Après "Bâtir avec notre évêque"
Andr Fockedey
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
«… En effet, j’ai affronté ta présence comme on affronte celle de Dieu, et tu m’as bien reçu. » Genèse 33, 10.
Après Bâtir avec notre évêque
Et Traire avec notre évêque (envoi de poudre de lait dans les années 70)
Voici un nouveau programme : Se confronter avec notre évêque
Arriverons-nous à appliquer à nos conflits internes dans l’ Eglise le message dont nous avons l’audace de croire que c’est une bonne nouvelle pour le monde entier ? Dans Le pouvoir de pardonner , Lytta Basset relit le chapitre 18 de St Matthieu. Elle y perçoit l’annonce d’un Royaume de « relations célestes » qui advient quand on atteint une certaine qualité d’échanges avec les autres et avec soi-même. C’est cette lecture qui m’inspire les propositions suivantes.
v. 15 : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ». On sent bien ici le but de la démarche de confrontation. Il ne s’agit pas de disqualifier quelqu’un mais de vouloir rester en relation ou de retrouver une relation. Pour maintenir cette communauté Jésus propose de faire le reproche « seul à seul ».
Voilà un conseil qui me semble peu appliqué. Ca jase en rue. Mais combien de personnes vont parler à l’évêque seul à seul. Pourquoi ? On se dit : « Qui suis-je pour dire à l’évêque ce que je pense ? C’est un homme de pouvoir et je tiens à ma sécurité. J’en ai peur. Je ne tiens pas à lui déplaire. L’évêque, le diocèse, c’est le cadet de mes soucis. ….» En renonçant à s’exprimer on se prive d’une chance de faire revivre la relation. Je crois que c’est très pertinent d’insister sur le fait que dénoncer une faute ou un problème c’est une condition pour renouer avec quelqu’un. J’ai trop longtemps vécu avec l’idée que je pourrais renouer avec quelqu’un en faisant uniquement un travail de réintégration mentale (peut-être même une prière). Je ne donnais pas de place à ma colère et je m’épargnais la redoutable confrontation avec l’autre.
« Fais-lui tes reproches » : Parfois le reproche est évident. Parfois il l’est moins. A la suite de Jacques Salomé ne serait-il pas plus juste dans beaucoup de situations de dire : « Je n’ai pas bien vécu le fait que…. J’ai souffert quand….. » Renonçons à définir le mal de manière objective. La décision que j’ai moi-même très mal vécue d’autres l’ont très bien vécue.
Un avantage de la démarche seul à seul c’est qu’elle est moins violente. On m’a déjà dit que dans les conseils communaux les interpellations sont plus constructives quand les caméras de télévision sont absentes.
Il ne s’agit pas d’enfoncer l’autre mais de lui exprimer ce que nous avons sur le cœur. Il ne s’agit pas non plus de convertir l’autre, de le changer, de le remettre dans le droit chemin. Ce travail-là c’est sa responsabilité. Contentons-nous de dire l’offense. Dans le livre Sainte colère , Lytta Basset analyse le long cheminement qui amène Jacob à prendre conscience de sa colère vis-à-vis d’Esaü, son frère et à traverser une nuit de cauchemar qui est aussi devenue une célèbre nuit spirituelle de rencontre de Dieu. Jacob et Esaü ont tous les deux préparer une lutte armée. Pour trouver une issue au suspense, lire Genèse chapitre 33 ! Pourquoi un si long cheminement, pourquoi autant de peur ? Plutôt que de pointer la peur, interrogeons notre difficulté à la dépasser. C’est probablement la confiance en Dieu qui doit nous conduire à conclure que si nous poursuivons une cause juste, il ne peut rien nous arriver. Après un long cheminement Etty Hillesum disait : « Oui, les allemands vont nous tuer, c’est clair. Mais ils n’arriveront pas à nous anéantir ».
« S’il t’écoute, tu auras gagné un frère ». On aurait probablement aimé entendre : « S’il a admis ses torts, … ». Souvent, être écouté nous apparaît insuffisant. Nous voudrions rallier notre adversaire à notre point de vue. Soyons donc déjà satisfait d’avoir été écoutés. Il ne m’a pas raccroché au nez. Il a pris un quart d’heure pour entendre mes doléances. Formidable !
Convaincre l’autre de ses erreurs est probablement moins important que la satisfaction de se savoir en relation. Paul Malherbe disait à Namur en 1976 : « L’Eglise est une situation plurielle, conflictuelle non éclatée ».
« S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes… ». Quand peut-on conclure que l’on n’a pas été écouté ? On peut estimer que tout courrier mérite une réponse. Mais que faire quand tout heureux on reçoit une réponse et qu’en ouvrant la lettre on lit : « J’ai bien reçu ton courrier dans lequel tu prétends que j’ai marché sur tes pieds. Je te conseille d’aller te faire soigner parce que par de telles accusations j’estime que tu es victime de tes fantasmes. Je ne t’ai jamais marché sur les pieds ! » Quand l’autre m’accuse de fantasmes, je me mets à douter. Je peux sombrer dans la confusion. L’aide des témoins peut s’avérer intéressante. Qui peut être témoin : des gros costauds qui font peur ? des maîtres en théologie qui font autorité ? L’enjeu ici n’est pas de mettre en route la guerre mais de sortir de la confusion dans laquelle je risque de sombrer après réception d’un tel courrier. Je suis donc le premier bénéficiaire de la démarche d’un proche quand il dit à mon adversaire : « Non, il ne fantasme pas. J’ai vu. J’y étais. J’ai vu les pieds abîmés ». Et ces propos pourraient pousser mon adversaire à revoir sa copie, surtout s’il est clair qu’il ne s’agit pas de gagner mais d’accéder à la vérité, d’obtenir que la lumière soit faite sur une situation.
Admirons le réalisme de Jésus qui prévoit que même cette deuxième étape ne sera pas toujours suffisante. Il propose alors le recours à toute la communauté. Pourquoi ? Pour interpeller de manière plus vigoureuse le délinquant ou pour soutenir les victimes. Il faut probablement prendre au sérieux les deux raisons. L’avocat de Sabine Dardenne, victime de Dutroux, disait que dans son malheur, elle avait la chance d’avoir été reconnue comme victime ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres victimes. Un procès peut donc autant servir à reconnaître la souffrance que l’on a subi (pour entamer un processus de guérison) qu’à sanctionner un délinquant. Gérer le mal subi, c’est peut-être même le cœur de la première partie du chapitre 18 que Matthieu commence en nous invitant à devenir comme des enfants. Très curieusement Lytta Basset (je n’ai jamais trouvé personne d’autre qu’elle pour soutenir cela) estime que c’est là l’invitation à rencontrer le petit être souffrant que nous sommes tous à des degrés divers.
Il y aurait donc dans nos conflits avec les autres un temps de travail avec soi-même. Gandhi parlait d’un travail de purification intérieure. Chez Matthieu 18, cela suppose l’acceptation que le conflit nous a meurtri : « mieux vaut pour toi entrer dans la vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel ! » Jésus semble refuser la voie du déni que choisissent habituellement les belligérants. J’ai le souvenir que petit enfant je disais : « ton coup de pied, il ne me fait même pas mal ». Le déni aboutit à trouver le renforcement en soi-même. Jésus propose de trouver son renforcement auprès du Père qui « ne méprise aucun de ces petits ». Il peut rester présent à mon mal subi comme au mal que j’accomplis. Si Lui ne s’enfuit pas, ne me rejette pas, je ne perds pas la face. Si Lui me « laisse aller » alors je pourrais probablement laisser aller aussi mon adversaire. Laisser aller comme on laisse tomber une dette, comme on ouvre à nouveau le champ du relationnel possible. « Tu as refait ta vie. J’ai refais la mienne. Ca nous empêchera pas de gérer ensemble le souci de nos enfants et de se retrouver un jour ensemble pour leur mariage. » Le pardon est plus répandu qu’on ne le croit. Il est l’aboutissement d’un long travail qui commence par le deuil d’un mal irréparable : « Le bras que tu m’as coupé, je dois un jour accepter que ni toi, ni personne ne pourra le recoudre. Le jour où j’aurai accepté de vouloir vivre avec ce bras en moins, je pourrai envisager de te laisser aller, de ne plus rien te demander, en tout cas pas ce bras que tu ne peux pas me rendre ».
Tim Guénard décrit un cheminement impressionnant dans la relation avec son père qui l’a maltraité quand il était enfant. Après s’être initié dans l’adolescence à la boxe avec le projet d’un jour enfoncer son poing dans la figure de son offenseur il a l’extrême délicatesse, une fois adulte, de penser à la culpabilité qui pourrait envahir son père si cette offense avait été un empêchement définitif à la réalisation du fils. Tim Guénard estimait donc plus supportable d’aller voir son père pour lui pardonner ses conneries quand il pouvait également l’informer du bonheur de la famille qu’il a pu fonder avec son épouse et de ses projets
Pardonner : un long travail. Puissions-nous comme Jésus, le faire avant de mourir. Et comme nous pouvons mourir à tout moment, ne perdons pas de temps.
Mais comment trouver la paix tant qu’on n’a pas pu pardonner ? C’est évident qu’il est plus facile de « laisser aller » quelqu’un quand « il a entendu ce qu’on avait à lui dire ». Mais que faire quand notre adversaire est sourd au discours de toute la communauté convoquée ? « Qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts ». Je pensais que cela voulait dire « Envoie-le au diable ! ». C’était oublier que Matthieu était collecteur d’impôts et ne trouvait probablement pas plus d’accueil auprès des gens de son époque que n’en trouve notre adversaire auprès de nous. Si Jésus a pu accueillir ce Matthieu pourquoi Lui, qui a quand même une sacré dose de patience, ne pourrait-il pas accueillir notre adversaire ? Nous voilà, rassurés. Nous n’avons pas besoin de nous crisper. Si nous avons accompli les 3 premières étapes, nous avons fait ce que nous devions faire. Dieu fera le reste. Un ami curé dans le diocèse de Namur m’a dit : « J’ai dit à mes paroissiens : Désormais vous ne m’entendrez plus jamais parler de notre évêque ». N’est-ce pas aussi ainsi qu’il faut comprendre l’absence apparente de liens entre Gaillot et Rome ? Vivre dans une distance qui permet à tout le monde de trouver un peu de paix en attendant le paradis.
Moi je m’attends à ce qu’au ciel on ait encore besoin d’une éternité d’échanges à propos de nos nombreuses embrouilles, Dieu installé au milieu de tout cela, écoutant avec bienveillance. Je ne crains vraiment pas m’y ennuyer. Mais pour moi, il n’y a pas d’objections à commencer le paradis sur terre.
Serait-il donc possible de
- aller rencontrer individuellement l’évêque avec chacun notre cadeau de confrontation
- de faire appel à des témoins en cas d’échec de la première tentative
- de convoquer une assemblée en cas d’échec des deux premières initiatives
- de confier à Dieu ce que nous n’arrivons pas à gérer
- envisager toute cette problématique avec la perspective, assez proche quand même, du paradis.
Andr Fockedey