Quelle Europe au commencement du millénaire ?
Réseau européen Eglises et Libert
Publié dans Bulletin PAVÉS n°10 (3/2007)
Déclaration des mouvements catholiques de base sur l’Europe future à cinquante ans du Traité de Rome
Déclaration proposée par le Réseau Européen Eglises et Libertés. Une campagne de signatures l'accompagne : cliquer sur ce sous-titre pour accéder au site du Réseau. L'adresse pour signer sera indiquée ici dès qu'elle aura été fixée.
Sur notre continent la collaboration entre les Etats qui ont donné vie à l'Union Européenne a été une entreprise hautement positive dans l'histoire des dernières décennies. A présent, après la chute du mur de Berlin et la fin du bipolarisme, l’Europe se trouve devant des défis inédits : l'ouverture en cours aux pays de l'Est puis à la Turquie, son rôle dans le monde, la forte immigration en provenance de pays tiers, le fonctionnement de ses institutions et les objectifs à poursuivre en ce qui concerne sa propre cohésion interne, l'équité sociale et la croissance soutenable de l'économie.
A l'occasion du cinquantenaire de la signature du Traité de Rome, les Etats européens cherchent à énoncer les valeurs et les stratégies pour faire face aux difficultés présentes. Les évêques d’Europe aussi préparent des documents et des initiatives mais en y associant bien peu le peuple de Dieu. Quant à nous, chrétiens qui vivent leur foi dans l'Eglise catholique sans exercer quelque rôle que ce soit, nous voulons contribuer à la réflexion sur l'Europe au sujet de quelques questions de fond :
1) le rôle de l’Europe dans le monde doit être au premier plan des préoccupations. Il ne suffit pas de proposer une politique extérieure commune, il faut dire laquelle. Nous pensons que l’Europe peut et doit :
- assumer un rôle différent de celui qu'elle a joué dans le passé, par ses politiques communautaires et vis à vis des grandes institutions internationales (Nations-Unies, Fond Monétaire, Banque Mondiale, Organisation Mondiale du Commerce) pour ce qui concerne les rapports entre le Nord et le Sud du monde, afin de combattre les effets négatifs de la mondialisation libérale et de promouvoir un développement soutenable et de combattre la pauvreté;
-marquer sur la scène internationale une nette discontinuité avec le passé, en affirmant son indépendance vis à vis de l’unique puissance globale restante pour devenir point de référence pour une politique de médiation et de paix dans les zones de conflit (surtout au Moyen-Orient et en Afrique, comme la demande lui en est souvent faite;
- mettre en oeuvre en conséquence une politique de séparation de ses structures militaires propres de celles des Etats-Unis, engager la réduction des dépenses militaires, interrompre toute exportation d'armes et simultanément lancer des initiatives propres ou promouvoir celles des Etats membres ou d'organisations de la société civile en matière d'actions non-violente de prévention, de médiation et de gestion des conflits;
2) les droits des citoyens et des travailleurs sont affirmés dans plusieurs textes officiels de l’Union Européenne mais leur protection doit être mise en oeuvre avec une plus grande détermination. En particulier les droits sociaux fondamentaux sont encore garantis de façon insuffisante parce que prévaut l'idéologie et le système du libéralisme économique. Les problèmes posés par la défense des conquêtes sociales sont à affronter avec prudence et équité pour éviter la formation de nouvelles grandes poches de pauvreté parmi les personnes les plus faibles (retraités, chômeurs, jeunes familles nombreuses…). L'égalité de genre elle-même n'est pas encore suffisamment protégée et promue;
3) sur notre continent les “derniers” dont parle l'Evangile sont les travailleurs et leurs familles qui proviennent des pays extra-communautaires. La politique de l’U.E. et des pays membres n'est pas à la hauteur des besoins et des attentes légitimes tant des personnes déjà arrivées en Europe que de celles qui veulent y venir; elle est en outre peu consciente de l'apport de ces nouvelles énergies à la société européenne;
4) les pouvoirs criminels sont en expansion à la faveur de la mondialisation de l'économie et de la communication et se répandent dans toute l'Europe sans que les institutions aient conscience de la gravité de cette réalité et s'y attaquent de manière radicale et continue.
Tandis que nous faisons ces propositions pour une nouvelle Europe, l'esprit tourné vers l'Evangile, nous ne comprenons ni ne soutenons les déclarations répétées et l'activisme des évêques pour obtenir l'inscription dans les textes constitutionnels de l'UE et dans la future “Déclaration de Berlin” de références aux “racines chrétiennes” de l’Europe et voire l'invocation à “Dieu”. En effet, nous sommes convaincus que l'histoire de l’Europe a été marquée par bien plus d'une culture, que même l'empreinte forte laissée par le christianisme comporte bien des ombres et que la séparation de la sphère religieuse d'avec la sphère politique est une grande valeur humaine et chrétienne. De plus le risque existe que, à cause des revendications des évêques, d'autres viennent à leur tour revendiquer leur propre 'identité' et que se créent ainsi des incompréhensions et divisions inutiles et dépassées. La Parole de Dieu, pour être écoutée et accueillie, n'a pas besoin de reconnaissances ou de rôles distribués par l'autorité civile. Elle doit être proposée par une Eglise pauvre et par un ministère gratuit . Il nous semble que suffit la garantie de la liberté religieuse, y compris dans toute sa manifestation collective, qui est prévue à l’art. 10 de la Charte des droits fondamentaux (Charte de Nice) et nous ne tenons pas pour opportune la présence institutionnalisée des églises dans le fonctionnement de l’U.E. (art. 52. 3 du projet de Constitution européenne). Il nous semble suffisant que les églises et leurs organisations fassent entendre leur voix selon les modalités ordinaires prévues par l'art. 47, selon les règles de la démocratie participative.
Nous formons aussi le vœu que les catholiques des pays européens s'attachent à discuter en toute liberté de la situation actuelle des rapports Etat/Eglises qui diffèrent de pays à pays mais qui sont, presque partout fondés sur un régime de privilège pour ce qui concerne l'Eglise catholique. Nous voudrions que la réflexion s'inspire de la Constitution conciliaire Gaudium et Spes et, en particulier, du chap. 76 où il est affirmé que l'Eglise “ne met pas son espérance dans les privilèges accordés par l'autorité civile et dès lors renoncera à l'exercice de certains droits acquis légitimement, là où elle constate que leur usage pourrait faire douter de la sincérité de son témoignage”. Nous sommes conscients que mettre en débat ces relations signifie aussi penser à une Eglise toujours plus Peuple de Dieu et toujours moins structure hiérarchique. C'est ce qu'avait proposé et commencé à faire le Concile oecuménique Vatican II.
Tandis que nous réfléchissons sur l'avenir de l'Europe dans une période critique de l'histoire de l'humanité, nous sommes conscients de toutes les responsabilités qui nous incombent directement dans le cheminement oecuménique des Eglises chrétiennes, trop lent alors que le peuple chrétien est en avance sur ceux qui le conduisent. Tout autant pèse sur nous la responsabilité d'un dialogue avec les autres religions, en premier lieu avec l’islam. La convergence des religions sur les grands objectifs d'une éthique sociale commune et d'un vivre-ensemble des peuples seraient pour notre continent et ses institutions une contribution extraordinaire. Les paroles de l’Evangile nous guident en nous donnent l'espérance qu'une nouvelle Europe puisse contribuer à la construction d'un autre monde possible.
Rome-Berlin 25 mars 2007
Réseau européen Eglises et Libert