Strasbourg 2008 : la rencontre annuelle du réseau européen Églises et Libertés
Pierre A. Collet
Publié dans Bulletin PAVÉS n°16 (9/2008)
Outre notre appartenance à IMWAC[1], c’est le réseau européen Églises et Libertés qui permet au réseau belge PAVÉS de se relier avec les groupes à l’étranger. Nous étions quatre à participer à leurs journées annuelles au début du mois de mai et nous avons déjà rendu compte de la rencontre de IMWAC dans notre bulletin précédent. En attendant le compte rendu officiel, voici quelques échos de la rencontre du Réseau Européen.[2]
Après le Portugal l’année dernière, c’était donc la France qui accueillait le réseau européen. Le choix de Strasbourg s’imposait, ne serait-ce qu’en lien avec le thème de la journée d’études, comme on le verra plus loin. Nous étions accueillis au Centre culturel Saint Thomas, à moins d’un quart d’heure de marche des institutions européennes.
Dès le premier jour, en séance plénière, nous étions 55, venant de 13 pays européens. Ce chiffre restera à peu près stable tout au long de la rencontre. Il convient de souligner la qualité de la préparation et du travail des participants français, tant dans la gestion quotidienne que dans les ateliers ou au cours des réunions plénières, et tout particulièrement du secrétaire général actuel, François Becker : un véritable chef d’orchestre dont la volonté de dialogue et de tolérance n’a jamais eu à pâtir de la nécessaire autorité…
Plusieurs semaines avant la rencontre, le bulletin Euronews[3] avait permis aux participants de prendre connaissance des thèmes à discuter et des projets de résolution ou ‘motions’. Sur place donc, le travail s’est tout de suite réparti sur 6 ateliers : justice sociale ; concertation avec les communautés de base et communication ; spiritualité ; Eglise et ministères ; Afrique ; Europe. Nous avons surtout participé à Eglise et ministères, Communautés de base et Europe, car c’est là qu’étaient discutées les motions qui nous intéressaient plus particulièrement.
Les ateliers
À l’atelier ‘justice sociale’ a été présentée et discutée la pétition Non à la directive de la honte, concernant l’immigration en Europe. L’assemblée plénière a décidé également d’une journée européenne d’action dans la ligne de cette pétition, journée à organiser dans nos différents pays, chacun selon les modalités qui lui convient, mais à l’intérieur de la même semaine, dont la date n’est pas encore précisée.
Les relations avec les communautés de base avaient été inscrites en projet lors de la dernière rencontre du réseau à Lisbonne : il s’agissait de passer à des décisions plus concrètes. Luis Angel Aguilar, délégué espagnol au collectif européen des communautés, a été invité à présenter les ‘fondements communs’ des communautés de base tels que reconnus à la rencontre d’Édimbourg en 2003, ainsi qu’un aperçu de leur situation actuelle. Mais comme pas mal de communautés de base sont membres ou font partie de groupes membres du Réseau européen, des liens existent déjà. Sans surprise, on a pris la décision de collaborer plus étroitement, comme par exemple par la participation réciproque aux rencontres.
À ‘Eglise et ministères’, c’est Antony Padovano, le représentant américain de la ‘North Atlantic Federation for a Renewed Catholic Priesthood’[4], qui est venu offrir une proposition de collaboration en insistant sur l’intérêt et l’importance d’une rénovation des ministères. Le réseau européen n’a cependant pas cru opportun de s’affilier à la NAF, mais plutôt de reconnaître celle-ci comme ‘membre associé’. Le plus clair de cette décision est sans doute d’avoir refusé de subordonner nos objectifs à un objectif que nous estimions particulier, celui des ministères. Par ailleurs, nous avons particulièrement apprécié l’idée de François Becker concernant la complémentarité entre trois réseaux et trois domaines d’objectifs prioritaires : IMWAC et nos rapports avec l’Eglise institutionnelle, les Communautés de base et notre attention à ce qui se vit à la base, le Réseau Européen et ses objectifs fédérateurs pour un dialogue avec la société civile. Dans une telle perspective, si les Fédérations de prêtres mariés voulaient ou devaient s’affilier quelque part, ce serait peut-être davantage à IMWAC… Finalement, la NAF a donc été reconnue comme un ‘associé’ du réseau européen concernant certains objectifs communs, au même titre que d’autres associations ou réseaux dont la Fédération européenne des Prêtres Mariés.
Dans le même atelier, on a également présenté et travaillé une motion de soutien aux dominicains et aux paroisses des Pays-Bas pour leur rapport Eglise et Ministères. Vers une Eglise de l’avenir. Le texte a été voté à l’unanimité en séance plénière.
L’atelier ‘Afrique’ a mis l’accent sur la nécessité d’agir pour une amélioration des conditions de vie de la société civile dans ces pays, afin que les Africains soient heureux de vivre chez eux et ne soient pas contraints d’émigrer vers nos pays riches. Mais la motion souligne aussi à quel point l’EPA (Economic Partnership Agreement) projeté par l’UE pénalise fortement les pays intéressés. Elle demande donc la suspension et même l’abandon du projet afin d’initier une discussion fondée sur un changement radical des rapports entre l’Union Européenne et les pays africains.
L’atelier ‘Europe’ avait à traiter de notre participation en tant qu’ONG aux institutions européennes, et ce fut plus laborieux. De quoi s’agit-il ? Autant le réseau européen est prêt à poursuivre son travail et sa coopération avec le Conseil de l’Europe où il se retrouve avec la société civile sans que cela ne lui pose de problème de fond (sinon que le cahier des charges est lourd), autant certains lui demandent de s’interroger sérieusement sur les conséquences de ses relations avec l’Union européenne, si chère au Vatican. Ce dernier y trouve en effet le cadre juridique du fameux dialogue privilégié avec les églises, de l’art.16 C de Lisbonne (ex 52 du Traité) qui lui permet de dialoguer d’institution à institution avec l’Union européenne. Il est clair que d’un pays à l’autre, les sensibilités à ce sujet sont assez diverses, mais aussi dans un même pays comme la France entre les représentants de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité[5] et les délégués du réseau auprès des institutions. Après négociation, on a approuvé « la mise à l’étude des conditions d’une participation à un dialogue démocratique structuré avec les institutions européennes en qualité d’organisation de conviction dans le cadre défini par le traité de Lisbonne ».
La journée d’études
Pas moins de quatre conférences étaient programmées le samedi 3 mai sur le thème de la sécularisation dans une Europe multiculturelle et multiconfessionnelle.
Place au sociologue d’abord : Louis de Vaucelles s.j. a tenté de rendre compte de la perception de ses étudiants concernant les relations entre religion, culture, et société. « L'érosion de l'influence socio-culturelle des institutions chrétiennes et l'affaiblissement du sentiment d'appartenance aux Eglises ne sont pas forcément l’indice d’un dépérissement inéluctable du religieux, mais plutôt de son individuation et de sa sectorisation hors des cadres institutionnels traditionnels. » Hypothèse ? Il faudrait peut-être que les religions fassent leur deuil une bonne fois de leurs prétentions totalitaires, mais peut-être aussi tout simplement universalistes…
Il revenait ensuite à Hubert Tournès[6] de faire le tour concrètement de la manière dont les différents États d’Europe organisent et font fonctionner les relations entre religion, culture et société. C’est qu’en effet le régime des relations Église-États reste de la compétence des états nationaux. Mais un exemple montre bien les limites de cette compétence également soumise au droit européen. En 2006, une lettre au premier ministre de Slovaquie signée par 52 députés européens de 14 pays et appartenant à 6 groupes politiques a donné lieu à un vif débat national qui a empêché la ratification d'un concordat qui portait atteinte à des droits fondamentaux garantis dans l'Union et il s'en est suivi la chute du gouvernement. Le concordat prévoyait un droit à l'objection de conscience, tant au stade du vote que de l'application, contre des lois contraires à la doctrine morale de l'Eglise catholique. Voilà un précédent qui fait autorité au niveau européen face à la politique suivie par le Vatican dans ses relations avec les Etats européens, mais qui permet aussi de comprendre pourquoi les autorités religieuses recherchent un ‘dialogue privilégié’ au plus haut niveau de l’Union. Alors que les Européens quittent massivement les Eglises qui voient leur influence sur la société diminuer, les religions intensifient leur présence dans le champ politique et y font monter la pression. Assiste-t-on à une « désinstitutionalisation du religieux dans la vie sociale » et à une « réinstitutionalisation dans la vie politique ? »
Suit le philosophe : Jean Riedinger[7] propose une réflexion approfondie sur Sécularisation et laïcité. Bien des efforts de précision et de nuances concernant le sens des mots (dans les différentes langues…) et l’histoire de ces concepts étaient nécessaires. Pour en arriver où aujourd’hui ? Proposition : « La laïcité est la séparation institutionnelle et juridique et non la simple distinction du politique et du religieux. Il semblerait que la pensée européenne puisse s’orienter de plus en plus en ce sens. Voir par exemple ce texte issu des Rencontre 2008 du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel.
« Le concept de laïcité européenne (european laicity) peut être décrit comme la mise en œuvre à l’échelle européenne des trois principes fondamentaux suivants :
- le principe de liberté : liberté de conscience, de pensée, de religion qui implique la liberté de ne pas en avoir ou de pouvoir en changer
- le principe d’égalité de droits et de devoirs de toute personne, quelles que soient ses convictions religieuses ou autres, ou principe de non discrimination
- et le principe d’autonomie respective du religieux et du politique »
Il reste sans doute à préciser ce que signifie ce principe d’autonomie…
C’est au théologien qu’il était demandé de finir le parcours. Joseph Moingt s.j. était invité à dire ce qu’il pensait des implications de la sécularisation et de la laïcité sur la théologie et sur la foi… Et de bien devoir reconnaître que « Le magistère de l’Église catholique n’a pas la pratique du débat, il est au contraire habitué à décider seul et à imposer à ses fidèles par voie autoritaire ce qu’ils doivent penser et faire. Aussi cherche-t-il à influencer
de préférence les autorités politiques de l’État pour qu’elles donnent force de loi aux solutions justes. » Ainsi, concernant « le débat public sur les valeurs éthiques, qui est de nature philosophique et à finalité politique, on peut souhaiter que les Églises et les religions y entrent pour l’enrichir par l’apport de leurs convictions et traditions. Mais elles n’y seront admises qu’à la condition d’accepter les règles requises par nos mentalités démocratiques. » A propos de la recherche théologique également : « Pour entrer elle-même dans le débat éthique public, la théologie a besoin d’apprendre à suivre le chemin du dialogue sur lequel la précède la philosophie de notre temps. »
Les textes de ces communications sont disponibles sur simple demande.
Les sorties
A la fin de chaque journée, un grand bus nous attendait pour une sortie vespérale. Le vendredi soir, nous prenions la direction de Hautepierre, ce quartier célèbre pour ses incendies de voitures à chaque Nouvel An. Nous y étions reçus par le pasteur africain Frédéric Setodzo à la paroisse protestante. Avec un couple juif, un groupe de musulmans et une chorale de jeunes à majorité africaine et protestante, la célébration interreligieuse fut d’une rare densité. Chant solennel en arabe d’une profession de foi musulmane dont le refrain était repris par tous, puissants gospels chrétiens alternant avec de magnifiques chants juifs a cappella par une jeune maman juive, Isabelle Marx, sourates du Coran, cantique chrétien, courte prise de parole du pasteur et du curé. L’émotion était au rendez-vous, et la confiance et l’espérance, aussi paradoxal que cela puisse paraître dans ces banlieues difficiles. Après la célébration nous attendait un délicieux couscous préparé par les musulmans et précédé par le chant solennel du Shabbat.[8]
La soirée du samedi nous a permis de visiter à pied des quartiers historiques de Strasbourg que François Becker connaît comme sa poche et de finir par un dîner bien arrosé dans une Winstub de la ‘Petite France’.
Nous gardons une excellente
impression de cette rencontre européenne, tant en ce qui concerne
l’organisation matérielle que les échanges entre participants : on ne dira
jamais assez toute la richesse et l’encouragement qu’apportent ces contacts
internationaux avec tant de personnes qui, comme nous, travaillent à un autre
visage de l’Église et de la Société. Merci !
Pierre A. Collet (Réseau PAVÉS)
Notes :
[1] Mouvement International ‘Nous Sommes Église’, voir plus loin pages 17-20 et dans notre
bulletin précédent, pages 6-9.
[2] Nous nous
inspirons aussi des notes de Micheline Convert et Ingrid Augot de ‘Nous Sommes Aussi l’Eglise’. A lire sur
le site de http://www.nsae.fr
[3] C’est la revue semestrielle du réseau,
publiée dorénavant sous forme électronique et accessible sur le site http://www.european-catholic-people.eu
[4] Cette fédération de groupes est née de la
disparition de la Fédération Internationale des Prêtres Mariés et de sa
division en groupes continentaux. Depuis 2004, elle a commencé à accueillir
d’autres groupes, en particulier autour de la question de la prêtrise des
femmes. Voir http://www.renewedpriesthood.org
[5] Présentation de l’OCL sur le site de PARVIS :
http://reseaux.parvis.free.fr
[6] Président de Droits et Libertés dans les Églises et représentant du réseau dans
le Groupe multipartis sur la séparation
de la religion et de la politique au Parlement Européen.
[7] Vice-président de Parvis et secrétaire de
l’OCL et Espérance 54
[8] On peut voir les vidéos de Gérard Warenghem sur http://www.partenia2000.over-blog.com/30-archive-05-2008.html
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