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Lettre d’encouragement de la base aux évêques

Pierre Collet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

En janvier dernier, les évêques de Belgique ont envoyé une lettre d’encouragement aux prêtres. A priori la démarche apparaît assez sympathique, plus en tout cas que des directives ou des remontrances… C’est que les prêtres en effet méritent bien ces encouragements.

J’essaie de me mettre à leur place : avoir consacré sa vie à l’annonce de l’Evangile, et se rendre compte que ce dernier ne semble plus intéresser qu’une petite minorité…, avoir corollairement passé le plus clair de son temps au service d’une institution qui s’en va à vau-l’eau et dont on regrette davantage chaque jour le manque d’humilité, de courage et de clairvoyance…, oui, ça ne doit pas être très mobilisateur… Et j’essaie de me mettre à la place des évêques (pardon, c’est une image !) : dans la logique qui est celle de l’autorité depuis des siècles, que deviendraient-ils, que deviendrait l’Eglise sans les prêtres ? 

Bien sûr cette lettre ne m’est pas adressée, puisque je ne suis plus prêtre, mais je me suis permis de la lire quand même et elle a eu l’effet inverse, celui de me décourager… Nous avons échangé à ce propos, à Hors-les-Murs et au Conseil de PAVÉS, et nous avons décidé de réagir fermement pour une fois, dans la foulée des prêtres ‘non-découragés’ qui se sont exprimés dans La Libre du 13 février.

Car nos évêques n’hésitent pas à redire la supériorité du prêtre catholique célibataire – il s’agit donc aussi d’une supériorité sur les prêtres mariés orientaux par exemple – basée sur une plus grande proximité du Christ : « Depuis des siècles, l'Eglise latine demande le célibat à ses prêtres. Cette exigence ne concerne pas l'essence du sacerdoce, mais son mieux-être, sa plus-value. (…) Certes l'Eglise peut modifier la loi du célibat, puisqu'il s'agit d'une loi ecclésiastique. Dans certaines Eglises catholiques, il en est d'ailleurs ainsi. C'est donc possible. Mais alors l'Eglise renonce à demander à ses prêtres d'imiter le Christ de très près, de suivre radicalement sa parole (p.13). »

C’est cette soi-disant radicalité, sur laquelle on revient souvent, qui a le don de m’agacer… Comme si la seule manière d’identifier était d’opposer en hiérarchisant. Curieux tout de même que les seuls conseils évangéliques que la Tradition a fait endosser par les prêtres séculiers soient le célibat et l’obéissance, et pas la pauvreté…

Je relis cette remarquable conférence de J. Tamayo sur « la nécessaire réforme de l’Eglise » en 2002. La seule vraie incompatibilité avec le ministère qu’il découvre dans les évangiles, c’est … l’argent !  « Il est nécessaire de réinventer de nouvelles formes de ministère, dans lesquelles on élimine les incompatibilités comme "ministère et sexualité", "sacerdoce et vie en couple" et on établisse un autre régime d’incompatibilités, par exemple, entre "ministère et usure" (qui ne serait pas mal venue dans quelques diocèses espagnols, comme ceux de Valladolid, Bilbao...), "ministère et rationalité économique néo-libérale", "ministère et alliance avec le pouvoir", "ministère et sexisme", etc. Actuellement, c’est sur les premières incompatibilités qu’est mis l’accent, tandis que les secondes sont considérées sans importance. Or ce sont celles-ci et non celles-là qui sont établies dans l’Evangile avec une radicalité inusitée. Jésus dit qu’on ne peut servir Dieu et l’Argent (Mammon, avec une majuscule : l’argent converti en idole). Dans l’Evangile il n’y a pas un seul interdit qui empêche de jouir du corps, de la sexualité, de l’amour. » 

Donc, imiter le Christ de plus près… Si on pouvait en rester là, ce serait sans doute une manière défendable de présenter la spiritualité chrétienne, à laquelle nous serions tous invités en tant que disciples de Jésus. Mais on va plus loin, et c’est sur cette base qu’on en est arrivé à situer le prêtre du côté du Christ-tête, et pas du côté du Christ-corps ou du Christ-membres…  La lettre de nos évêques renoue sans complexe avec cette théologie qui tend à confondre l’Eglise avec le Christ lui-même. Et spécialement la partie hiérarchique de cette Eglise. Si le prêtre est censé rendre présent le Christ-tête, que représentent les autres : un Christ-membre, un Christ obéissant, ou pas du tout le Christ ? Est-ce que, dans la foulée, on n’est pas de nouveau en train d’assimiler le ministère du prêtre avec un pouvoir ?  

Finalement, c’est toujours le même débat sous-jacent sur l’identité et la fonction. (p.17) ‘A notre époque, il existe en outre, une tendance à relier l'identité de quelqu'un d'abord avec ce qu'il fait. Or l'iden­tité du prêtre vient surtout de ce qu'il est, bien plus que de ce qu'il fait.’  Les références abondent, bibliques entre autres : mais où donc a-t-on vu que Jésus avait pensé aux prêtres… ? A-t-on le droit d’utiliser ainsi l’Ecriture au gré de ses propres besoins… ?

Bon, voilà qui est dit de notre agacement, de notre désaccord profond vis-à-vis du parti pris habituel concernant la prétendue distinction ‘d’être’ entre les prêtres et les laïcs.

N’en restons pas là ! Nos évêques seraient-ils prêts à entendre nos encouragements dans une voie qui nous semble, très clairement, une ‘interprétation crédible des signes du temps’ ?

Nous voudrions d’abord les encourager à ouvrir les débats nécessaires pour continuer l’aggiornamento de l’Eglise. Tamayo toujours : « Le concile Vatican II définit l’Eglise comme Peuple de Dieu, posant ainsi les bases d’une réforme démocratique. En même temps, il réaffirme la constitution hiérarchique et patriarcale de l’Eglise et l’infaillibilité du pape. Il laisse une triple opposition à abolir : clercs-laïcs, à remplacer par le binôme communauté-ministères, Eglise enseignante-enseignée, peuple-hiérarchie. La réforme doit s’inscrire dans la perspective de genre, en ouvrant aux femmes les lieux de décision et de direction. Dans la perspective des droits humains aussi. Tout cela se tient. » (idem)  Où voyez-vous le moindre frémissement de ce genre dans nos diocèses francophones de Belgique… ?

Nous voudrions aussi les encourager à une véritable audace pastorale. Fusionner les paroisses et les doyennés, restructurer les territoires, continuer à faire courir les prêtres pour les messes, les sacrements et tout le reste, ce n’est pas un projet, c’est la gestion d’une pénurie. Pourquoi ne pas s’inspirer de la réforme du diocèse de Poitiers qui est en cours depuis 12 ans et où 300 communautés locales ont été mises en place ? Même si on peut estimer que ce n’est qu’une étape, elle a au moins l’intérêt de redonner une vraie place aux laïcs – cités une seule fois dans la lettre des évêques, pour déplorer leur manque d’implication… – et de situer la problématique à partir des communautés, des relations sociales à reconstruire, et non de leurs serviteurs-prêtres ! N’est-ce pas de toute évidence une bonne direction pour faire face à la réalité concrète et, en même temps, réenchanter tous les ouvriers de la Bonne Nouvelle, qu’ils soient prêtres ou laïcs ?


Pierre Collet (Hors-les-murs)


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