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Lettre de Noël

au Liban

Mouchir Aoun
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Mouchir Aoun est un prêtre libanais qui fut curé à Genval de 1998 à 2001. Actuellement professeur à la faculté de théologie de l'Université Saint-Esprit à Kaslik (Mont Liban), il est resté en contact avec ses anciens paroissiens.

 

Chers amis,

En cette fête de Noël, le Liban connaît ses moments les plus critiques. Je me vois dans l’obligation morale de vous faire partager, en ce moment, les préoccupations de la majeure partie de mes compatriotes qui se demandent si leur pays mérite encore d’être classé par les nations « possibles » de la terre. Les festivités de Noël se trouvent cette année massivement ombragées par les graves tensions qui frappent jusqu’à la paralysie notre société.

D’une part, les régimes arabes sunnites, soutenus par la politique américaine de l’administration Bush, veulent soutenir à tout prix le gouvernement actuel et le courant politique de l’ancien premier ministre Rafic Hariri ; de l’autre, l’Iran et la Syrie entendent renforcer la position des chiites libanais (le Hezbollah et le mouvement Amal) qui, eux, réclament une meilleure répartition des pouvoirs de l’Etat (minorité de blocage au sein du conseil des ministres), autant dire une refonte constitutionnelle susceptible de permettre à la communauté chiite libanaise de défendre son existence et ses droits.

Les chrétiens libanais, ayant perdu la guerre en 1990, se trouvent acculés à s’aligner sur l’un ou l’autre axe de confrontation. L’axe sunnite (Hariri) réclame le tribunal à caractère international, et l’axe chiite (Hezbollah) revendique une meilleure participation (entendre « plus efficace » et conforme à la taille de la communauté chiite) à la gestion des affaires de l’Etat libanais. On redoute ainsi un conflit armé selon le modèle provoqué par les Américains en Iraq. Pendant l’occupation syrienne, les différends et points de litiges qui sont inhérents à la vie politique libanaise, étaient directement et despotiquement traités par Damas. Les Libanais n’avaient qu’à obéir. Aujourd’hui, le départ des Syriens a provoqué un vide constitutionnel, car les accords de Taëf qui avaient mis un terme à la guerre libanaise n’ont pas prévu des mécanismes explicites de gestion de conflits entre la présidence (chrétien maronite), la chambre (musulman chiite) et le cabinet des ministres (musulman sunnite).

S’ajoutent à ces considérations la tension permanente entre les palestiniens et les israéliens, et celle, moins visible pour le moment, entre les israéliens et le Hezbollah libanais, soutenu par l’Iran. La confrontation internationale entre l’Iran et les Etats-Unis ne favorise plus au Liban une entente interconfessionnelle. Car les positions se cristallisent inconsciemment autour de ces deux blocs. Le bloc américain réclame en apparence plus de démocratie au Proche-Orient, mais en réalité, il ne fait qu’encourager Israël à humilier les palestiniens, et aggrave la situation en Iraq en amplifiant les divisions des communautés kurde, sunnite et chiite. Le bloc iranien proclame vouloir défendre les intérêts des palestiniens et des minorités persécutées dans le monde arabe, notamment les minorités chiites, mais en réalité, il creuse l’écart dans les sociétés arabes entre sunnites et chiites et manipule le Hezbollah dans un conflit armé suicidaire contre Israël. En outre, le régime iranien de la tutelle du juriste religieux risque d’infirmer le processus démocratique dans la société, même s’il est atténué par un système bicaméral de représentativité à suffrage universel. Certains régimes arabes, d’obédience sunnite, n’excellent pas, non plus, dans le respect des principes fondamentaux de la démocratie occidentale. Même si les ulémas sunnites ne sont pas directement impliqués dans la gestion publique, ces sociétés arabes sunnites semblent fonctionner selon la même logique de subordination du politique à l’emprise du religieux.

Tous ces éléments montrent à quel point les Libanais chrétiens, menacés, divisés, désorientés, ne parviennent plus à maîtriser le cours des événements. Ils n’ont même plus la possibilité de secouer la conscience patriotique de leurs compatriotes chiites et sunnites pour leur demander de conclure un pacte de pacification de la situation et de consentir des compromis de concessions mutuelles en vue de sauvegarder l’originalité de la convivialité libanaise. Ces chrétiens se trouvent malheureusement divisés entre le bloc chiite et le bloc sunnite. Aucun mouvement politique chrétien de grande envergure ne saurait pour le moment prendre racine et concurrencer l’effet négatif que ne laisse de produire cette satellisation inquiétante de la classe politique libanaise chrétienne.

A cet égard, beaucoup pensent que le Liban se trouve actuellement soumis à l’une des épreuves politiques le plus meurtrières de son histoire. Il subit les séquelles de la confrontation planétaire de l’occident et de l’islam, les conséquences désastreuses du conflit israélo-palestinien, et les retombées déstabilisantes de l’agression américaine en Iraq et de la politique occidentale d’encerclement de l’Iran. Or, sa fragilité constitutionnelle, sa diversité originelle et l’irresponsabilité de la conduite éthique de la majeure partie de ses chefs politiques le privent dramatiquement de toute forme d’immunité propre.

Au lieu de remédier à ces carences de fond, les responsables libanais se sont contentés d’exploiter égoïstement les dernières richesses du pays. Aucune réflexion de fond n’a été sérieusement menée sur l’avenir de la constitution libanaise. Même la loi électorale libanaise qui a donné naissance en mai 2005 à la constitution d’un parlement boiteux, est l’œuvre d’un agent syrien des services de renseignements secrets militaires. Elle a été pour ainsi dire imposée aux Libanais sous l’occupation syrienne pour défavoriser les Libanais chrétiens et neutraliser toute volonté d’indépendance et de souveraineté. Aussi nombre de Libanais pensent-ils aujourd’hui qu’il faut amender de fond en comble cette loi électorale pour permettre à la population libanaise d’exprimer librement ses choix et ses préférences. Le problème demeure entier de savoir quel découpage électoral pourrait actuellement correspondre fidèlement à la nature de la mutation démographique et socio-politique dont pâtit la société libanaise. Ce qui signifie que l’on ne peut élaborer une nouvelle loi électorale sans avoir dégagé au préalable un consensus national au sujet de l’identité et de la vocation du Liban dans son environnement arabe. Or, pour pouvoir entreprendre cette démarche, il importe de laisser parler les Libanais eux-mêmes moyennant un mécanisme de sondage et de vérification de l’opinion publique dont la légitimité et l’impartialité soient reconnues universellement. Cela étant dit, il convient d’éviter en même temps ce qu’on appelle depuis Tocqueville la dictature de la majorité démographique, non encore convenablement éclairée et initiée aux nuances propres à la gestion commune et interculturelle de la res publica.

En l’absence d’une telle démarche, je crois que le Liban continuera de sombrer dans l’instabilité, le chaos et, ultimement, dans le conflit armé. Pour le moment, le souvenir de la récente guerre libanaise (1975-1990) continue d’exercer un certain effet dissuasif sur les consciences. Mais le jour où les menaces identitaires atteignent leur paroxysme, je ne vois plus comment les Libanais peuvent défendre la cause de leur droit à la vie, à la paix, à la prospérité, et surtout à la sensibilité plurielle dans la saisie des enjeux fondamentaux de la culture actuelle.

A mon avis, il faudra neutraliser les allégeances libanaises extraterritoriales pour permettre aux Libanais de se sentir impliqués tous ensemble dans un processus de réflexion sereine sur le sort  de leur convivialité. A l’abri des ingérences extérieures, les Libanais pourront retrouver le goût de la coexistence et du partage équitable des pouvoirs et des responsabilités. Seul une conception radicalement innovatrice de la constitution libanaise est en mesure de préparer l’avènement d’une société libanaise pacifiée et réconciliée avec elle-même. Une constitution susceptible de sauvegarder les particularités culturelles des communautés et les droits imprescriptibles des citoyens. C’est pourquoi il faudra concevoir un système politique ambivalent susceptible et d’acclimater les acquis de la laïcité et d’observer les requêtes de la sauvegarde des identités communautaires.

C’est dans ce sens que je conçois le processus d’assainissement de la situation politique au Liban. Sans le double effort de la communauté internationale et des différentes composantes de la société libanaise, l’avenir du Liban demeure sujet aux aléas des bouleversements violents de l’histoire récente du Proche-Orient. C’est dans ce sens aussi que les Libanais et les libanophiles doivent œuvrer ensemble pour faire prendre conscience aux sociétés européennes de la gravité des enjeux qui hypothèquent l’avenir de la communauté chrétienne au Liban.

 

Mouchir Aoun - Liban)


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