans cesse suspectés (police), regardés de travers, discriminés (logement, emplois, etc.) et non respectés dans leur identité propre, beaucoup de musulmans seront alors précisément tentés par la propagande anti-occidentale des islamistes.
- Clairement il y a un choc des cultures. Il faut l’assumer et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les musulmans trouvent leur équilibre dans une société tellement différente de leur passé. Une minorité d’entre eux ont pris carrément leurs distances de leurs traditions ou même la critiquent d’une manière acerbe, ce sont les Voltaire de l’islam. D’autres, en grand nombre je pense, éprouvent un fort besoin de se rattacher à ces traditions d’une manière qui est même plus excessive et littérale que leurs parents ou que leurs contemporains au Maroc par exemple. Je pense qu’ils sont à la fois tentés et scandalisés par notre société de consommation et de libertés sans freins et que c’est sur ce terreau que prospèrent les idées islamistes.
- Je pense qu’il est très difficile pour nous de les influencer, car dans une religion qui se croit porteuse de la vérité absolue, que peuvent bien peser des arguments venant de non musulmans ? c’est ce qui rend si important de favoriser ceux qui, à partir de leur foi musulmane sincère, peuvent leur expliquer que nous avons des valeurs communes et que nous pouvons vivre ensemble en nous respectant malgré nos différences.
le 16 octobre 2006
Philippe de Briey
Notes :
[1] C’est ce que j’ai constaté dans une petite étude « Les élèves musulmans et les cours de religion dans les écoles catholiques » disponible pour 3 € plus port au centre « El Kalima » à Bruxelles (tél 32/2/511.82.17)
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