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La mort du clerc

30 années de lutte pour que change l'église...

Jacques Meurice
Publié dans HLM n°8 (11/1981)

1. Les Prêtres-ouvriers

II y a trente ans déjà, entraient au travail les premiers prêtres-ouvriers de chez nous. Les plus âgés d'entre eux sont maintenant à la retraite. D'autres sont morts. Leur histoire est une des plus particulières et des plus émouvantes parmi celles des hommes de notre temps.

Rapidement, ils s'étaient trouvés face à des choix, dont aucun n'était simple, mais qu'en conscience ils ne pouvaient esquiver sans renier et leur vocation propre et les solidarités profondes qu'ils vivaient.

Même si, en 54, ils ont pu éviter, chez nous, la condamnation prononcée par Rome contre les P.-O. français et l'ordre péremptoire d'abandonner le travail, ils sont entrés à ce moment dans un espèce de " maquis ", où la vie interne et au sein du monde ouvrier était très intense, mais où, d'autre part, les relations avec l'Eglise institutionnelle et avec les media de l'opinion publique demeuraient très discrètes et devenaient même presque " théoriques " pour certains. L'incarnation prédominait et la plongée volontaire réalisée par une bonne dizaine d'hommes en Wallonie – jusqu'au cœur des masses – n'allait pas sans un engagement progressif dans les organisations et les mouvements ouvriers. Pour la hiérarchie ecclésiastique, des prêtres étaient dès lors occupés à s'enterrer...

Leur histoire c'est celle de plusieurs choix successifs.

Entrer au travail ouvrier suppose de la part d'un vicaire ou d'un enseignant un important changement de style de vie, d'habitudes, de relations. Plusieurs l'ont décrit comme le passage d'un monde à un autre. Rester au travail, c'est confirmer ce choix, c'est porter un jugement de valeur implicite qui est déjà une condamnation du monde clérical, de ses structures, de ses caractéristiques et de ses complexes. Contrairement au roman de Cesbron " Les saints vont en enfer " qui, dans certaines de ses pages, donne une impression de sacrifice volontaire, pénible, lourd et, sinon désespéré, du moins quelque peu masochiste, l'engagement de beaucoup de P.-O. était libre, serein, joyeux. Beaucoup ont quitté le milieu clérical sans le moindre regret, plutôt avec soulagement. Et leur vie dure (travail à pause, la nuit, avec le bruit, la poussière, le danger...) était riche en découvertes... en découverte de l'homme.

Affronter le Saint-Office et ses condamnations, même si l'on évite l'impasse par la tangente, c'est un autre choix. Cela veut dire que l'on a perçu clairement que toute la vérité ne se trouve pas du même côté. Les hommes qui font ce choix ont déjà une expérience des luttes ouvrières qui leur permet de faire une analyse objective de la situation : ils se trouvent face aux diktats d'un pouvoir qui ordonne et écrase sans consultation des intéressés, sans dialogue véritable. La conclusion ne se fait pas attendre : le pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique n'est pas juste, n'est pas évangélique et donc n'est pas acceptable. Et les hommes qui font cette analyse ne sont plus des enfants ni des séminaristes, ils ont appris à se battre.

Décembre 1960.   Dans le froid de l'hiver, la Wallonie s'enflamme. C'est la grande grève contre la loi unique, mais c'est aussi l'éveil des masses ouvrières à l'idée d'une nation wallonne, essentiellement démocratique, ouvrière et de gauche. Derrière André RENARD, il y a des prêtres-ouvriers qui s'engagent, se compromettent et sont, souvent au sens propre, sur les barricades. Eux qui, entre-temps s'étaient déjà engagés syndicalement – la plupart à la F.G.T.B. – vont maintenant connaître l'engagement politique. A ce moment, une nouvelle fois, l'Eglise, en la personne du Cardinal VAN ROEY, va condamner leur prise de position en condamnant la grève. Comme tout le monde ouvrier, ils se sentiront humiliés, avec en plus une rancœur qu'ils ne dissimuleront plus contre une hiérarchie toujours alliée aux puissants, prenant le parti du pouvoir, des riches... C'est alors que plusieurs d'entre eux s'engageront dans le P.W.T. – Parti Wallon des Travailleurs – et dans d'autres organisations politiques révolutionnaires. Leur nombre se renforce sensiblement durant les années qui suivent, et des tendances assez divergentes s'affirment : – souci de maintenir malgré tout un contact suivi avec la hiérarchie à Liège – souci au contraire de brûler ses vaisseaux et de poursuivre plus loin les engagements syndicaux et politiques à Charleroi. Leur influence s'étend aussi et probablement leur rôle aurait été marquant pour l'avenir du Christianisme s'ils n'avaient été tout à coup submergés et largement dépassés par la grande vague de la contestation. Depuis lors, la plupart d'entre eux, comme dans toutes les belles histoires, se sont mariés, ont eu des enfants... et ont, diversement il est vrai, poursuivi leurs engagements, mais certains de façon constante et toujours percutante. Quelques-uns, tout en restant célibataires, ont également perpétué leur combat sans plier non plus, isolés, mais farouchement libres et prophétiques. Trop peu nombreux pour gêner vraiment. D'autres enfin – un petit reste – effrayés par l'ampleur des remises en question, se sont progressivement repliés sur des terrains plus " sûrs " et plus traditionnels (paroisses, missions ouvrières, action catholique, conseils diocésains...) et, de reculade en reculade, défendent maintenant des positions souvent même plus proches de l'intégrisme que du " christianisme social ".

2. La contestation

La contestation c'est mai 68, et puis tout le reste... La réflexion engagée par Jean CARDONNEL durant le Carême à la Mutualité de Paris met le christianisme au cœur de la révolution et la révolution au cœur de l'Eglise. On n'a pas encore mesuré l'importance de ce qui se passe à ce moment, et toutes les retombées n'ont d'ailleurs pas encore eu lieu.

II serait illusoire de vouloir décrire en quelques lignes ou quelques pages toutes les prises de conscience et toutes les libérations qui se sont manifestées au cœur de chacun. Mais on peut dire que la liberté d'expression a permis à des hommes de se découvrir dans cette explosion, et puis de s'affirmer. Pour beaucoup ce fut là le vrai point de chute d'un concile qui, pour Jean XXIII, devait " ouvrir les fenêtres pour faire passer un grand courant d'air frais " dans l'Eglise, qui pour beaucoup d'évêques et de théologiens fut un choc et le début de nombreuses remises en question (Helder Camara, Guy Riobé, Hans Küng, Suenens même...) mais qui pour la base était souvent resté sans effet et lettre morte, mise à part la réforme liturgique.

Au lendemain de mai, plus précisément en novembre 68, il s'est trouvé quelques prêtres français pour penser qu'il fallait d'abord balayer devant sa propre porte et qu'un chapitre – partiel mais nécessaire – de la grande révolution culturelle de notre société, c'est la révolution dans l'Eglise. Soucieux toutefois de laisser aux laïcs leur place et leur responsabilité dans cette mutation, ils s'en prennent alors logiquement à ce qui leur est propre : le statut du prêtre, ressenti comme l'un des obstacles majeurs à la révélation de Jésus-Christ à notre monde.

ECHANGES & DIALOGUE

Echanges & Dialogue est né, qui va rapidement regrouper plus de 1000 prêtres, et dont les objectifs vont être clairement développés par plusieurs assemblées en quatre points

1. - Engagement professionnel : il n'est pas normal qu'un homme qui a accepté la mission d'annoncer et de témoigner de Jésus-Christ parmi les autres hommes, ne soit pas comme ceux-ci tenu de gagner sa vie par son travail, salarié et transformateur du monde où il vit. Cela aussi c'est l'incarnation.

2. - Engagement social, syndical et politique : il n'est pas normal qu'il soit interdit au prêtre de prendre position et de s'engager personnellement dans le combat pour la justice et la vérité, sinon comment peut-il véritablement témoigner de l'Evangile ?

3. - Engagement libre dans le mariage : il n'est pas normal que le prêtre soit tenu écarté de la moitié du genre humain, qu'il ne connaisse ni l'amour ni la paternité. Sa vie en est tronquée et son témoignage affaibli. C'est là un interdit et un tabou contraiires à l'esprit de l'Evangile.

4. - L'autorité dans l'Eglise : la façon dont l'autorité est exercée dans l'Eglise est la cause de beaucoup de maux sinon de catastrophes. Etait-ce la volonté de Jésus-Christ d'établir un pouvoir absolu de type théocratique ou une oligarchie élitiste permettant tous les abus, toutes les pressions et n'accordant aucune possibilité réelle d'être entendu, de dialoguer ?... La mise en cause de la façon dont l'autorité s'exerce dans l'Eglise n'est-elle pas le chemin obligé de toute réforme profonde ?

Ces quatre points seront au cœur de toutes les discussions dans les années qui suivent, dans tous les pays d'Europe et même d'Afrique et d'Amérique. C'est le génie français d'avoir pu les énoncer clairement, aussi rapidement.

C'est de cela qu'on parle à COIRE au printemps 69, dans une rencontre entre les évêques d'Europe et les mouvements de prêtres, car entre-temps des mouvements semblables à Echanges & Dialogue naissent en Hollande, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Belgique.

Ce sont les mêmes questions qui sont débattues à ROME en octobre 69, dans une assemblée parallèle au Synode des évêques, avec toute la richesse mais aussi la confusion d'une assemblée internationale, et toujours sans la moindre ouverture de la part d'une hiérarchie prudente, timorée et maintenant traumatisée.

Et chez nous, en Wallonie et à Bruxelles, que se passe-t-il pendant ce temps ? D'abord de la " sociologie ", des enquêtes et des référendums.

FOI CRITIQUE

Une équipe de base assez diverse lance à Charleroi, début 69, le référendum FOI CRITIQUE qui soulève aussitôt un flot d'injures de la part de LA LIBRE BELGIQUE et de ses adeptes, parce qu'il est anonyme, soi-disant, mais surtout parce qu'il ose poser à tous les prêtres francophones, sans autorisation préalable de leurs supérieurs, des questions surprenantes telles que :

- Etes-vous pour l'abandon des privilèges et du lien avec le pouvoir ? Abandon du traitement d'Etat ? Refus d'accorder honneurs et privilèges aux personnalités civiles ou militaires dans les communautés chrétiennes ?

- Ne pensez-vous pas qu'il faut acheminer les institutions temporelles chrétiennes - écoles - hôpitaux - vers une fusion avec les institutions parallèles officielles ?

- N'êtes-vous pas partisan d'un pluralisme effectif d'option et d'engagement en matière politique – sans plus de parti spécifiquement chrétien, en matière syndicale – sans plus de syndicat spécifiquement chrétien, etc. ?

- Optez-vous pour un sacerdoce plutôt ministériel dans le cadre traditionnel ou pour un sacerdoce plutôt présent dans le monde, sans uniforme, avec exercice d'une profession salariée, où le célibat sera facultatif ?

- Dans le cadre d'une démocratisation de l'exercice de l'autorité dans l'Eglise, ne faut-il pas créer un organe représentatif du type syndical, interdiocésain, de prêtres et diacres ? Ne faut-il pas promouvoir la participation active et démocratique des évêques à la désignation du Pape ? des prêtres et des laïcs à la désignation des évêques ? et des communautés chrétiennes à la désignation des prêtres ?

Ce référendum très imparfait, qui ne peut pas être utilisé tel quel par les sociologues, permet cependant à plusieurs centaines de prêtres de s'exprimer sur des options-clés et ainsi de dégager des tendances diverses si pas opposées dans le clergé francophone belge. Quelque 200 prêtres répondant de façon franchement positive à la ligne de recherche et d'action qu'ils devinent derrière ces questions marquent alors une adhésion qui sera développée dans le mouvement PRÉSENCE & TEMOIGNAGE.

PRÉSENCE & TEMOIGNAGE

S'il s'agit à l'origine de regrouper les quelques signataires belges d'Échanges & Dialogue, cette façon de voir est rapidement dépassée par le résultat de Foi Critique et d'une autre enquêté effectuée auprès des étudiants de Louvain. Présence & Témoignage est dès le départ très ambitieux : il veut déborder le cadre des mouvements de prêtres, des revendications sur le statut clérical, il veut être un nouveau projet d'Église. Pour ce faire, il collabore avec des mouvements laïcs : les communautés Jean XXIII, Vie nouvelle, le groupe Lettre, les milieux proches de la Revue Nouvelle, le Mouvement Chrétien pour la Paix, le journal Monde Nouveau, les Chrétiens Pour le Socialisme, le G.P.T.C. (Groupe politique des travailleurs chrétiens) uni au parti communiste dans l'U.D.P. (Union Démocratique et Progressiste) et bien d'autres...

C'est toute l'explosion et l'efflorescence des années 70, si riches en expériences, en cheminements, en en découvertes, mais terriblement confuses. C'est l'époque où un Secrétariat International des Chrétiens Solidaires se crée dont le siège est encore pour quelque temps à Louvain. C'est l'époque des grands congrès et des assemblées qui se tiennent un peu partout : clandestine à Madrid en 1970, publiques et internationales à Rouen en 1972, à Lyon en 1974, où l'on rencontre des évêques mariés d'Amérique latine, où l'on échange les expériences de communautés de base, bidonvilles de Rome avec Gérard LUTTE, Isolotto, Franzoni, etc.

C'est aussi l'époque où se démarquent quelques grands noms de notre Eglise locale, prenant leur liberté de penser et d'agir: Louis EVELY, Thierry MAERTENS, les abbés d'ORVAL et de MAREDSOUS, des théologiens, des doyens, des curés, des enseignants, des vicaires, des prêtres-ouvriers quittent des structures qu'ils jugent non seulement désuètes et contraignantes, mais profondément inadéquates à la mission d'annoncer Jésus-Christ à notre monde. Ces " départs ", de plus en plus nombreux, ont souvent lieu dans de mauvaises conditions : il faut partir à zéro, sur le plan financier et professionnel. II faut le cran et le courage de fonder un foyer à un certain âge, sans ressources, souvent chômeur effectif ou en puissance, entouré d'indifférence, parfois d'hostilité de la part de sa famille, de ses amis, des relations. II faut aussi choisir entre le " départ sauvage ", par choix personnel, sans avis et permission, qui selon l'ancien droit entraîne l'excommunication majeure, et le " départ normalisé ", avec réduction à l'état laïc et la comédie que cela suppose, mais qui atténue les conséquences sociales.

C'est l'époque aussi de quelques grands procès au tribunal du travail pour licenciements abusifs de prêtres, religieux, religieuses, enseignants qui se marient ou d'infirmières et enseignantes qui épousent des prêtres, comme auparavant déjà de divorcés qui se remarient. La hiérarchie catholique est maintenant dénoncée et traînée en justice, en tant que patron d'écoles, d'hôpitaux, de maisons de jeunes, etc. et obligée de respecter une législation sociale durement acquise et défendue par les travailleurs.

Dans ce brassage général des idées et des décisions personnelles, il n'y a pas de mouvement ou de collectif qui s'impose vraiment. Présence & Témoignage ne dure guère, et les autres végètent après des moments intenses d'expression libre et d'engagements. Mais les " départs " et les prises de position personnelles se multiplient eux, provoquant une hémorragie lente mais grave et certaine des effectifs religieux et cléricaux. II n'y a pas de bataille rangée dans ces années 70, pas d'affrontements collectifs, et ceux qui rêvent d'une grande explication publique, d'un baroud d'idées avec excommunications et autodafés, sont affreusement déçus ! Mais il sort en permanence bien plus de gens qu'il n'en entre et la hiérarchie se voit dans un avenir très proche, réduite au rôle de général sans troupes, ce qui n'est pas sans l'inquiéter, et qui sera finalement le seul argument pressant et péremptoire en vue d'un changement. Un évêque peut écraser moralement un homme, le réduire au silence en même temps qu'à l'état laïc, il peut le faire 10 fois, 100 fois, par devoir ou par obstination... Mais quand il se rend compte qu'en 10 ans il a perdu 20 ou 25 % de ses effectifs, et probablement 50 % des forces vives, car l'âge moyen de ceux qui restent frise la soixantaine, il est forcé soit de réfléchir, soit de prendre des calmants pour dormir...

3. Perspectives d'avenir

C'est dans ce contexte, à l'aube des années 80, que naît H.L.M. (Hors-les-Murs) petitement, modestement et très lentement. Son but est volontairement limité : créer et animer une solidarité réelle entre des prêtres, religieux, religieuses, mariés, et qui à cause de cela sont hors des structures... La force d'un tel mouvement semble maintenant résider dans sa sérénité, sa lenteur même, dans l'aspect pratique et sympathique de ses buts. C'est tout le contraire des années 70. Rien de précipité, tout l'avenir est à nous et repose sur de solides pères et mères de famille, dont la plupart ont fini par faire leur trou. Pas de précipitation, pas de provocation inutile, mais une force sûre, solide, de gens qui ne sont plus pressés, savent ce qu'ils veulent, où ils vont, et dont on peut espérer que, cheminant, ils élaboreront un programme et tiendront une ligne politique plus nette et mieux orientée.

Cet avenir, comment se présente-t-il pour l'Eglise institutionnelle ? Sans vouloir tenter un succès de librairie semblable à celui de " Nostradamus " on peut cependant tracer quelques lignes dont le fondement est simplement démographique. Car si un fait est plus fort qu'un lord-maire, il doit être vrai qu'une courbe démographique est plus forte qu'un Pape.

DEMOGRAPHIE

En mars 80, le journal catalan AVUI relatait une intervention radiophonique du docteur PONTIGOL, archevêque de Tarragone, qui disait textuellement ceci : " Les statistiques nous donnent le chiffre bien pauvre de 192 prêtres au diocèse de Tarragone. Pire encore : l'âge moyen de ces prêtres est de 55 ans, parce qu'il y en a 65 qui dépassent 60 ans et seulement 2 qui n'arrivent pas à la trentaine ". Et d'affirmer ensuite : " les prévisions approximatives donnent pour l'année 1986 une future moyenne d'âge de 62 ans ". La moyenne d'âge du clergé de Tarragone en Catalogne, s'accroît donc plus rapidement que le temps ne passe ! ce qui est vraiment la plus mauvaise démographie qu'on puisse imaginer.

Quelque temps plus tard, Fernando SEBASTIAN, évêque de Léon, déclarait : " L'âge moyen de nos prêtres est de 55 ans et si nous prenons en considération les prévisions possibles, il sera de 63 ans d'ici 10 ans ". Et selon l'auteur de l'article qui le relate, ces chiffres reflètent bien la situation générale de toute l'Espagne.

On peut se demander quelle est à ce sujet la situation de régions plus proches. Pour la France, même LA LIBRE BELGIQUE reconnaissait en 80 que ses 41 000 prêtres séculiers de 1965 étaient devenus 36 000 en 1975 et 33 000 en 1978 : 600 prêtres en moins chaque année, ce n'est pas rien. L'estimation est difficile, mais on pense qu'il y a actuellement 10 000 prêtres et religieux français hors des structures (1).Quant à nous, Wallons et Bruxellois, quelle est chez nous la situation du clergé ? Bien que nos évêques soient en général fort discrets dans ce domaine, on dispose cependant d'un certain nombre de chiffres et d'informations. Une récente étude de la sociologue Liliane VOYÉ : " De l'adhésion ecclésiale au catholicisme socio-culturel en Wallonie ", Louvain-la-Neuve, 1979, décrit bien le vieillissement du clergé : " en 1969, 35,5 % des prêtres avaient plus de 55 ans, en 1975 ce pourcentage s'élève à 45,4 % ". Ne serait-il pas de 55 % en 1981 ? On trouve là également un tableau des prêtres par tranches d'âge dont on peut déduire un âge moyen approximatif de 50 ans en 1970, qui devient 52,8 en 1975, 56,0 en 1980, et, en prévision 59,6 en 1985, 63,8 en 1990 et ainsi de suite avec la correction due à la raréfaction progressive des effectifs. Le " prêtre moyen " a actuellement déjà dépassé l'âge de la prépension telle qu'elle est appliquée en sidérurgie.

Au diocèse de Tournai – population d'environ 1 313 000 habitants – le nombre total des prêtres est passé en 10 ans (de 1970 à 1980) de 1388 à 1185, malgré une importante " récupération " de religieux. Plus significatif encore, le nombre de prêtres ordonnés dans le diocèse et en fonction dans celui-ci est passé durant la même période de 902 à 739. Le diocèse de Tournai a donc perdu en 10 ans près de 15 % de ses prêtres, et continue à perdre entre 15 et 20 prêtres par an, en chiffre absolu (2).

L'exemple de Tournai peut être étendu sans gros risque d'erreur à l'ensemble de la Wallonie. Les exemples de l'Espagne et de la Wallonie reflètent assez bien la situation de l'ensemble des pays " latins " d'Europe. Sans doute ce mouvement est-il moins accentué dans les pays germaniques et anglo-saxons, mais tout aussi certain, et l'on peut dire sans exagérer qu'il annonce de façon irrémédiable la mort du clergé occidental pour la fin du siècle.

LA SECTE

La mort du clerc est une chose. Le déclin de la pratique religieuse en est une autre. Dans les diocèses wallons, le nombre de baptêmes par rapport au nombre de naissances est passé en 10 ans (de 1967 à 1977) de 93 à 89 % et le nombre de mariages religieux de 83 à 75 %, tandis que la pratique dominicale passait de 33 à 25 %.

De plus, l'évolution philosophique actuelle qui se traduit dans la pensée mais aussi dans les mœurs, fait que le fossé s'agrandit sans cesse entre d'une part une société à la recherche de la vérité et de nouveaux équilibres économique et politique, et d'autre part une papauté tellement soucieuse de préserver sa petite théologie qu'elle méconnaît les vrais problèmes (divorce, avortement, libération des peuples opprimés, lutte contre l'armement, le fascisme, la faim...) et manque toutes les occasions de promouvoir un homme libre, conscient, engagé.

Depuis quelque temps, il n'est plus guère question de condamner le " schisme " de Monseigneur Lefebvre, car on peut se demander si ce n'est pas toute l'Eglise qui s'engage dans cette voie. Des réflexions entendues de prêtres sensés et d'expérience font craindre que n'entrent plus dans les séminaires – en petit nombre, il est vrai – et donc a fortiori que n'en sortent plus, actuellement, que des garçons d'opinion conservatrice, aux idées de droite, éventuellement sympathisants de mouvements d'extrême-droite.

Tout cela permet de porter le jugement grave et lourd de conséquences selon lequel l'Eglise Catholique Romaine ne sera plus, au début du siècle prochain, et dans notre société occidentale, qu'une secte parmi beaucoup d'autres.

L'EVANGILE

Et le Christianisme dans tout cela ? Le Christianisme heureusement c'est autre chose ! II faudra prendre l'habitude, sous peine d'être très malheureux, de distinguer Eglise et Christianisme. Le message évangélique de Jésus de Nazareth ne s'arrêtera pas pour si peu, il continuera à vivre au cœur d'hommes qui en ont fait et en feront leur espérance, leur lumière. II ne se transmettra plus par des actes religieux, ni par des sacrements, ni par des dogmes, des sermons ou des catéchismes, mais il pourra toujours se transmettre par le pain et la parole d'hommes simples, partagé au sein des luttes pour la liberté, la justice et la vérité.

" Ce pour quoi je suis né, ce pour quoi je suis venu dans le monde, disait Jésus à Pilate, c'est pour témoigner de la vérité ".

Jacques Meurice (Hors-les-murs)

Notes :
(1) Le Figaro du 27 juin 1981 fait pour la France les prévisions suivantes : en 1985, 28 000 prêtres dont 10 000 de plus de 65 ans; en 1999, 20 000 prêtres dont 11 000 de plus de 65 ans (N.D.L.R.).
(2) Vers l'Avenir du 15 mai 1981 cite ces chiffres pour le diocèse de Namur : en 1980, 35 prêtres diocésains sont décédés, 4 ont été ordonnés et 3 ont quitté officiellement le ministère (N.D.L.R.).


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