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Si Taizé m’était conté !

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°16 (9/2008)

Taizé s’annonce à Bruxelles en décembre 2008 !
Voilà bien un nom qui risque de résonner dans les médias à l’heure où des milliers de jeunes arpenteront les rues de Bruxelles et environs.
Mais c’est quoi, Taizé ? Un nouveau mouvement ecclésial ? Une Eglise parmi d’autres ? Une comète religieuse égarée dans notre humanité ? Une association de chrétiens conquérants ? Un woodstock de la foi ?
Jean-Claude Escaffit et Moïz Rasiwala[1] ont retracé une Histoire de Taizé. Un livre dont on ne peut que recommander la lecture pour une meilleure compréhension de l’événement !
Pour ma part, fréquentant Taizé depuis 1965, j’ai lu cette histoire avec émotion ; elle a ranimé en moi certains souvenirs qui réchauffent de l’intérieur. Au-delà des dits et non-dits, au-delà des clichés de tous bords qui ont circulé et circulent aujourd’hui, je découvre encore et toujours à Taizé cette paix du cœur qui donne goût à notre humanité.
Tous ceux qui ont gravi un jour la colline de Taizé étaient habités par une espérance, celle d’y trouver un souffle qui permette de repartir gonflés à bloc. Taizé reste un des aiguillons qui m’ont poussé à m’engager pour un Autre Visage d’Eglise et de Société. Taizé à Bruxelles en 2008, c’est donc aussi l’occasion de dire mon enthousiasme… et ma crainte !

Pâques 1965. L’église de la Réconciliation sent encore le béton frais ; elle a été inaugurée trois ans plus tôt. Les aubes blanches se profilent dans le chœur, le chant éclate, en français, d’une beauté déconcertante. Finies les rengaines Tantum ergo et autres psalmodies latines. Chorals et psaumes polyphoniques, sur des musiques de Samson, Gelineau, Berthier, prières simples et non culpabilisantes, offices où chacun est célébrant plutôt que spectateur qui assiste à la démonstration d’un seul officiant ! C’était comme un avant-goût d’une Eglise vivant sous le souffle des promesses d’ouverture du Concile Vatican II[2].

Les jeunes arrivent en nombre sur la colline, comme s’ils avaient enfin trouvé un lieu pour vivre une expérience de chrétiens sans frontières. La prière commune, les partages en petits carrefours et le travail manuel rythment la journée. Les échanges portent essentiellement sur l’œcuménisme, avec l’appel à un engagement commun, et l’éveil au monde des pauvres, selon la grande intuition de Roger Schutz : « Réconcilier les hommes et les idées, bâtir des ponts, tout en étant signe de contradiction. » Cette intuition s’exprime jusque dans les termes choisis comme titres de ses écrits : « Lutte et contemplation, violence des pacifiques, dynamique du provisoire, unanimité dans le pluralisme[3]

En 1970, Frère Roger lance le « Concile des jeunes ». Jusqu'ici, les différents conciles ne faisaient que réunir des clercs situés au sommet de la hiérarchie ecclésiastique. Le dernier concile, Vatican II, avait bien ouvert ses portes à des observateurs non clercs, dont Frère Roger d'ailleurs, mais l'idée d'un concile du peuple de Dieu restait incongrue dans la mentalité de la sainte Eglise catholique. Qu'à cela ne tienne, des milliers de jeunes se sont retrouvés régulièrement à Taizé, ils y ont appris à s'exprimer, à oser une parole, à se libérer des muselières labellisées par l'eau bénite, à poser des questions, les leurs, sans se voir imposer des réponses toute faites !

Tous les jeunes qui répondent à l’invitation sont ceux qui cherchent à sortir de l’isolement. Une attente les a mis en route, un appétit de rencontres : celle des autres, celle de Dieu. La communauté des frères leur propose de vivre un approfondissement des sources de la foi, avec des mots simples. Pas de conférences, pas de longues catéchèses, simplement une multitude de petits groupes où le partage est le leitmotiv. Personne n’est là pour convaincre, mais simplement pour parler de sa vie, de ses engagements, de sa recherche. En fin de semaine, l’enthousiasme est perceptible, sans exubérance ou ostentation : « Je ramène avec moi beaucoup d’espérance ! Je ne suis pas seule, là-bas où je vis, mais j’ai découvert qu’il y a une multitude de signes d’espérance sur la terre… à partager » (Brigitte, une jeune Allemande)[4]. Et, au-delà de cette espérance, il y a un espoir tenace de trouver un chemin : « C’est beau de trouver une communauté qui ne vous donne pas de réponses, mais qui partage vos questions et qui est là, à vos côtés, quand vous peinez pour trouver vos propres réponses » (Sharon, une jeune Indienne)[5].

L'engouement connaîtra aussi des débordements, ceux de rassemblements importants de jeunes : "Taizé, le Woodstock bourguignon" ! La communauté des frères va devoir gérer ! Elle devra canaliser et aiguiller certains jeunes vers d'autres endroits de rencontres ou de vacances.

Comment rendre la terre habitable pour tous ? C’est la question centrale qui sous-tend et dynamise les rencontres qui se déroulent de semaine en semaine. Cette thématique est à l’opposé de la rencontre religieuse qui vise à rassembler dans un cocon pour réchauffer et « charismatiser » en jouant sur l’affectivité religieuse. Elle n’a de sens que parce qu’elle invite à agir dans son milieu de vie quotidien. Dans le fond, Taizé est une idée toute simple : la réconciliation dans le partage et la prière.

Taizé connaît le succès, des milliers de jeunes s’y retrouvent, ce qui fait naître aussi la suspicion : ne serait-ce pas une nouvelle secte ? Un journaliste neutre répond à cette question : « Taizé se trouve aux antipodes de la secte parce qu’on y cultive un esprit de tolérance, d’ouverture dans le désintéressement. C’est pour cette raison que tant de jeunes s’y donnent rendez-vous, année après année » (JM Félix)[6].

Ce succès interpelle aussi les responsables de l’Eglise catholique. Pourquoi les églises se vident-elles, alors que la colline bourguignonne ne désemplit pas et que les rassemblements annuels dans une grande ville européenne drainent de plus en plus de jeunes ? La démarche d'un certain clergé catholique n'est pas désintéressée ! En 1980, Jean-Paul II lui-même accueille la rencontre de Taizé organisée à Rome, en tant que capitale d'un pays européen. C'est à la suite de cette rencontre que le Pape va imaginer les Journées Mondiales de la Jeunesse !

Ces fameuses JMJ sont la reproduction en gigantesque du type de rencontres organisées chaque année dans une grande ville européenne par la communauté de Taizé. Le « Pèlerinage de confiance sur la terre » subit un copier-coller. Mais la copie obtenue est transformée dans son essence même : la démarche devient un pèlerinage autour d'un pape, lui-même pèlerin. Les troupes de choc sont bien présentes : focolari, néocatéchumènes, charismatiques de tous bords. Elles encadrent et encouragent à l'écoute les différentes catéchèses assurées par des évêques. Ceci n'a vraiment plus rien à voir avec l'intuition initiale de Frère Roger.

Taizé aujourd’hui ! Un patchwork ! Un monde religieusement bigarré ! On y rencontre des gens sans signe extérieur ostentatoire, des jeunes et moins jeunes arborant au cou des croix aux tailles diverses, des cols romains, des soutanes de toutes les teintes, des religieuses voilées de la tête aux pieds. Vraiment un peu de tout, mais un tout qui se retrouve dans la prière, dans une prière où le chant et le silence laissent résonner la Parole : « Il faut éviter toute ambiance concert »[7]. Frère Jean-Marie ajoute ces quelques mots, bien lourds de sens : « […] il n’y a pas d’officiant. Dans l’église, nous sommes tous tournés dans la même direction, tous solidaires dans l’espérance, en quête de paix »[8].

Taizé à Bruxelles en décembre 2008 ! Rien que de l’enthousiasme, car Taizé reste le symbole de thèmes porteurs pour assurer une autre visage d’Eglise et de Société : « Réconcilier les hommes et les idées, bâtir des ponts, jeter des passerelles, rendre la terre habitable pour tous. »

Notre souhait le plus fort est que Taizé reste fidèle à lui-même. Nous craignons (un peu) que Taizé soit utilisé comme eau au moulin d’une Eglise qui se complaît dans le mode démonstratif. Nous ne souhaitons pas que Taizé soit un simple adjuvant au moteur des grandes célébrations Koekelbertiennes. Nous espérons que la volonté de bâtir des ponts ne se confonde pas avec la satisfaction béate de remplir des chapelles.

Taizé fidèle à lui-même, comme antidote d’une « Catho Pride » !

Philippe Liesse

Notes :
[1] ESCAFFIT et RASIWALA, Histoire de Taizé, Paris, Seuil, 2008
[2] 1962 – 1965
[3] ESCAFFIT, p. 11
[4] OCIC VIDEO. Taizé. Proche est la confiance, 1989.
[5] Ibidem.
[6] Reportage TV Suisse Romande, 1997
[7] Frère Aloïs in Prier avec les chants de Taizé. DVD Vidéo D0706
[8] Ibidem



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