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Les premiers pas du pontificat de Benoît XVI

Espérances et inquiétudes

Jean Rigal
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Le mardi 19 avril 2005 à 17h 52, la fumée blanche s'échappait de la chapelle Sixtine : « Habemus Papam » : Joseph Ratzinger. Applaudissements d'usage. Pour certains, stupéfaction et déjà inquiétudes. Il ne s'agissait pas d'un obscur prélat. J. Ratzinger était connu de tous les cardinaux autorisés à voter, ceci pouvant expliquer cela. Plus tard, on apprenait qu'un cardinal, à la fois discret sur son identité et indiscret par rapport au secret du conclave, bravant une éventuelle excommunication, aurait révélé que Jorge Bergoglio, archevêque de Buenos Aires avait récolté 40 voix au 3ème tour de vote. Il y eut 4 votes au total.

L'élection de Benoît XVI ne manquait pas d'interroger les chrétiens qui réfléchissent: D'une part, Joseph Ratzinger devenait le nouvel évêque de Rome à 78 ans, soit trois ans après l'âge réglementaire de la démission des évêques. Le pape serait-il au-dessus de la loi ? Surtout, le nouveau pape s'était fait auprès d'un grand nombre, la réputation d'un « conservateur confirmé », comme l'avaient clairement manifesté différents documents et, en particulier, la fameuse déclaration Dominus Jesus du 6 août 2000. Ce texte - de par le contenu et le ton adopté - avait irrité pas mal de monde, y compris parmi les catholiques. Les critiques portaient essentiellement sur le IV° chapitre relatif à l'unité et à l'unicité de l'Eglise.

Le texte apparaissait comme un détournement de l'enseignement du Concile qui était, selon Yves Congar, de « reconnaître à la fois que l'Eglise du Christ et des apôtres existe (subsistit) dans l'Eglise catholique et que cependant elle ne s'y réduit pas ». Alors que Vatican II en restait à l'expression globale « Eglises et communautés ecclésiales », la déclaration Dominus Jesus tranchait le débat : elle refusait le terme « Eglises » aux communautés protestantes. L'argument avancé était qu'elles ne bénéficient ni de la succession apostolique ni de l'eucharistie valide. Aujourd'hui encore, cette question théologique et linguistique n'est pas dissipée.

En comparaison avec son illustre prédécesseur, le nouveau pape faisait le choix d'une papauté plus modeste. Sa simplicité était reconnue et sa réserve naturelle attirait plutôt la sympathie. Autant Jean-Paul II se montrait démonstratif, théâtral et médiatique, autant le nouveau pape semblait prendre un « profil bas » et ainsi libérer l'Eglise catholique d'une accentuation papale extrême, complaisamment amplifiée par les médias. A croire que l'Eglise se réduisait à Jean-Paul II !

Personne ne doutait de la sincérité du pape Ratzinger lorsqu'il déclarait aux pèlerins allemands : « Quand progressivement le déroulement des votes m'a fait comprendre que, pour ainsi dire le couperet allait tomber sur moi, j'ai été pris d'un sentiment de vertige. Je croyais avoir achevé l'ouvre de ma vie et pouvoir finir mes jours dans la quiétude. Avec une profonde conviction, j'ai dit au Seigneur : Ne me fais pas cela ! Tu en as de plus jeunes et de meilleurs. ». A n'en pas douter, Ratzinger serait volontiers retourné à ses chers livres !

Non sans surprise, on découvrait un pape âgé mais à la démarche physique normale, comme pour faire oublier le fauteuil roulant de son prédécesseur. Sa valeur intellectuelle de haut niveau, l'authenticité de sa vie spirituelle étaient unanimement reconnues. Pas d'effet de manche dans les discours. Nombre de chrétiens se prenaient à espérer ou à rêver, et déjà à nuancer leurs premières impressions. Et si, par miracle, l'ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le redouté « Panzer-Cardinal » avait réellement changé, et s'il s'était converti à l'exercice d'une nouvelle mission ?

Le bref parcours ici proposé sera une manière bien partielle de répondre à cette question. Chaque jour qui passe apporte des éléments nouveaux. De plus, ces observations gardent un caractère subjectif. C'est la loi du genre.

Trois points retiendront notre attention :
I. Les événements marquants,
II. Les objectifs essentiels,
III. Quelques questions adressées au nouvel évêque de Rome.

I. Des événements marquants

Un événement : c'est tout à la fois ce qui se dit, ce qui se vit, ce qui se voit, et aussi, de plus en plus, ce qui est communiqué et compris par l'opinion publique. Jean-Paul II en avait parfaitement conscience. Dans un premier temps, je pensais faire état des J.M.J de Cologne (août 2005). Mais il m'a paru que le nouveau pape entrait difficilement dans le moule J.M.J marqué fortement par son prédécesseur. Je me limiterai donc à trois événements suggestifs où la personnalité du pape s'est davantage manifestée : sa première encyclique, le discours de Ratisbonne, sa visée géopolitique.

A. L'encyclique « Deus caritas est » (25/12/2005)
On doit reconnaître que le thème et le ton positif de l'encyclique ont étonné, sinon dérouté nombre de ses lecteurs. On attendait Benoît XVI en pourfendeur du relativisme, et le voici défenseur d'un message incisif, centré sur l'amour. Les médias n'ont guère répercuté l'enseignement du pape. Par contre, nombre de catholiques ont été agréablement surpris que l'encyclique tente de réconcilier, pour ainsi dire, deux notions perçues comme antagonistes : l'éros et l'agapè. Il n'est pas si fréquent de lire des textes sur ce rapport dialectique et de rencontrer des formules telles que : « Dieu aime, et son amour peut être qualifié sans aucun doute comme éros, qui toutefois est en même temps et totalement agapè » (n° 9) . Ou encore « Eros et agapè [.] ne se laissent jamais séparer complètement l'un de l'autre. Plus ces deux formes d'amour [.] trouvent leur juste unité [.], plus se réalise la véritable nature de l'amour » (n° 7). Beaucoup de chrétiens ont compris que derrière ces propos se profilaient une réhabilitation du corps et une dynamique pour vivre. La deuxième partie de l'encyclique « La charité de l'Eglise » est venue actualiser les principes de départ. A six reprises, le texte souligne que Parole de Dieu, sacrements et charité fraternelle sont indissociables. Néanmoins, c'est l'amour qui est premier. Des chrétiens engagés, mais contraints de taire leur foi, se sont reconnus dans la formule « Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l'amour » (n° 31).
Sans nul doute, cette première encyclique qui n'est pas un programme de gouvernement est venue insuffler un peu d'air frais dans la morosité et l'attente inquiète d'une première année de pontificat.
Certains se sont demandés si le pape ne voulait pas répondre implicitement à l'objection « L'Eglise semble constamment s'opposer à la joie de l'éros », ou bien se dédouaner lui-même d'une réputation antérieure peu flatteuse. Des théologiens, comme Hans Küng, peu suspect d'excessive complaisance à l'égard de son ancien collègue de Tübingen, ont émis un jugement positif sur la 1ère partie de l'encyclique. Ils ont aussi formulé des réserves sur la 2ème partie : « Bien des questions concernant la justice se posent non seulement pour l'Etat mais aussi à l'intérieur de l'Eglise ». Ou encore : « L'Eglise catholique va-t-elle revoir, à la lumière de ces principes, son enseignement sur la morale sexuelle ? » - Rien n'est dit à ce sujet. D'autres encore ont regretté le silence de l'encyclique sur les grands problèmes sociaux du monde actuel (tels la mondialisation, les relations Nord-Sud, l'écologie, la propagation du sida.). Effectivement, l'enseignement de l'encyclique concernant la charité sociale n'apporte rien de neuf. Ces critiques doivent être entendues, mais il est légitime de maintenir que la 1ère encyclique de Benoît XVI a reçu, en France, dans la majorité des communautés catholiques, un accueil nettement positif. Une question se pose désormais : cet enseignement de belle élévation aura-t-il des retombées concrètes ? - A ce jour, il ne le semble pas.

B. Le discours de Ratisbonne

Curieusement, le discours de Ratisbonne (12/09/2006), prononcé en Bavière a connu des prolongements imprévus jusque dans la lointaine Turquie, avec la visite de Benoît XVI à la mosquée bleue d'Istanbul (le 30/11/2006), gage spectaculaire d'une volonté de réconciliation. Tout le monde sait que, sans une certaine citation de l'empereur byzantin Manuel II Paléologue, cette leçon universitaire aurait connu un retentissement beaucoup plus limité. Il importe donc de considérer les deux facettes de l'événement : la conférence de Ratisbonne et son corrélatif, ses rebondissements dans le monde musulman.
La conférence, à forte teneur philosophique et théologique, propose une réflexion « de haut vol » sur les relations entre foi et raison. Le cœur de l'argumentation réside, semble-t-il, en cette phrase : « Ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu ». Foi et raison s'appellent l'une l'autre. De ce fait, « la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison. Elle est contraire à la nature de Dieu. ». Le pape a repris, dans une audience à St Pierre, ces deux éléments : « Je voulais expliquer que vont ensemble, non pas la religion et la violence, mais la religion et la raison » (le 20/09/2006).
Tout en reconnaissant les risques de subjectivité si la raison n'a plus sa place, d'aucuns ont fait valoir que la foi et l'expérience humaine (dans toutes ses dimensions et ses découvertes) avaient intérêt à se rencontrer et pouvaient s'enrichir mutuellement. En se livrant à une critique de Kant, clairement désigné, l'esprit spéculatif du théologien Ratzinger l'aurait-il oublié ?. On a aussi reproché au conférencier - attentif aux données historiques - une alliance trop limitée au lien « raison grecque et foi chrétienne ». Le pape s'en défend, après coup, en précisant qu'au contraire, il voulait ainsi inviter au dialogue de toutes les cultures et de toutes les religions. Mais l'aura-t-on ainsi perçu ?
Pour évoquer la suite, qui est d'une tout autre texture, des malicieux ont trouvé la formule grinçante, proche de l'impertinence : « De la Bavière à la bavure ». Une citation peu opportune dans le contexte actuel a mis le feu aux poudres dans nombre de sphères musulmanes. Les multiples et insistantes explications subséquentes ont eu quelques difficultés à dissiper l'émoi que la maladresse de l'orateur avait suscité. Certains ont fait remarquer que la gaffe de Ratisbonne aurait pu être évitée si le conférencier avait bénéficié, au préalable, de judicieux conseils. On entend dire que « Benoît XVI aime décider seul » : serait-ce une interprétation contestable de la primauté ? (Des questions analogues de vigilance se sont posées à propos de la nomination - aussitôt annulée - du primat de Pologne). Plusieurs mois après l'incident, il semble que la leçon magistrale de Ratisbonne a eu néanmoins des effets positifs, en conduisant à un dialogue plus approfondi entre théologiens catholiques et théologiens musulmans. On ne peut que s'en réjouir.

C. La visée géo-politique de Benoît XVI

Cette visée est aujourd'hui difficile à dégager. Le pape n'en est qu'à la fin de sa 2ème année de pontificat. Toutefois il apparaît clairement que Benoît XVI n'a pas la fibre géopolitique de Jean-Paul II. On a reproché au nouveau pape d'avoir une approche eurocentrique. Et il faut bien reconnaître que ses interventions à propos de l'Europe tiennent une place majeure. Peut-être est-ce le moment de rappeler ses prises de position sur l'intégration de la Turquie dans l'Union Européenne, thème délicat et objet de controverses : « Ce pays, dit-il, est un point de rencontre de différentes religions et cultures, et un pont entre l'Asie et l'Europe ». La vision européenne de Benoît XVI est d'ailleurs largement partagée par Bartholoméos 1er, patriarche de Constantinople-Istanbul. Dans le sens d'un élargissement à l'Asie, on connaît ses préoccupations en direction de la Chine, en vue d'une normalisation des relations et aussi, en premier, d'une réconciliation des Eglises catholiques entre elles : l'Eglise patriotique et l'Eglise souterraine. C'est une affaire délicate.
Sa rencontre du CELAM, en mai 2007, au Brésil, est annoncée. Et il est probable que cet élargissement se poursuivra en direction de l'Asie, de l'Amérique latine et de l'Afrique. L'évolution de la démographie ecclésiale y encourage.

II. Les objectifs majeurs

A. La fidélité à la vérité

Ma première préoccupation a été de rechercher quel pourrait être l'axe doctrinal majeur de Benoît XVI. Après réflexion, il me semble qu'il pourrait se résumer en ces mots : La fidélité à la vérité. Joseph Ratzinger est un théologien de métier, structuré intellectuellement, rationnel, conceptuel et dont les approches sont généralement déductives. Incontestablement, il s'est « durci » au cours des ans, selon une expression de Monseigneur Collini, ancien archevêque de Toulouse. Dans le 1er tome de ses « mémoires », Hans Küng s'étonne que « le théologien progressiste de Tubingen soit devenu le grand inquisiteur romain » (p. 544).
Au-delà de l'emploi incessant du mot « vérité », il y a dans les interventions de Benoît XVI une approche qui sollicite l'attention. Ce souci de la vérité, dans l'esprit du pape est si prégnant, que son premier message pour la journée mondiale de prière pour la paix est intitulé : « Dans la vérité, la paix ». Ce titre s'inscrit parfaitement dans la ligne de pensée du théologien Joseph Ratzinger. Sans la vérité, pas de paix véritable. Le pape prend ici le contre-pied d'une tendance lourde de la mentalité contemporaine pour qui la prétention de la vérité est source de domination, d'intolérance et de violence. Pour lui, au contraire, la recherche de vérité ouvre la possibilité d'un vrai dialogue entre les hommes, entre les cultures, entre les religions. Inversement, « le nihilisme et le fondamentalisme ont un rapport erroné à la vérité. Les nihilistes, précise-t-il, nient l'existence de toute vérité, les fondamentalistes ont la prétention de pouvoir l'imposer par la force » (n° 10). Ici, le pape ne se contente pas de dénoncer le « relativisme » pour qui « à chacun sa vérité », il ouvre une nouvelle voie de recherche, il proclame que l'engagement pour la vérité conduit à la construction de la paix, thème qu'il reprendra dans un discours au Corps diplomatique (le 09/01/2006).

Ces quelques réflexions sur le primat de la vérité (qui pour les chrétiens trouve son ultime fondement en la personne du Christ) suggèrent que Benoît XVI est plus proche des éléments doctrinaux que de leur application, plus préoccupé de la dimension théologale du « vivre chrétien » que de l'engagement social (cf. le message du carême 2007), plus soucieux d'une lecture « verticaliste » du christianisme que de l'ouverture au monde de ce temps, plus attentif au visage intérieur de l'Eglise qu'à sa réforme institutionnelle.

B. L'importance de la liturgie.

Il ne fait pas de doute que, pour Benoît XVI, la liturgie est une question prioritaire. A ce jour il ne s'est guère exprimé, en tant que pape, sur le sujet, même s'il paraît s'être directement et fortement impliqué dans l'affaire de Bordeaux concernant l 'institut du Bon Pasteur. Par contre, on connaît bien sa pensée à propos de la réforme liturgique de l'après-Concile. On en trouve mention dans l'ouvrage intitulé « L'esprit de la liturgie » paru dans la traduction française en 2001. Faute de connaître, à ce jour, le « motu proprio » annoncé tenons-nous en à l'exhortation apostolique « Sacramentum caritatis », consécutive au synode romain sur l'Eucharistie (22/02/2007). Ce document est la reprise fidèle des propositions du synode. Il est donc à l'image de l'assemblée synodale, qui elle-même n'avait apporté aucune innovation. On y retrouve l'enseignement traditionnel concernant le ministère de présidence de l'Eucharistie, le caractère obligatoire dans la tradition latine du célibat des prêtres, l'interdiction de la communion eucharistique aux divorcés remariés, l'interdiction de l'inter-communion avec les non catholiques. Beaucoup seront déçus et tristes, à la lecture de ces trois derniers refus qui ne tiennent pas compte de la diversité des situations dont le texte souligne, par ailleurs, l'importance.
On peut relever aussi des insistances sur l'adoration eucharistique, le lien entre Eucharistie et pardon, la dimension sociale de l'Eucharistie, un point fortement souligné. On y encourage l'emploi du latin dans les grandes célébrations internationales : le latin sera enseigné dans les séminaires. (Gare aux débordements !).
Le titre du document « Le sacrement de l'amour » indique son soubassement théologique. Fort heureusement, le pape ne reprend pas les conceptions restrictives que développait - il y a peu de temps - le cardinal Ratzinger. Il exhorte les chrétiens à ne pas assister à la liturgie eucharistique « comme des spectateurs étrangers et muets ». (n° 52).

C. L'unité interne de l'Eglise et le ralliement des intégristes.

Il n'est, sans doute, pas exagéré de relever que la question est obsessionnelle pour le nouveau pape. Les français, avec la proximité d'Ecône et l'affaire du Bon Pasteur à Bordeaux sont aux premières loges. Tout a été dit, ou presque, sur l'événement. Beaucoup ont perçu, dans la manière dont le cardinal Hoyos a introduit et conduit le processus de ralliement, une insulte à l'égard de la collégialité épiscopale. Il est important que le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, ait souligné qu'au-delà de la messe en latin, la question est celle de la fidélité au concile Vatican II. « Les différents - a-t-il précisé - ne sont pas d'abord liturgiques mais théologiques ». Voilà qui est clair ! Le plus inquiétant dans cette affaire, c'est peut-être que l'institut du Bon Pasteur a été autorisé par Rome à créer son séminaire : très exactement à Courtalain (diocèse de Chartres). Des ordinations de prêtres ont déjà eu lieu, grâce à l'empressement d'un prélat romain de 81 ans, désigné pour cet office. Le séminaire de Courtalain n'a rien à envier à celui d'Ecône. Tous les éléments pour édifier une Eglise parallèle semblent désormais réunis. Nul ne peut maîtriser désormais cet élargissement. La messe en latin n'est qu'un étendard qui occulte la gravité de l'événement.

D. L'œcuménisme

Dès le tout début de son pontificat, Benoît XVI a exprimé son attachement à l'œcuménisme : « Une tâche première » proclame-t-il, au lendemain de son élection (20/04/2005). Il y revient quelques mois après, et plusieurs fois depuis lors, en parlant de « priorité » de son pontificat. Il reconnaît « qu'il existe de nombreux modèles d'unité » (19/08/2005), mais sans préciser quelle serait l'ecclésialité nécessaire pour parler d'unité des Eglises. Or, un accord sur les critères d'ecclésialité est bien la question de fond qui s'inscrit aujourd'hui au cœur du dialogue œcuménique. Le pape lui-même fait une différence notable entre l'Orthodoxie et le Protestantisme. Avec les orthodoxes, les rencontres se sont multipliées, spécialement avec Bartholoméos 1er, patriarche de Constantinople et Christodoulos, primat de l'Eglise de Grèce. Le dialogue théologique catholique-orthodoxe a repris sur un plan international et va porter, enfin, sur le nœud de la séparation : la primauté de l'évêque de Rome. On peut se réjouir que Benoît XVI, comme l'avait fait Jean-Paul II dans son encyclique « Ut unum sint », encourage ce débat : « Je désire aujourd'hui, a-t-il déclaré, rappeler et renouveler cette invitation » (30/11/2006). Acceptons-en le gage. « On peut penser que le monde orthodoxe apprécie Benoît XVI pour son respect de la tradition en matière liturgique et partage ses craintes face à la sécularisation du continent européen » (D.C. du 21/01/2007, p. 62).
Avec les protestants, la question ne semble guère évoluer. Certes, le pape n'a pas manqué d'approuver, à plusieurs reprises, la déclaration commune catholique-luthérienne concernant la justification (déclaration d'Augsbourg du 31/08/1999). Mais il n'en tire aucune conséquence. Il continue de parler obstinément des Eglises et communautés ecclésiales, sans que l'on sache exactement ce que ces expressions recouvrent. Or, c'est cela, à mon avis, qui demande à être éclairé. En ce sens, la paraphrase « les amis des différentes traditions de la Réforme » (12/09/2006), utilisée en Bavière ne blesse, certes, aucun protestant mais elle ne se prononce pas et ne corrige en rien la déclaration « Dominus Jesus » déjà évoquée du cardinal Ratzinger.

E. L'ouverture des religions

Dès la messe inaugurale de son pontificat, Benoît XVI a dit toute son estime pour les frères du peuple juif « auxquels nous sommes liés par un grand patrimoine spirituel commun qui plonge ses racines dans les promesses irrévocables de Dieu ». Il reprenait ainsi les termes mêmes du concile Vatican II. D'autre part, les faux pas de Ratisbonne ont eu le mérite de ramener la préoccupation du pape vers l'Islam, qui n'était pas, sans doute, son premier centre d'intérêt. Nul doute que Benoît XVI s'est employé à assurer les pays musulmans de sa volonté de dialogue. Et l'on peut estimer qu'il est parvenu à apaiser le gros des tensions et à renouer des relations de confiance et d'amitié. Sa perspective est claire et s'inscrit totalement dans la ligne de la déclaration conciliaire « Nostra aetate » : développer les liens qui nous
unissent et manifester concrètement notre volonté commune d'aider les hommes à vivre dans la justice et dans la paix. (Message du 01/02/2007). Bien sûr, sans minimiser l'importance de cette action commune, on reste sur sa faim par rapport aux problèmes théologiques posés par le dialogue inter-religieux : quels sont les préalables historiques, culturels, sociologiques à une réflexion approfondie sur les religions ? Les religions sont-elles des voies de salut ? etc. Aussi, peut-on espérer que de nouveaux éléments apparaîtront ultérieurement. Dans la constitution « Gaudium et spes » (n° 22), le concile Vatican II avait jeté quelques jalons en ce sens.

III. Des questions à l'adresse de Benoît XVI

A. Le pape va-t-il nous aider à recevoir et à mettre en ouvre Vatican II ?

Benoît XVI a proclamé haut et fort, dès son premier message : « Je veux affirmer avec force ma très ferme volonté de poursuivre la tâche de la mise en ouvre du concile Vatican II ». On en était resté à cette affirmation solennelle lorsque, neuf mois après, un discours à la curie romaine (22/12/2005) est venu jeter le soupçon sur les intentions du pape. Dans cette allocution, appréciée par les gens d'Ecône , Benoît XVI s'est employé à distinguer « l'herméneutique de la discontinuité et de la rupture » et « l'herméneutique de la réforme », c'est-à-dire « du renouveau dans la continuité ». Il s'en prend à ceux qui prétendent « qu'il faut suivre non pas les textes du Concile mais son esprit ». La tonalité de ce discours est plus proche de la mise en garde que de l'appel à une appropriation sans réserve du Concile, et moins encore à la recherche et à la créativité.
Beaucoup de théologiens donneront leur adhésion au pape lorsqu'il déclare que la lettre et l'esprit du Concile doivent être tenus ensemble. Mais on ne peut en rester là.
L'herméneutique ressortit aussi et d'abord à l'intention fondamentale de Vatican II. En évoquant le Concile, cette intention, ce soubassement Jean-Paul II les définissaient en ces termes : « Mettre en contact avec les énergies vivifiantes de l'Evangile, le monde moderne » (1). Jean XXIII disait la même chose en parlant de « concile pastoral ». Un concile à caractère pastoral est porté par le souci d'annoncer la Parole de Dieu à ce monde nouveau. Il pousse l'Eglise à regarder avec l'Evangile le mouvement de l'histoire. Et c'est, pour une large part, en acceptant ce parti pris d'ouverture qu'il accomplit la réforme (l'aggiornamento) de la communauté ecclésiale, transformant dans un même mouvement le rapport de l'Eglise au monde et son propre fonctionnement. Refuser cette condition itinérante, c'est refuser la démarche du Concile, cette démarche qui a tant marqué ceux qui l'ont entreprise. Benoît XVI consacrera-t-il ses forces à nous entraîner sur ce chemin ? On est en droit d'en douter !

B. La gouvernance dans l'Eglise

Il est bien connu que l'inflation papale et la curie romaine constituent un obstacle majeur à la collégialité épiscopale et à la coresponsabilité des baptisés.

La curie romaine.

Peu après son élection en 1963, le pape Paul VI demandait à la curie d'être à « l'avant-garde dans la réforme continuelle de l'Eglise » (2). Jean-Paul II portait peu d'intérêt à cette question. En réalité, les prérogatives de la curie ont connu, depuis le Concile, une croissance sans précédent : croissance numérique (4 fois plus d'évêques y exercent des responsabilités), croissance d'influence. On fait remarquer à bon droit que cet organisme ne craint rien de plus que la réunion d'un concile où les évêques retrouvent temporairement leur pleine autorité collégiale. Ainsi, depuis quarante ans, cette instance centrale a reconquis patiemment, et pas à pas, l'autorité perdue au Concile. Benoît XVI, qui connaît bien tous les rouages de la curie romaine, va-t-il entreprendre une réforme du gouvernement de l'Eglise ?
- Rien ne permet de l'espérer. Certes, des remplacements ont été effectués, mais avec des hommes de l'appareil, généralement des « fidèles » du cardinal Ratzinger :
- le cardinal Bertone, secrétaire d'Etat, ancien secrétaire de la congrégation pour la doctrine de la Foi, le cardinal Levada, préfet de cette même congrégation dont il fut membre, le cardinal Dias, président de la congrégation de l'évangélisation des peuples, ancien membre de la Secrétairerie d'Etat,
- Mgr Ranjith, secrétaire de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, ancien sous-secrétaire de la congrégation pour l'évangélisation des peuples,
- Mgr Mamberti, secrétaire pour les relations avec les Etats, bon représentant d'une carrière diplomatique et vaticane réussie. Par contre, le cardinal Hummes de Sao Paulo, devient préfet de la congrégation du clergé, sans être passé, semble-t-il, par la curie.
Changement de personnel : oui. Réforme : nullement. Il est clair que le pape reconstitue une curie à sa botte, si l'on m'autorise cette expression !

La collégialité épiscopale

C'était l'un des grands espoirs du renouveau conciliaire. En réalité, le faible impact de la collégialité épiscopale pourrait bien être l'une des plus regrettables carences de la période que nous vivons. Beaucoup estiment, à juste titre, que la collégialité demeure un mythe ! On l'a bien vu à propos de la création de l'institut du Bon Pasteur à Bordeaux. Plus largement, on sait que l'autorité des conférences épiscopales a été placée sous l'étroite surveillance de Rome, spécialement depuis le motu proprio « Apostolos suos » du 21 mai 1998. Dans ce contexte où pèse le poids de la curie et rôde un possible chantage à la Communion, certains se demandent de quelle liberté de parole publique jouit aujourd'hui un évêque diocésain ? - Du moins tant qu'il n'est pas à la retraite, et encore !
Benoît XVI a ouvert - il faut le relever - une modeste brèche dans le dispositif d'oppression qui règne en ce domaine. Ainsi, il a demandé au cardinaux de donner leur avis sur différentes questions, à l'occasion du consistoire de mars 2006. Antérieurement, au synode romain sur l'Eucharistie, il a introduit une heure de libre expression au terme de chaque journée. C'est un progrès ! Mais il n'a fait part à personne des choix qu'il comptait faire. Ne faudrait-il pas aller plus loin, c'est-à-dire reconnaître à l'assemblée synodale une autorité « délibérative », sur les points de grande importance ?
Et ne faudrait-il pas aussi - au-delà d'une consultation de cardinaux - permettre au « sensus fidei » des fidèles de jouer son rôle, sans se contenter de reconnaître, dans les textes, sa légitimité ? Dans ce sens, on peut souhaiter que les propos de Benoît XVI, plutôt intellectuels et spéculatifs, soient plus exhortatifs et plus engageants.

C. De nombreux défis

Déjà à l'automne 1999, au synode des évêques d'Europe, le cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, invitait « à défaire certains nœuds disciplinaires et doctrinaux qui réapparaissent périodiquement comme des points chauds sur le chemin de l'Eglise ». Mais son appel est resté sans réponse.
Certaines questions brûlantes ont bien été évoquées par Benoît XVI, mais subrepticement. Y aura-t-il une suite ?
- l'accueil des divorcés remariés à l'Eucharistie (3). Malheureusement, l'exhortation apostolique « Sacramentum caritatis » précise que rien n'est changé.
- le travail des théologiens, à qui l'on recommande compétence, foi et humilité, en oubliant l'espace de liberté nécessaire à toute recherche (4),
- la place des femmes, dans « le service ministériel » (5), mais sans ouverture au diaconat féminin.
Restent ces grands défis sur lesquels on n'a pas beaucoup entendu la voix du pape : la mondialisation, la financiarisation, l'inégalité des richesses, le réchauffement climatique, les nouvelles technologies, les problèmes moraux de la bio-éthique. On a entendu dire qu'une commission d'experts devait procéder à une ré-évaluation des discours habituels sur la bio-éthique, mais le contexte donne à penser qu'il s'agit d'une confortation « d'Humanae vitae » et de « Donum vitae » en fonction des progrès de la connaissance plutôt que d'un véritable renouvellement.
De nos jours - c'est l'évidence - la tâche d'un pape est d'une ampleur démesurée. A plus forte raison, lorsqu'elle est remplie par un homme âgé, qui va bientôt fêter ses 80 ans ! Mais justement n'y aurait-il pas là une invitation pressante moins à la compassion qu'à adopter une ecclésiologie plus conciliaire et une tout autre manière d'exercer l'important ministère de la primauté ?

Jean Rigal - France)

Notes :
(1) Discours au 6° symposium des évêques d'Europe. (D.C. du 07/11/1985).
(2) Documentation Catholique du 06/10/1963.
(3) D.C. du 04/09/2005.
(4) D.C. du 05/01/2006.
(5) D.C. du 16/04/2006



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