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Le peuple papal

Ivone Gebara
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

 

Je ne vais pas écrire sur la visite du pape et ses discours. Beaucoup d’encre a déjà coulé là-dessus. Je veux parler un peu du peuple papal, c’est-à-dire des personnes qui n'ont pas mesuré leurs efforts pour être près du Pape.

Je crois que les milliers de personnes présentes dans les messes et dans les apparitions publiques du pape avaient des milliers de sentiments par rapport à lui. Chacun et chacune projetait sur le Pape une image de ses besoins et de ses rêves.

Dans l'ensemble ils reproduisaient les phénomènes collectifs habituels autour de quelqu'un reconnu comme "spécial" par ses différents dons et qualités. Le phénomène est le même quand il s'agit d'un chanteur célèbre, d'un groupe musical ou d'un acteur qui attire de nombreux fans, même si la répercussion et les effets sont différents.

Dans le cas du Pape, les médias brésiliens ont eu un rôle fondamental pour créer le besoin de voir le Pape chez beaucoup de gens et de groupes. Ils sont parvenus à bien vendre le produit teuto-romain et à le rendre brésilien. Toutes les personnes interviewées sur les raisons pour lesquelles ells voulaient voir le Pape paraissaient toucher des émotions intimes. Il n'y avait ni analyse ni réflexion critique, ni grandes nouveautés. En vérité ils ne connaissaient pas le modèle d'Église proposé par le Pape. Ils ne savaient pas ce qu'était le christianisme catholique romain qu'il représentait et quelles étaient les politiques internationales qu'il renforçait. La majorité parlait de la visite du Pape comme s'il allait faire arriver ce que chacun imaginait qui devait arriver pour l'église catholique, pour le Brésil ou pour le monde.

Les médias légitimés par les pouvoirs capitalistes et par la majorité des représentants officiels de l'Église Catholique ont fait de Benoît XVI un phénomène religieux de masse et une source de véritable profit pour grands et petits entrepreneurs.

Quel est le résultat réel dans la vie du peuple ? Qu'est-ce qu'ils ont compris en fait de son message centré sur un catholicisme  antérieur, sous beaucoup d'aspects, au Concile Vatican II? Qu'est-il resté pour le peuple des réformes du Monastère de San Benedicto, du Séminaire dans les rues de la ville d'Aparecida, des améliorations dans le Sanctuaire de la Vierge, de la porcelaine de Limoges utilisée par le Pape ? Quelles politiques ont été renforcées par la canonisation de Fray Galvão ? Quelle vision du Christianisme Catholique est restée pour le peuple latino-américain ?

Et pourquoi y a-t-il aujourd'hui plus de trois dizaines de personnes brésiliennes qui se trouvent dans une file à attendre la canonisation ?

Je me risque à dire avec tremblement et crainte que tout ce qui reste maintenant, se trouve dans la chemisette commémorative, le petit drapeau, la photo du Pape, accrochée dans le salon, les aventures du voyage, la souffrance dont on se dit que cela valait la peine. Il reste la dette à payer pour l'emprunt contracté, il reste le vol dont on a été victime durant le voyage, il reste le chômage pour certains, il reste la fatigue pour les plus âgés et l’oubli pour beaucoup.

Les moyens de communication ont fait et défait le spectacle. Les quotidiens ne parlent déjà presque plus du Pape, ni de son amour pour le Brésil ou pour l'Amérique latine et les Caraïbes.

Mais, de toutes ces images ce qui m'a spécialement impressionnée, c' est de voir la quantité de prélats vêtus de pourpre autour du Pape et la quantité de prêtres, séminaristes, religieux, tous en vêtements de fonction approuvés par le pouvoir central catholique et la vente dans les magasins d’articles religieux. On voyait là les consuls, les pro-consuls, les soldats de différentes catégories qui ,agités, dansaient et dispersaient l’encens devant l'autel, le Pape, le peuple au rythme de leurs voix mélodieuses. D'autres, en costumes d’apparat et mitres brillantes, assis devant le Pontife romain, considéraient avec extase la figure impériale dont les vêtements brodés d’or et d’argent faisaient le protagoniste principal du spectacle. Un spectacle médiatique grandiose, avec caméras de télévision, retransmissions puissantes, papamobile et des montagnes de mesures de sécurité là où passait Sa Sainteté. Presque sans le vouloir, me viennent les analogies avec "du pain et des jeux" pour le peuple, au-delà du spectacle du prétendu pouvoir romain, de droit divin, sur tous les peuples. Et au centre de cette mémoire spectaculaire, je me suis affectueusement souvenue d’Ana Arendt (1), qui disait que dans la menace que représente la politique romaine, il y a l'idée que tous les territoires conquis doivent répéter la même fondation romaine. La fondation s’agrandit par les limites des conquêtes romaines "comme si le monde n'était pas plus qu'un domaine romain". Tous parlant la même langue, aimant les mêmes choses, obéissant aux mêmes rites et fidèles à la même organisation et au même Empereur. Et il est nécessaire de ne pas oublier que cette société est prioritairement masculine. Il y a seulement des princes et des consuls célibataires et seuls. Il n’y a pas de princesses ni de consuls féminines. Les seules femmes mentionnées ou admises sont celles qui entrent dans la logique de dépendance et de soumission au pouvoir Romain.

Dorothy Stang, les prophétesses paysannes en lutte contre la multinationale Aracruz, les féministes en lutte pour la dignité des femmes n'ont pas trouvé place (dans le document préparatoire du CELAM). Et, ce n'est pas plus mal, parce qu'elles ne pourraient pas approuver un spectacle dont elles ne se sentent à aucun moment faire partie.

Je continue à me demander pourquoi tant d'évêques, de prêtres, de séminaristes et d'autres, hommes ou femmes, ressemblent à des orphelins à la recherche du père ? Pourquoi ce délire "paipal"(2) ? À quelle nécessité correspond ce comportement ? Pourquoi cette nécessité de toucher le prétendu successeur de Pierre? Serait-il vraiment un successeur de Pierre ?  Ne pourrait- on pas parler de successeurs ? En effet, parce que l'histoire enseigne que la papauté a été une invention de l'Empire romain en expansion.

Comment font les évêques pour critiquer les empires du monde sans critiquer et changer aussi la forme impériale de l'Église Catholique romaine ? Ne pourraient-ils pas assumer une position moins réductrice vis-à-vis de l'Histoire passée, limitée à une seule interprétation, comme si c’était la seule vérité ? L'invitation à penser est toujours valable.

Mais, dans tout ceci, c’est le peuple qui me préoccupe le plus, ce sont les jeunes  aliénés par le spectacle religieux...  croyant pouvoir changer le monde par ce moyen ? Ce qui m'ennuie c’est la croissance de l'aliénation et la difficulté d'aimer la vie comme elle est. Et de l'aimer depuis un amour qui soit à l'intérieur du nôtre, condition fondamentale pour transformer la vie à partir de nos possibilités et du bien qui est en nous.

 

Ivone Gebara - Br?sil)

Notes :
(1) Arendt, Ana. Entre le passé et le futur. San Pablo, Perspectiva, 2005, p-162.

(2) Paipal  : (pai, papa-papal) en portugais dans l’original



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