Célébrer ?
Michel Charlier
Publié dans SONALUX n°58 (9/2006)
Suite aux articles sur les célébrations dans les numéros précédents de SONALUX, un lecteur - Michel Charlier, professeur de religion retraité - nous a envoyé les réflexions ci-dessous.
La liturgie nous fait penser à un ensemble de prescriptions précises et multiples, souvent présentées par des autorités ecclésiales comme obligatoires. C’est un réflexion conservateur dans une institution humaine quand ceux-là qui doivent guider le mouvement, prennent peur soit devant la désertification des églises, soit plus simplement devant la disparition de l’Eglise dans notre Occident européen et nord-américain.
La justification est assez facile à comprendre : un système organisé jusque dans les détails des rites, des discours, des ordonnances maintiendrait une cohésion, une unité de l’Eglise et un peuple en prière à profusion. Jusqu’il y a peu, avant la brèche ouverte par Vatican II, il était interdit d’approter quelques variations, sauf avec des permissions spéciales des autorités du lieu. Nos missels, livres liturgiques ou de célébrations ne changeant guère au fil du temps, même aujourd’hui. Et beaucoup de liturgies s’en tiennent à cela !
Pourtant, dans l’élan de renouveau, dans l’après Vatican II, d’autres propositions étaient faites : célébrer la vie en relation avec Jésus-Christ, célébrer Jésus-Christ et ses humains disciples en relation avec leur Dieu, célébrer une communion sans renier ses solidarités… « La liturgie est moins le développement d’une cérémonie dans la fidélité à un rituel que l’acte d’une assemblée. Elle cesse d’être l’assistance à un mystère pour devenir participation active et consciente d’un peupleà ce mystère.[1] »
Dans les débuts du christianisme, les communautés élaboraient des liturgies à partir de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. L’histoire relate une grande diversité : dès le quatrième siècle, le rite mozarabe disposait d’une quarantaine de prières eucharistiques. En Orient, on en connaissait plus de septante.
En Occident, par des jeux d’influences, on en est arrivé à ramener impérativement à un seul « canon » pour la messe : de plus, exclusivement en latin ! Pauvres Cyrille et Méthode (9ème siècle) qui ont lutté pour une reconnaissance officielle de la langue slave. Et les Uniates qui ont toujours pu célébrer en grec ou en arabe. Pour l’ensemble de la chrétienté catholique, il existait l’uniformité de la langue pendant plusieurs siècles. Pour toutes les communautés qui se rattachaient à Rome, en Afrique, aux Amériques, dans le Sud-Est asiatique, comme en Europe : mêmes rites, même latin, incontestablement.Même les coups de massue reçus par la Réforme n’ont pas généré dans l’Eglise Catholique Romaine les prémices d’une réforme liturgique profonde.
Avec Vatican II, une ouverture s’amorce. Au lendemain de la guerre 40-45, les mentalités se sont mises à bouger. Au début du concile, des démandes de plus en plus pressantes ont été adressées en faveur de nombreux changements. Une souffle de nouveauté a donné de l’élan à des productions en « langue du peuple ». « Le renouveau liturgique, mis en œuvre par Vatican II, a déjà porté beaucoup de fruits », écrivaient les Evêques belges francophones en 1978. « La Parole de Dieu commence à retrouver sa place centrale dans la vie du peuple chrétien grâce aux célébrations, à l’étude et aux partage des Ecritures. »
Et pour bien se faire comprendre, les Evêques belges de l’éqpoque insistaient : « …certaines célébrations sont marquées par un effort d’expression particulier, souvent empreint d’autheticité. Dans ce contexte, des responsables de liturgie se sont mieux rendu compte qu’il ne suffit pas d’appliquer matériellement les dispositions d’un livre : il faut en pénétrer l’esprit. Nul ne peut faire abstraction de la physionomie particulière de chaque assemblée… pour rendre vivante la célébration chrétienne.[2] »
Il n’empêche que régulièrement, les autorités vaticanes ont essayé de freiner le mouvement et de rappeler régulièrement l’obligation de s’en tenir aux formes autorisées. Et cela, jusqu’à vouloir ignorer les différentes places prises par les chrétiens dans les chœurs.
N’ergotons pas sur telle ou telle pratique particulière ! Cherchons à mettre en valeur une orientation de base. Il est nécessaire d’assurer une certaine unité des rites, d’éviter de célébrer n’importe comment (cela n’engage pas les générations futures mais les chrétiens d’aujourd’hui qui prient). Mais peut-on accepter qau’une autorité, quelles que soient ses compétences pastorales, liturgiques, décrète ce qui est bon ou non, permis ou pas ?
Nous pouvons espérer que dans telle matière de prière commune, la collégialité dans l’approche liturgique, reconnaissant les spécificités locales, culturelles, sociologiques, soit de mise ! Célèbre-t-on de la même façon dans un couvent à population réduite, dans une paroisse avec liturgie pour enfants, durant une liturgie domestique dans une maison privée ou sur un champ de bataille (eh oui !) ? Et en tous lieux géographiques : à Manhay, à Tombouctou, chez les mineurs péruviens ou à Saint Pierre aux Liens ?
Peut-on encore imposer des paroles et des comportements que les gens ne comprennent pas ou n’acceptent plus pour témoigner d’un Jésus qui nous aime, qui se veut proche de nous ? « La liturgie est sans doute ce qui devrait le mieu « aider Dieu à ne pas s’éteindre en nous ». Selon la devise bénédictine, c’est là que l’on apprend à ne rien préférer à la gloire, à la louange de Dieu.[3] » Et au Père Denis d’écrire cette double constatation : « Malgré toutes les réformes, les améliorations indubitables, les initiatives réfléchies, malgré bien des réussites incontestables, comment se fait-il que l’on éprouve un essoufflement inquiétant ? Ce qui était neuf aussitôt après Vatican II est devenu routine, parfois insipide.[4] » Nous savons que depuis quelques années, Rome organise des consultations avant de promulguer des directives, mais nous savons aussi que dans de nombreux cas, l’autorité vaticane a réagi d’autorité, seule. Dans son livre, le Père Denis constate encore : « En ces temps de désaffection, de décalage, notre pape (Jean-Paul II) nous offre une encyclique sur « L’Eucharistie dans l’Eglise ». Occasion unique, mais cependant –avec tout le respect que je dois à l’auteur- occasion manquée.[5] »
Comme écrit plus haut, nous ne célébrons pas de la même façon si nous nous trouvons dans un monde urbain ou rural, si nous prions avec des jeunes ou des personnes âgées attachées à un vécu liturgique passé, avec des travailleurs ou avec des scientifiques. Célébrer dans la langue du peuple n’est pas encore adopter un langage de foi d’un peuple en prière. Nous vivons avec des êtres humains qui aiment à comprendre ce en quoi ils acceptent de croire : alors, que notre litrugie devienne un appel des hommes et des femmes qui veulent se sentir aimés de leur Dieu et lui donner leur réponse !
Les expressions liturgiques n’appartiennent à aucune communauté particulière, ne sont l’apanage de personne, elles se veulent acte de participation, plus justement de communion dans la diversité, de chrétiennes et de chrétiens d’horizons différents, qui prient, écoutent la Parole de Dieu et font mémoire de la Résurrection de Jésus-Christ. « Espérons que l’avenir de nos communautés et de leurs liturgies auront aidé Dieu à vivre en notre monde.[6] »
Il importe donc d’arrêter de faire référence aux liturgies passées. De quel droit ? Pour faire en sorte que le sabbat soit fait pour l’homme. Dans l’histoire de l’Eglise et dans la Tradition, cherchons à faire resurgir les valeurs évangéliques que nos ancêtres ont voulu exprimer dans leurs liturgies pour s’en inspirer. Trouvons les gestes, les paroles pour prier en communauté de telle façon que « le visage de Dieu qui se révèle en Jésus-Christ, éveille chez ceux qui s’intéressent à son histoire la certitude qu’il existe un moyen de réussir sa vie.[7] »
Si nos liturgies cohérentes et proches de nos préoccupations, de nos conditions de vie, peuvent nous conduire sur ce chemin de lumière, nous aurons aidé les humains d’aujourd’hui, prêtres et laïcs acteurs, à accorder –avec harmonie- leurs mots avec leurs actes.
Michel Charlier
Notes :
[1] Mgr Robert Coffy, Une Eglise qui célèbre et qui prie, p.29, éd. Du Centurion, Paris, 1974.
[2] Lettre pastorale des Evêques de la partie francophone de Belgique : Célébrer l’eurcharistie aujourd’hui, mai 1978, Bruxelles.
[3] Henri Denis, Semences, pp. 51 à 54, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 2004.
[4] Ib.
[5] Ib.
[6] Ib.
[7] Yves Burdelot, Devenir humain, la proposition chrétienne aujourd’hui, p. 169, éd. du Cerf, Paris, 2005.
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