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MOON et MILINGO : une stratégie d’infiltration ?

Pierre Collet
Publié dans HLM n°109 (9/2007)

Milingo, l’archevêque excommunié

Il y a un peu plus d’un an que nous nous demandons comment aborder cette délicate ‘affaire Milingo’, jusqu’à ce que nous nous sentions obligés de sortir du bois… Aux premiers jours d’août 2007, nous avons en effet été sollicités par un de ses intermédiaires français pour participer à une rencontre et nous nous sommes rendus compte de l’ampleur, des risques et des enjeux de cette initiative. Retour sur les rétroactes…

Emmanuel Milingo est cet archevêque zambien, âgé aujourd’hui de 77 ans, qui s’était fait connaître dans les années ‘70 pour son engagement social très concret (avec ses ‘cliniques mobiles’), mais aussi pour ses pratiques de guérisseur et d’exorciste. C’est qu’il croyait bien faire apparemment, le souci de l’adaptation de l’Évangile aux cultures locales étant à la mode dans la foulée de Vatican II… Erreur ! Dès 1983, le pape le rappelle à Rome et lui confie un poste à la curie, ce qui n’empêche pas l’intéressé de continuer ses séances d’exorcisme et de guérison… Mais en 2001, le prélat défraie la chronique en se retrouvant dans l’Église de l’Unification de Sun Myung Moon, aux États-Unis, et en épousant Maria Sung, une adepte de cette secte. Sous la pression vaticane, le mariage fait long feu et Milingo rentre dans le rang. Jusqu’à ce qu’il disparaisse à nouveau de Rome au printemps 2006, rejoigne son épouse et ordonne quatre évêques mariés. Excommunié dès septembre, il fonde alors une organisation nommée Married Priests Now et appelle les prêtres mariés du monde entier à le rejoindre, lui et sa ‘prélature’, faisant savoir au pape qu’il continuerait sa démarche ‘avec ou sans sa bénédiction’… On ne peut s’empêcher de penser aux ‘prélatures personnelles’ inventées par Jean-Paul II !

Pour tenter de mieux comprendre le parcours de cet homme hors du commun, un journaliste américain, Peter Manseau (lui-même fils d’un prêtre marié) l’a longuement rencontré et présenté dans le Washington Post [1]. Enfant berger illettré de la province orientale, il s’appelait Lotte et c’est son passage au petit séminaire qui lui a valu de s’appeler dorénavant Emmanuel : de Lot, l’homme qui n’a échappé à Sodome qu’avec l’aide des anges, à Emmanuel ‘Dieu-avec nous’, le nom donné à Jésus lui-même par l’ange de l’annonciation… quel programme ! Ordonné prêtre et envoyé en Europe pour parfaire sa formation, il devient rapidement responsable des médias pour la Conférence épiscopale, puis archevêque à 39 ans. Il prend alors conscience de sa vocation particulière et originale, très populaire mais peu partagée par ses confrères évêques ou missionnaires européens…

La controverse autour du personnage ne date donc pas de cette ultime péripétie des dernières années, comme en témoignent les analyses poussées d’une anthropologue néerlandaise de l’université d’Utrecht, Gerrie ter Haar, auteur d’un très intéressant livre sur l’œuvre de guérison de Mgr Milingo et sur les implications de celle-ci pour l’Église et pour l’État [2]. Dès ses premiers démêlés avec Rome, ce qui était en jeu ne manquait pas d’intérêt et Jean-Paul II l’avait sans doute mieux compris que son successeur : il s’agissait de savoir si « une forme chrétienne de thérapie qui fait appel à l’Esprit Saint contre les esprits » était admissible, si la reconnaissance des charismes était compatible avec une fonction d’autorité épiscopale, et finalement si l’inculturation d’une foi chrétienne africaine, tenant compte de cet ‘entre-deux-mondes’ des esprits, pouvait coexister avec l’orthodoxie… Il semblerait bien que la personnalité du pape Wojtyla soit arrivée à contenir Milingo pendant une dizaine d’années sans que la curie ait le pouvoir de le faire taire. Profitant de cet accord tacite, Milingo a d’ailleurs rencontré de francs succès en Italie et en Europe dans les années ’80, dans la foulée sans doute d’autres mouvements charismatiques. Mais plus tard, ce sont ses visites privées en Zambie et au Kenya qui l’amèneront à une nouvelle découverte : l’expansion galopante de l’épidémie du sida. Conformément à la doctrine traditionnelle, il se convainc qu’elle ne peut être combattue que par un grand attachement aux valeurs de la famille et … découvre l’insistance de la secte de Moon sur cette question.

Moon, la religion, la paix et la famille

Avouons d’emblée notre surprise : ‘Moon… ça existe encore ?’, demandait un ami qui découvrait comme nous cette histoire… Il semble bien ! Car même si le Révérend va sur ses 88 ans et en est à sa quatrième épouse, ses ressources financières paraissent inépuisables et ses alliances tant politiques que judiciaires (après quelques condamnations pour fraudes fiscales…) toujours aussi solides (on cite la famille Bush, bien sûr, mais aussi le Front National en France et des parlementaires européens…). Le mouvement se présente comme ‘post-chrétien’ (le centre de gravité étant passé de Jésus à Moon et à son épouse) qui fonctionne à deux vitesses : l’Église de l’Unification du christianisme (qui s’appelle de plus en plus ‘Eglise de la famille’ et qui concerne les fidèles) et une myriade de ‘fédérations’ (en fait des individus de toutes les religions qui sont cooptés individuellement pour ‘mobiliser les élites du monde entier’ et se retrouvent souvent dans une sorte de ‘double appartenance’). D’où la disparition presque totale de toute référence explicite à Moon au profit d’appellations moins évocatrices qui renvoient à la paix universelle, à la famille et à l’amour…[3]

Le raisonnement de la secte de Moon est d’une simplicité désarmante : Adam a obtenu Ève comme partenaire ; Jean-Baptiste et Jésus sont morts trop tôt pour se marier et ont échoué dans leur mission messianique ; maintenant au début du troisième millénaire du christianisme, le célibat en tant qu’imitation du Christ a fait son temps et il faut faire advenir une nouvelle signification universelle du mariage et de la famille : des mariages interculturels pour faire progresser la paix mondiale.

Tout cela est-il bien cohérent avec les choix antérieurs de Milingo ? Ce serait à lui de s’en expliquer, mais les seules choses qu’il reconnaisse officiellement sont d’avoir épousé un membre de la secte et d’avoir reçu la bénédiction de Moon, le ‘Vrai Père de l’humanité’, mais aussi d’en recevoir le soutien financier bien sonnant et trébuchant… Il avoue par ailleurs qu’à Rome il percevait un salaire de 5000 € par mois ! Mais on a peine à croire que la dépendance ne serait que financière : le modèle si peu démocratique de ce type d’organisation ‘sectaire’ laisse planer le doute sur sa compatibilité évangélique, voire simplement humaniste…

Pressé de prendre position face à l’appel de Milingo, le bureau de l’association de prêtres mariés CORPUS aux USA reconnaît son embarras : les liens avec la secte de Moon leur paraissent à tout le moins ‘ambigus’…, mais c’est aussi l’absence de tout questionnement sur le ministère presbytéral qui fait problème : aucune ouverture sur les ministères féminins, marginalisation habituelle des candidats homosexuels, lourd cléricalisme qui ne colle guère avec la collégialité ni avec une recherche de simplicité, d’égalité, de proximité avec la condition commune de baptisé… Bref, c’est tout sauf une démarche vers un ‘renouveau des ministères’…

Nos amis américains ne vont donc pas jusqu’à soupçonner Milingo d’une alliance objective avec Moon dans une stratégie d’infiltration des commu-nautés catholiques, mais nos groupes de prêtres mariés en Europe sont beaucoup plus critiques. Certains propos de l’évêque le laissent d’ailleurs supposer, avec des visées sur l’Afrique et sur le Brésil en concurrence avec les grandes offensives connues des pentecôtistes et autres mouvements ‘évangéliques’. Un article tout récent du Times of Zambia [4] l’indique assez clairement : Married Priests Now vient d’établir une nouvelle ‘section’ africaine et appelle « tous les prêtres de Zambie qui se sont mariés secrètement à se faire connaître et à renoncer au célibat ». Est-ce ce danger d’un schisme que Jean-Paul II avait pressenti chez ce très encombrant et ‘charismatique’ archevêque ? C’est bien possible… Et ce n’est sans doute pas un hasard si la dernière intervention de Benoît XVI refusant l’éventualité d’un clergé marié date du mois de novembre 2006, quelques semaines seulement après avoir excommunié Mgr Milingo qui menaçait de faire cavalier seul. Rivalité de pouvoirs ou réciprocité des stratégies… ?

Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :
[1] repris dans Mirabile Dictu du 12 mars 2007, et sur le site de Corpus-Canada

[2] L'Afrique et le monde des esprits. Le ministère de guérison de Mgr Milingo, éditions Karthala, 2000. De larges extraits en sont accessibles en ligne. Voir aussi un article de 1987 dans Politique africaine

[3] Voir une liste d’associations ‘contrôlées’

[4] du 9 septembre 2007


















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