Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

Jon Sobrino : compagnon de tribulation

Leonardo Boff
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Jon, mon  ami et mon frère,

La "notification" de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (ex-Saint Office) qui condamne certaines de tes propositions sur le Christ parce qu’elles ne seraient pas conformes à la foi chrétienne, m’a rempli d’une profonde tristesse. J’ai vu fonctionner contre toi la même méthode et le même genre de procédure qui furent utilisés contre moi au sujet de la doctrine sur l’Eglise. La méthode est celle du pastiche qui consiste à découper des bouts de phrases pour les combiner avec d’autres. Se crée ainsi un sens nouveau qui ne correspond plus à ce qu’a écrit l’auteur. Et sinon, ils déforment les textes de manière telle que l’auteur ne se reconnaît plus en eux. Je comprends et j’appuie ta décision courageuse : "je ne me sens en rien représenté dans le jugement global de la notification ; c’est pourquoi il ne me paraît pas honnête d’y souscrire. En outre, ce serait manquer de respect pour les théologiens qui ont lu mon travail et n’y ont pas rencontré d’erreurs doctrinales ni d’affirmations dangereuses".

Car, en fait, d’éminents spécialistes du sujet ont analysé tes écrits, sur ta demande : Sesboué de France, Gonzalez Faus d’Espagne, Carlos Palacio du Brésil, entre autres. Tous ont été unanimes pour réaffirmer leur orthodoxie. Pourquoi ces avis n’ont-ils pas compté ? Cela nous fait suspecter que ta condamnation n’a été qu’un prétexte pour porter, une fois de plus, un coup à la théologie de la libération, celle qui est engagée avec le peuple crucifié, chose que le Vatican n’apprécie pas.

Mais ce qui me fait le plus mal est qu’ils t’aient choisi, toi précisément,  pour cet essai d’épuration. Tu es un survivant du martyre, quand, en novembre 1989, au Salvador, toute ta communauté de six jésuites, ainsi qu’une employée et sa fille, furent assassinés par des éléments des forces armées.

Tu étais allé en Thaïlande pour me remplacer dans un cours qui ne pouvait plus attendre. Et ainsi as-tu échappé à cet assassinat. Ton témoignage : “les six jésuites martyrs du Salvador” est une des plus belles pages de spiritualité et d’émotion écrites dans l’Eglise d’Amérique Latine. Ils t’ont choisi, toi, que je considère comme le théologien latino-américain le plus profond, celui qui articule le mieux spiritualité et théologie, insertion au sein du peuple crucifié et réflexion ; toi qui - je le dis en toute sincérité - montres le plus haut niveau des vertus insignes qui caractérisent la sainteté. Ils ont séparé ton œuvre de ta vie douloureuse et menacée, comme s’ils pouvaient séparer le corps de l’âme. Seules des autorités ‘charnelles’ qui ont perdu tout sens de l’Esprit, comme dirait saint Paul, pouvaient perpétrer une agression de cette importance.

Mais il y a une raison encore plus profonde. Ta théologie gêne les autorités religieuses qui se sont installées dans le pouvoir sacré et se sont fossilisées en lui. Tu as toujours insisté sur le fait que l’Eglise doit dire la vérité sur ce qui se passe réellement. Dans notre continent, la réalité est brutale : on y tue les pauvres de faim et d’exclusion. C’est pour cela que l’Eglise ici doit être libératrice ; qu’elle doit articuler foi et justice, théorie et praxis, et se faire fondamentalement Eglise des pauvres et des peuples crucifiés.

Oscar Romero l’a bien dit, assassiné lui aussi au San Salvador, lui que tu as tant conseillé : “celui qui gène, on le tue”. Tu participes d’une certaine façon de ce même destin. Je sais que tu continueras à travailler et à écrire pour que les crucifiés puissent ressusciter. Au fond, je sais que tu te réjouis dans l’Esprit de pouvoir participer un peu à la passion du peuple qui souffre.

Compagnons de tribulations, comprenons que l’ultime service ne se rend pas à l’Eglise mais, dans l’Eglise, à Dieu, aux personnes, spécialement aux pauvres, qui un jour jugeront si notre théologie n’a été qu’ orthodoxie sans être ‘orthopraxie’. C’est cette dernière qui sert réellement la libération. 

 

Leonardo Boff - Brésil)


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux