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Itinéraire d'un enfant gâté par Adonaï

Eugène Musette
Publié dans HLM n°108 (6/2007)

"Prêtres mariés cherchent ministères…"

‘Petite annonce’ un peu facile, évidemment… Les trois témoignages que nous avons sollicités répondent pourtant à quelque chose qui ressemble à cela : si la plupart des prêtres mariés ‘interdits’ de ministère pour cause de mariage se sont sentis ‘frustrés’ pendant un certain temps, ils s’en sont plus ou moins remis et ont souvent réinvesti leur projet de vie ailleurs. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde : pour certains d’entre eux, "l’idéal vocationnel" était si fort et ne faisait à ce point aucun doute qu’il fallait trouver un lieu, une structure, une communauté pour le perpétuer. Quitte éventuellement à changer d’Église…

"Idéal vocationnel" : c’est une terminologie qu’on trouve dans le livre ré-cent de Céline Béraud, Le métier de prêtre (Paris, L’Atelier, 2006). À force de ne plus parler de ministères qu’en lien et à partir des ‘communautés’, aurait-on tendance à oublier l’identité, le projet, l’histoire personnelle de ceux qui sont appelés à les remplir… ? Retrouver un équilibre entre ces deux  composantes… Grand merci aux auteurs de ces témoignages.

Voir aussi les témoignages de Jean Schobbens et d'Alphonse Korvorst

 

Pierre Collet

Né dans une famille qui avait rompu avec l'Église, je fus en classe à l'école communale, sans cours de religion. À l'âge de dix ans, on quitta Bruxelles pour aller à Genappe. Et là, à l'école communale, je fis la dure expérience du racisme d'alors. On me poursuivait dans les ruelles en me traitant de sale brusselaire. Au vestiaire de l'école, je retrouvais mes vêtements déchirés. Du coup, mes parents me changèrent d'école et j'arrivais à l'école Saint-Jean-Baptiste. C'est là que je découvris, avec émerveillement, le christianisme. Chaque dimanche, j'allais à la messe, sans mes parents évidemment.

Je commence des humanités modernes chez les frères des Ecoles Chrétiennes, car je ne veux pas de l'athénée, une école sans Dieu! Mais à l'époque l'enseignement catholique n'est pas gratuit et à seize ans mes parents me mettent au travail. Je deviens manœuvre électricien dans le bâtiment. Les trajets en tramways me permettent de m'adonner à mon occupation préférée, la lecture. Je dévore quantité de livres consacrés à l'Histoire. Je travaille beaucoup, 48 à 51 heures semaine, plus dix heures de cours du soir, plus chaque jour deux heures dans les transports en commun.

À 19 ans, je tombe gravement malade et je dois garder la chambre pendant trois mois plus neuf mois de convalescence. Heureuse maladie qui va m'exempter d'un service militaire que j'avais en horreur. Heureuse maladie qui me donne beaucoup de temps pour lire. Je lis beaucoup de romans américains et je suis frappé par ces familles dans lesquelles la Bible occupe une place primordiale. Aussi je demande à maman de m'en procurer un exemplaire. J'en lis quelques pages, mais bien vite je perds courage, je ne m'y retrouve pas dans ce dédale de récits. Je suis plus à l'aise avec les évangiles qui m'accrochent de plus en plus à la personne de Jésus.

Dès que possible, je retourne à la messe. Après un an de maladie, je dois opter pour un travail moins dur et me voilà parti pour une année de chômage. J'ai 21 ans quand je trouve un emploi de bureau dans une maison d'édition bruxelloise. Avant le travail, je vais à la messe à l'église de la Trinité.

À cette époque, le diocèse entreprend une campagne en faveur de la construction d'églises, c'est l'œuvre 'Domus Dei'. Je souscris à une participation mensuelle. À quelque temps de là, le vicaire Corin vient à la maison pour me remercier. Comme je suis absent, il dit à mes parents pourquoi il est venu. Ceux-ci sont étonnés et pas contents de voir que je dépense de l'argent pour une organisation qu'ils n'apprécient pas. À mon retour, mes parents me font part de leur mécontentement. Dès que je vois le vicaire, je lui dis ce qui s'est passé et j'ajoute que j'aurais aimé devenir prêtre mais j'ai eu peur de la réaction de mes parents, et de plus je n'avais pas fait les études 'ad hoc'. C'est alors que le prêtre me dit que la chose est encore possible malgré un parcours scolaire insuffisant. Il en parle au curé, l'abbé Mercier, neveu du cardinal. Mon curé me reçoit et me demande de lui rédiger un document dans lequel j'exprime mes raisons. Je lui fais un papier de plusieurs pages dans lequel j'exprime ma peine de voir que les travailleurs sont si peu instruits sur Jésus, sur ce qu'il a fait et dit. Le prêtre est touché et me propose à Malines. Quatre mois plus tard, en septembre 1954, j'entre au séminaire Saint-Joseph. Six ans plus tard, en 1960, je suis ordonné prêtre, j'ai 29 ans. Et mes parents sont contents.

Me voilà enfin devenu 'eunuque propter regnum Dei'. Quel bonheur !

Je vais rester douze années dans le sérail sacerdotal. Un an comme vicaire à Mont-Saint-Guibert, puis trois ans à Rebecq-Rognon. Dans ces deux postes, je fais l'expérience de la mort du curé d'où la nécessité de devoir gérer la paroisse. Ensuite, je vais six mois à Braine-l'Alleud, mais là je me retrouve dans une atmosphère vieux-jeu catho qui me déprime. L'excellent vicaire général Lagasse me propose amicalement d'aller me reposer trois mois à la Soldanelle en Suisse. À mon retour, je suis nommé à Tubize pour six autres mois et en 1965 Malines me propose la cure de Monstreux, près de Nivelles. Petite paroisse qui me laisse du temps pour une passion que j'ai découverte en 1962, lorsque j'ai dû remplacer l'abbé Pierrard à l'école moyenne, l'enseignement de la religion.

Ce goût de l'enseignement de la religion n'est pas d'endoctriner les jeunes à coups de dogmes ou de points de catéchisme. Il est avant tout un besoin de partager ce que j'ai découvert de vivant au contact de la Bible. Cela a commencé lorsque j'ai été invité à participer aux rencontres du mardi chez le curé de Glabais, l'abbé Stevens. Ces réunions entre confrères avaient pour but de partager sur les lectures du dimanche suivant. Pour nous tenir au courant de l'avancée de la pensée chrétienne, nous allions à des sessions, des retraites, des conférences, des cours. C'est ainsi que nous avons suivi les enseignements de Jean Radermakers à Lumen Vitae, de Jean-Pierre Charlier et de bien d'autres. Mais ce qui nous a peut-être le plus marqué, c'est le cours d'hébreu que nous avons suivi avec André Lacoque, le doyen de la Faculté protestante de Théologie. Avec lui, nous sommes entrés dans l'univers de la pensée hébraïque. Des séminaristes venaient avec leur prof à la messe à Monstreux pour y voir une messe juive, comme ils disaient !

Et tout çà, je le restituai dans mes longues homélies, dans les cours à Virginal et à Braine-l'Alleud, dans des retraites que des collèges me demandaient de prêcher à leurs élèves. Ce fut aussi le moment où au niveau du Brabant Wallon l'abbé Omer Henrivaux créa l'institut pour la catéchèse. J'y remplissais modestement le rôle de professeur de morale biblique. Avec Omer, et quelques autres professeurs de religion, on se réunissait régulièrement pour inventer un nouveau type de cours. On ne partait plus du dogme, mais de la vie.

Mais un grand tournant de ma vie fut la découverte du Zakkar et du Nekevah. André Lacoque nous démontra l'importance de l'image de Dieu selon Genèse 1,27 : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. » L'homme (de mens) est image de Dieu qui les fit homme (man-zakkar) et femme (vrouw-nekevah). Du coup, le célibat m'apparaissait comme ne correspondant pas au plan de Dieu. En conséquence, il fallait réparer cela en me mariant. Il me fallait recréer l'image divine en cherchant ma nekevah, et ce fut Denise. En 1972, nous fîmes le pas en nous mariant. J'étais persuadé, que dans la foulée de Vatican II, l'Église n'allait pas tarder à lever la barrière du célibat en permettant le mariage des prêtres et l'ordination d'hommes mariés. On est en 2007, et j'attends toujours !

Mais en attendant, il me fallait vivre ma foi. En réaction au Vatican qui m'interdisait le ministère, je fréquentais des groupes protestants. Pendant un an, je participais même aux assemblées des Témoins de Jéhovah. Puis je découvris les Adventistes du Septième Jour, appelés ainsi en raison de leur célébration du sabbat juif, ce qui me plaisait! J'aimais aussi chez eux leur partage fraternel de la Bible, une heure d'étude avant le culte. Bien dans ma peau, j'acceptais de recevoir le baptême par immersion. Très vite on me donna des responsabilités au niveau de l'École du Sabbat, et ensuite, la Fédération me demanda d'assumer une longue prédication tous les quinze jours dans l'une ou l'autre de leurs églises. Le président de la Fédération me demanda même de devenir pasteur, moyennant une année de séminaire pour me mettre bien au courant des règles de leur Église. Je refusais. En moi, il restait quelque chose de catholique qui se ravivait chaque fois qu'on critiquait Rome, en l'appelant la Bête de l'Apocalypse.

Le chef des chrétiens 'vieux-catholiques' me fit la même proposition que je refusais. Je voulais devenir 'jeune-catholique' en marche vers Vatican III.

Heureusement, Adonaï veillait sur son enfant qu'il gâte. En 1990, il me fait découvrir le Renouveau Charismatique. J'y trouvais un vent de liberté et de joie qui manquait cruellement dans les églises traditionnelles. D'abord, dans les milieux pentecôtistes, puis dans des groupes informels, ensuite aux belles sessions de Beauraing, là c'est en milieu catholique. À ce moment aussi, un pasteur protestant me prend à part et me conseille de me réconcilier avec mon Église. Quelques semaines plus tard, lors d'un passage aux Béatitudes de Lavaux-Sainte-Anne, je me confesse. Le père qui reçoit ma confession m'accorde l'absolution et me demande de le bénir. À ce moment, je me sens réintégré dans l'Église, je retrouve mon sacerdoce.

À partir de ce moment, avec une douzaine de frères et sœurs, on se retrouve chaque samedi, chaque sabbat plutôt, pour prier, chanter, échanger sur la Parole de Dieu. Parfois on célèbre le Repas du Seigneur, toujours on couronne la rencontre en mangeant ce que chacun a apporté.

Dès 1991, je redécouvre le bonheur de partager une messe chaque matin de la semaine. Je participe aux réunions du Groupe de Prière charismatique (catholique). En 1993 on me proposa d'en devenir le berger. L'autorité religieuse n'y voit pas d'inconvénient, le doyen m'invite même à dîner!

Vers 1995, je découvre avec joie une communauté de base qui réunit deux fois par mois des catholiques rêvant d'une Église libre. Nous y célébrons, dans le partage, une eucharistie très riche.

En 1999, un groupe de foyers me demande de parler de la Bible. Après l'exposé, on me pose la question de savoir si les prêtres reçoivent de la documentation pour préparer des homélies intéressant les auditeurs. Ces laïcs sont tellement déçus de voir que leur prêtre passe à côté d'un trésor, d'une source dont il ne les abreuve pas. Cette réflexion me conduit à imaginer de faire profiter de tout ce que j'ai reçu en faisant des commentaires des lectures de chaque dimanche. Et c'est ainsi que naît le Grain de Sel qui en est à son nonante-deuxième numéro. Je le fais parvenir à une cinquantaine de prêtres et à une quarantaine de laïcs. Un des prêtres lecteurs me demande de venir animer un cercle biblique dans sa paroisse. Peu après, l'aumônerie d'une prison me demande de me joindre à eux pour partager mon amour de la Parole.

Voilà où j'en suis. Bien sûr, je ne peux toujours pas dire la messe, mais je peux parler. Il y a quelques mois, je confiais au Cardinal mon désir de pouvoir dire la messe quand l'aumônier-prêtre n'est pas là. Je lui disais que si j'étais devenu pasteur adventiste il accepterait peut-être ma conversion et me réintégrerait dans le sérail. J'évoquais le cas du curé de Dave, père de quatre enfants ! 'His master's voice' me répondit en m'assurant de sa compassion, mais que pour la messe il ne pouvait rien faire. Il me réconfortait en me remerciant de ma présence auprès des prisonniers, assuré que ma présence était pour eux une bénédiction du ciel.

Je rêvais de travailler la terre, de semer, de récolter. Je dois me contenter de semer mais en étant certain que cela va pousser et que d'autres récolteront les fruits.

Au fond, c'est ce qu'a fait Jésus. Il a semé pendant trois ans. Il a déplu aux puissants et ceux-ci s'en sont débarrassés. Mais le grain a germé, a donné des fruits, et ce n'est pas fini !

Eugène Musette (Hors-les-murs)


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