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Les fondements de la crise communautaire en Belgique

Serge Deruette
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La crise communautaire qui agite aujourd’hui la Belgique a une histoire aussi longue que celle de l’Etat fondé à partir de la révolution de 1830 et de sa constitution de 1831

À l’origine, la Flandre méprisée

L’élite bourgeoise qui accapare la révolution belge de 1830-31 ne reconnaît que le français comme langue officielle. La population flamande est méprisée tout au long du XIXe siècle, pendant lequel elle réclame la reconnaissance du néerlandais et l’égalité linguistique. Le mouvement flamand apparaît d’emblée comme l’expression et le produit du divorce linguistique entre les masses populaires de Flandre et la bourgeoisie censitaire belge (1 % seulement de la population).

Insistons sur le fait qu’il s’agit bien de la bourgeoisie et non des Wallons, car l’élite économique du pays, pour se démarquer de la « populace », parle le français, que ce soit en Wallonie ou en Flandre.

Bon nombre de flamingants d’aujourd’hui sont d’ailleurs les descendants de ces bourgeois francophones de Flandre : même si nous laissons Leterme de côté, ce n’est pas Geert Bourgeois (N-VA) ni Bert Anciaux (Spirit) ni la fasciste Marie-Rose Morel (VB) par exemple, qui pourront me démentir.

Au XIXe siècle, des centaines de milliers de Flamands pauvres viendront s’établir en Wallonie, alors industriellement florissante, pour tenter d’y gagner leur vie, notamment dans les charbonnages.

Bon nombre de wallingants d’aujourd’hui sont d’ailleurs les descendants de ces ouvriers flamands : ce ne sont pas les Van Cauwenberghe, Onkelinx, Van Gompel, Despiegeleer, Spitaels (eux-mêmes successeurs des Cools et Vanderbiest) du PS par exemple, ni même les Reynders du MR, qui pourront me démentir, non plus !

Ces Flamands, incontestablement, sont au XIXe siècle victimes d’injustices criantes, telle que l’illustre la terrible affaire Coucke et Goethals qui, en 1862, suscite l’indignation générale : elle concerne deux ouvriers flamands émigrés en Wallonie, accusés d’un crime pour lequel leur culpabilité avait été, deux ans plus tôt, « établie » dans un procès tenu exclusivement en français dont ils ne comprenaient rien, puis condamnés à mort et exécutés… alors que leur innocence complète sera établie deux ans plus tard.

La longue marche vers la reconnaissance de l’égalité linguistique

Le mouvement flamand finira par obtenir la reconnaissance du néerlandais en matière pénale. Puis dans les administrations publiques de Flandre. Ensuite dans l’enseignement moyen officiel flamand (et seulement dans quelques disciplines !)

Et, après l’instauration en 1893, suite à la première grève générale en Belgique, du suffrage universel (bien que toujours inégal : les électeurs bourgeois ont trois voix, les électeurs pauvres une seule), le mouvement flamand pourra trouver une représentation parlementaire, à l’intérieur surtout du parti catholique.

Cela permettra enfin l’obtention, en 1898, de la « gelijkheidswet » : la « loi d’quivalence » qui reconnaît le néerlandais comme langue officielle à l’égal du français.

Mais il faudra encore attendre 1930 cependant (un siècle exactement après la révolution belge) pour que, avec la flamandisation de l’université de l’Etat à Gand, le néerlandais soit effectivement, réellement, à tous les niveaux de la société, l’égal du français.

La résistance bourgeoise francophone

Confronté à l’avancée du mouvement flamand et à ses conquêtes, le mouvement wallon apparaît avant la première guerre mondiale comme une tentative de résister aux revendications d’égalité linguistique qui menacent à la fois les privilèges de la bourgeoisie et ceux des fonctionnaires francophones.

En 1912, un congrès wallon se prononce résolument pour la séparation. C’est dans sa foulée que le raciste Jules Destrée (antisémite, Destrée est aussi successivement antiflamand, puis antigermanique et antislave), publie en août 1912 sa Lettre au Roi, qui sera considérée comme un « manifeste » fondateur de l’idée d’une Wallonie autonome (on en retient surtout l’assertion sur « la vérité, la grande et horrifiante vérité : il n’y a pas de Belges »).

Pourtant, le but de cette « lettre » est seulement de défendre les fonctionnaires francophones dans l’administration publique. C’est en fait la revendication flamande de l’égalité des droits linguistiques que Destrée combat. Il y écrit par exemple : Les Flamands « nous ont pris notre langue », mais aussi et avant tout : « Ils nous ont pris la Flandre, d’abord. Certes, c’était leur bien. Mais c’était aussi un peu le nôtre. »

L’unilinguisme régional et la création de la frontière linguistique

Le principe qui prévaut depuis l’adoption de la « loi d’équivalence » en 1898 jusqu’au début des années 1930 est celui de l’égalité des deux langues sur tout le territoire. Mais en 1932, les parlementaires wallons obtiennent que l’on instaure le principe d’une seule langue par région. Ils craignaient que, confrontée à l’immigration des travailleurs flamands venus travailler dans les régions industrielles, l’homogénéité linguistique francophone de la Wallonie soit mise à mal dans nombre de communes ouvrières.

La « frontière linguistique » est donc créée cette année-là pour délimiter les deux régions linguistiques. Jusqu’à son « clivage » en 1962, elle fluctuera en fonction de l’évolution des langues dans les communes limitrophes, telle que l’établissent les recensements nationaux.

Déclin wallon, essor flamand

Suite à la deuxième guerre mondiale, la polarité économique s’inverse en Belgique : le début de l’effondrement de l’économie wallonne est concomitant avec le démarrage de l’industrialisation en Flandre.

Le mouvement wallon va prendre son envol dans cette nouvelle phase de l’histoire belge, notamment à l’occasion de la grève nationale de l’hiver 1960-61. Il revendique le fédéralisme pour la Wallonie, perçu comme une solution qui permettrait aux travailleurs wallons de bénéficier de structures politiques plus autonomes à l’intérieur d’un Etat belge de plus en plus dominé par la Flandre, une Flandre à la fois industriellement modernisée et cléricalement conservatrice.

De son côté, le mouvement flamand qui, dans la deuxième guerre mondiale, avait pour une grande part opté pour la collaboration avec le nazisme, mêlera ses revendications flamingantes à la question de l’amnistie des collaborateurs flamands. C’est de cette fraction ouvertement fasciste du flamingantisme que surgira, dès la fin des années 1970, l’actuel Vlaams Belang.

Les révisions constitutionnelles, la fédéralisation de l’Etat… et son avenir

Cette montée des revendications à la fois wallonnes et flamandes se concrétisera dès 1970 par des réformes constitutionnelles portant sur les structures de l’Etat. Depuis lors, il y en a eu pas moins de cinq importantes : 1970, 1980, 1988, 1993 et 2001, et l’actuelle crise gouvernementale a précisément pour toile de fond la question d’une prochaine sixième réforme). Celles-ci ont profondément modifié la forme de l’Etat qui, unitaire depuis 1831, est devenu fédéral en 1993.

Alors que de 1831 à 1969, la Constitution n’avait été modifiée que deux fois (et seulement sur des questions électorales et de représentation parlementaire), la multiplication actuelle des révisions constitutionnelles (cinq en 31 ans – et bientôt six en moins de 40 ans), augure mal de la stabilité, sinon même de la durabilité, d’un Etat travaillé par des tensions linguistiques.

Quel avenir peut-on prédire à ce petit Etat belge né artificiellement il y a moins de deux siècles et qui ploie, aujourd’hui plus que jamais auparavant, sous les oppositions communautaires ? Survivra-t-il au XXIe siècle ?

Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y a guère de facteurs qui encouragent à le penser… Bruxelles par exemple, dont je n’ai pas eu, dans ce trop rapide exposé, l’occasion de traiter, est sans doute à court terme une composante régionaliste intégratrice, mais elle est aussi lourde d’intérêts et donc d’enjeux : elle peut ainsi atténuer un temps les tensions, mais contribuer tout aussi bien ensuite à les accroître.

D’une certaine arrogance flamande

Concluons en reprenant une réflexion que l’on entend souvent en Wallonie : celle de l’ « arrogance » que manifeste actuellement le discours autonomiste sinon séparatiste flamand.

Pour comprendre de quoi il s’agit, résumons ce que je viens d’exposer :

1° Le mouvement flamand est à l’origine celui d’une population incontestablement opprimée : l’Etat belge s’affirme d’emblée comme un Etat bourgeois et (donc) francophone qui méprise le droit élémentaire des Flamands à la reconnaissance de leur langue ;

2° La Wallonie est restée pendant plus d’un siècle la région industrielle et florissante du pays, la Flandre paysanne en était le parent pauvre ; avant d’en devenir, au milieu du XXe siècle, la région prospère et économiquement dominante que l’on connaît aujourd’hui ;

3° Dans ces dernières décennies, et de façon toujours plus aiguë, on assiste à la persistance d’un mouvement flamingant, alors même que la disparité économique et les rapports de forces régionaux se sont pourtant diamétralement inversés depuis un demi-siècle ;

4° Cela ne peut manquer d’affecter la nature même du flamingantisme : derrière une composante de cléricalisme toujours présente et mâtinée de fascisme, son discours toujours plus revendicatif, toujours fait de plus d’exigences, est en porte-à-faux avec la position dominante de la Flandre à l’intérieur de l’Etat belge.

Là réside, à mon sens, la raison pour laquelle, aux yeux des francophones, un tel discours apparaît comme dédaigneux sinon méprisant : il est avancé par une Flandre qui, alors même qu’elle domine les débats, brandit une aberrante « logique de dominés » !

Une logique d’un temps désormais révolu, et diamétralement contredite par l’actualité.



Serge Deruette

Notes :

Serge Deruette est professeur de sciences politiques aux FUCaM et à l’UMH

Texte publié dans le périodique de la maison ouvrière de Quaregnon, « La Bulle », de décembre 2007


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