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Des valeurs pour l’avenir de l’Europe

Pierre Collet
Publié dans Bulletin PAVÉS n°10 (3/2007)

L’Europe fête ces jours-ci le 50e anniversaire du Traité de Rome. Simple "Marché commun" au départ, elle est devenue "Communauté" puis "Union Européenne", passant de 6 à 27 membres et élargissant considérablement ses objectifs. Si nous apprécions tous la chance d’avoir vécu en paix depuis 60 ans, d’avoir vu évoluer sa construction et son approfondissement vers les domaines politique et sociaux, nous sommes aussi bien conscients qu’on ne peut pas en rester là et que le chemin de la justice, de l’équité, et même de la liberté est encore parsemé de bien des obstacles.

Par ailleurs, deux ans après l’échec de la "Constitution européenne", on a l’impression qu’une nouvelle tentative se met en place à la faveur du 50e anniversaire et sous l’impulsion allemande. Ce n’est évidemment pas le moment de laisser tomber les bras, et sûrement pas de contester l’intérêt d’un "Traité constitutionnel européen". Mais une certaine fièvre s’est emparée des lobbies de toutes sortes, et en particulier des Églises, avec le projet de situer à nouveau le débat sur le terrain de l’éthique et des religions. À juste titre, sans doute. Mais les enjeux sont-ils toujours les mêmes ? 

On se souvient des invectives lancées de toutes parts dès 2003 pour défendre ou pour critiquer la référence à Dieu, aux racines chrétiennes de l’Europe, à une place "privilégiée" des religions reconnues par rapport au reste de la société civile. Les mouvements catholiques "réformateurs" – dont le Réseau Européen Églises et Libertés – ont pris résolument parti dans cette bataille pour soutenir la neutralité et la non ingérence des hiérarchies religieuses en politique. On peut évidemment discuter cette position, en particulier la méconnaissance de l’interaction du message chrétien dans la culture européenne, et surtout l’amalgame entre les trois références citées. Par contre, le consensus semble acquis pour contester tout "dialogue privilégié" avec les hiérarchies religieuses au détriment du "peuple de Dieu"…

Or plusieurs pays ne sont pas prêts à renoncer au fondement "religieux" des valeurs – les derniers arrivés ont encore le communisme en mémoire et assimilent facilement l’Église à la résistance, à la dignité et à la liberté – alors que d’autres estiment que le seul discours universel possible sur les valeurs ne peut être que "laïque". Nos amis français sont sans doute les champions de cette "laïcité" qu’ils ne cessent de devoir redéfinir et qui n’a rien à voir avec la laïcité belge, si souvent a-religieuse et même anti-religieuse… Mais ces extrêmes sont-ils les seules ou les meilleures manières de concevoir l’apport des religions et des spiritualités à la chose publique ?

Car il y a incontestablement une nouveauté dans la perception du fait religieux : non seulement il n’est plus tabou ni cantonné dans la vie privée, mais il est de plus en plus apprécié par nos contemporains comme référence publique et "objective". Le pluralisme ne peut pas se réduire au silence des convictions, et la politique de l’Union n’a pas intérêt à nier ou ignorer le fait religieux : elle doit en tenir compte.

Le Vatican, d’autres Églises, et plusieurs États – certains "concordataires" – sont donc en train de tout faire pour garder une certaine influence sur les décisions qui sont prises au niveau éthique dans l’Union Européenne. Le seul dossier sensible en cours concerne les cellules-souches, mais on peut deviner les pressions énormes qui empêchent de discuter de l’avortement, de l’euthanasie ou des droits des homosexuels… Encore ne faudrait-il pas perdre de vue que le débat éthique ne se limite pas aux questions disputées, le plus souvent liées à la famille ou à la bioéthique, et auxquelles les médias ont l’habitude de le réduire.

C’est que dans le domaine socio-économique, les Églises adopteraient plutôt une attitude de progrès et de contestation : nous n’avons pas à rougir des prises de position des derniers papes dans leur critique du libéralisme et dans leur rappel incessant d’une distribution plus juste au niveau mondial, d’un accueil et d’un soutien sans relâche au pauvre et à l’étranger… Inversement, on ne peut malheureu-sement se réjouir de la manière de fonctionner de l’Église catholique : on est en droit de s’interroger sur la pertinence d’un dialogue entre nos élus politiques et des institutions religieuses qui ne respectent absolument aucun fonctionnement démocra-tique, pas même la "consultation" de ses membres, qui manipule d’autorité tous les niveaux de pouvoir et qui bannit par principe l’égalité homme-femme…  

Derrière les différentes "Déclarations" qui fleurissent ces jours-ci, se profile donc clairement la volonté de ne pas "laisser aux évêques de la COMECE[1] et autres autorités religieuses de la KEK[2] le monopole des valeurs morales, et en particulier le droit des personnes à une existence digne tout en insistant sur la liberté de pensée et la liberté de conscience". Bien sûr que Vatican II avait reconnu la "liberté religieuse" et son "fondement dans la dignité même de la personne humaine". C’était même un petit miracle à l’époque, après des décennies de refus, et ce fut d’ailleurs l’une des trois raisons du schisme lefebvriste, avec la réforme liturgique et l’ouverture œcuménique. Mais aujourd’hui les autorités religieuses – particulièrement catholiques – sont-elles aussi crédibles et aussi fiables que les orientations conciliaires le laissaient croire ?

Se pose donc forcément aujourd’hui et plus que jamais la question d’une autre "Constitution", une Constitution pour l’Église catholique qui mette en forme l’Église-communion proclamée par Lumen Gentium. Dans la foulée de cette "Constitution dogmatique", elle devrait permette un fonctionnement démocratique interne : "Nous voulons les droits humains dans l’Église, nous les voulons tous et nous les voulons maintenant !" Une proposition existe en ce sens depuis 1998, bien différente du Droit Canon de 1983, et qu’on a peut-être un peu oubliée[3].

Outre les trois "références" citées plus haut, la future "Déclaration de Berlin" (celle des Évêques) mettra sans doute l’accent sur la critique du libéralisme et sur l’accueil des plus démunis, mais "oubliera" sans doute de prôner ces valeurs de démocratie et de liberté de conscience. Est-ce pour cette raison que certains mouvements catholiques réformateurs (CFFC[4]) ont préparé une "Déclaration de Bruxelles" totalement axée sur les libertés individuelles ? Les initiateurs se sont alliés pour cela avec la Fédération Humaniste Européenne et ont sollicité la signature de personnalités qu’ils estimaient représentatives, mais pas l’implication des autres groupes ou réseaux, comme le nôtre. Choisissant ce créneau pour entrer en dialogue avec le Parlement Européen, ce texte ne fait aucune allusion aux valeurs de solidarité ni à l’attention aux pauvres et aux exclus. Dommage. Nous n’aurions sans doute pas signé cette déclaration.

La question posée est difficile. Toute prise de position de type "politique" nécessite une sorte de compromis entre les différences, fruit du dialogue et de la complémentarité, reflet d’une certaine vérité jamais acquise. Mais comment et jusqu’où concilier cette attitude avec un minimum de fidélité à la force "prophétique" de la Bonne Nouvelle de Jésus ?  

Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il a fallu s’atteler à une autre "Déclaration des mouvements catholiques de base". Résultat également d’un compromis, elle n’est évidemment pas parfaite : nous aurions aimé par exemple qu’elle prenne encore plus parti pour la non-violence, qu’elle soutienne le projet d’un "service civil obligatoire", qu’elle conditionne sans concession la participation des Églises à l’Europe à des critères de fonctionnement démocratique interne… Mais ce texte fait le pari que la priorité au plus pauvre et à l’étranger, le respect des droits sociaux, l’ouverture œcuménique et le dialogue des religions et des cultures, sont le passage obligé vers un mieux vivre-ensemble et un nouvel élan pour l’Europe de demain.

 

Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :

[1] COMECE = Commission des Épiscopats (catholiques) de la Communauté Européenne 

[2] CEC/KEK = Conférence des Églises Européennes (126 Églises orthodoxes, protestantes et vieilles-catholiques plus 43 organisations associées de tous les pays du continent européen) 

[3]  à voir sur  http://astro.temple.edu/~arcc/frenchconst.htm

[4]  CFFC = Catholics for a free choice



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