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Foulards et minarets… « Signes ostentatoires » ?

Philippe de Briey
Publié dans Bulletin PAVÉS n°21 (12/2009)

Le vote suisse contre les minarets a suscité à juste titre beaucoup d’indignation. N’est-ce pas en effet une manière de signifier aux musulmans : « votre religion n’est pas la bienvenue chez nous, ou du moins elle ne doit pas être ostensible ! » ?
En Suisse, comme dans les autres pays européens, les Eglises ont manifesté leur désaccords et leur déception. En Allemagne par exemple, le président de la Conférence épiscopale a pris position rapidement et dénoncé notamment un des arguments invoqués par la campagne, celui de la réciprocité : « Justement parce que nous, chrétiens, condamnons les restrictions à la liberté religieuse dans les pays musulmans, nous ne devons pas seulement venir au secours des chrétiens là-bas, mais également intervenir en faveur des droits des musulmans chez nous. ».
Jean-François Mayer, de l’institut « Religioscope » de Fribourg en Suisse, énumère les raisons qui ont convaincu 57,5 % des Suisses de voter pour l’interdiction. On peut les regrouper en deux thèmes principaux :

1.  Une image extrêmement négative de l'islam est offerte quotidiennement par l'actualité : attentats, violences, manifestations d'hostilité à l'Occident, restrictions à la liberté religieuse dans les pays musulmans, prédications anti-occidentales dans des mosquées, apparition des burqa, etc. Le résultat est que l'islam est perçu comme une religion arriérée et violente. Il s’ensuit que sa visibilité est ressentie comme une agression. Certains vont jusqu’à estimer que l'islam n'a tout simplement pas sa place dans un paysage européen, sauf s'il accepte de rester très-très discret.

2.  Ce désir de visibilité est interprété comme une volonté de domination politique et d'islamisation. Des milieux idéologiquement hostiles à l'islam, avec une motivation séculière ou religieuse (chrétienne ou juive), articulent une critique systématique de l'islam et dénoncent un plan des islamistes de conquérir l’Europe par une invasion non militaire, qui sera suivie par l'imposition d'un système légal islamique. Ceci entraîne immanquablement des réactions de peur qui provoquent le besoin d’envoyer un signal fort pour enrayer ce mouvement.

La conclusion de J.F. Mayer donne à réfléchir : « Il ne fait guère de doute que, dans une bonne partie de l'Europe, des sentiments semblables et dans des proportions semblables s'exprimeraient s'ils en avaient la possibilité politique. Il y a aujourd'hui, à la charnière entre religion et politique, une véritable "question musulmane" en train de se construire en Europe, avec des formes diverses selon les pays (débats sur le foulard en France, controverses autour de la construction de mosquées en Allemagne, etc.) ». Et de conclure en froid sociologue : « Peu importe dans quelle mesure cette question est justifiée ou non: il faut admettre qu'elle existe et ne va pas disparaître de sitôt ».

Il pense qu’il faut maintenant s'attendre à une multiplication des frictions, d’autant plus que le comité d'initiative du vote populaire a déjà annoncé son intention de poursuivre son action sur des thèmes très porteurs tels que les mariages forcés, les excisions et la burqa. Nul doute qu’on imputera certainement ces pratiques, non à des cultures particulières, mais à la religion islamique même [1]. Et en Belgique, on assistera probablement à une pression accrue pour l’interdiction d’un autre signe visible de l’islam : le foulard !

Et le foulard ?!

Sans doute la peur de l’islamisme et les préjugés contre l’islam, sans parler de la pression de certains parents et de la concurrence entre les écoles pour recueillir les enfants de « bonne famille », ont-ils amené la plupart des écoles à interdire le foulard en feignant de le considérer comme n’importe quel « couvre-chef ». Je pense que ce fut une grande erreur psychologique, car cela a été éprouvé par la population musulmane comme une atteinte à sa religion, et cette humiliation provoque chez les adolescentes une détermination d’autant plus grande de le porter en dehors de l’école. Tous les plus beaux arguments théoriques invoqués contre le foulard me semblent  tomber à plat à partir du moment où l’on se rend compte que de telles mesures imposées de l’extérieur dans un domaine intime et religieux ne peuvent être que contre-productives. N’est-il pas profondément contradictoire d’invoquer la « promotion de la femme » en brimant celle-ci dans sa liberté ?  Ou « la séparation de la religion et de l’Etat » en demandant l’interdiction par l’Etat d’une pratique religieuse ?  Ou le « vivre ensemble » en imposant de cacher son identité culturelle ? Ou la « sauvegarde de nos principes démocratiques » en ne tolérant pas les signes religieux sous prétexte qu’ils seraient « ostentatoires » ? On se lamentera ensuite de la baisse des motivations des élèves pour l’école ! Ceux et celles que l’on veut « éduquer », commençons par les respecter dans leur identité culturelle et religieuse. On ne fait pas pousser une plante en tirant dessus ! Et cessons de prendre argument de la burqa qui est tout autre chose et qui, elle, n’est en effet pas acceptable !

Je sais que certains imams comme Tareq Oubrou à Bordeaux (ou Michaël Privot à Verviers) refusent la sacralisation qui a été faite du port de ce foulard qu’ils  voient comme une « recommandation non explicite » – et non une obligation stricte du Coran. Mais de tels imams sont encore très minoritaires et peu suivis par l’ensemble de la communauté. Par ailleurs, Oubrou lui-même ajoute que « exclure une fille de l’école, une femme de son travail, et donc de la société, à cause de ses choix vestimentaires personnels est contraire à la liberté : c’est une censure morale et une immixtion dans la vie intime des gens, bref un comportement indigne d’une grande civilisation ». [2]

En laissant les écoles interdire l’une après l’autre le foulard, on a créé une situation de plus en plus difficile à gérer par les rares écoles qui le permettent encore et qui concentrent de ce fait toutes les familles les plus rigoristes. C’est ce qui amène beaucoup à préconiser maintenant une interdiction générale comme en France. Mais il ne faut pas se le cacher, celle-ci sera perçue comme une nouvelle attaque contre la religion musulmane. Cela soulagera sans doute un peu ces écoles minoritaires, mais cela renforcera aussi la détermination des intégristes de créer des écoles musulmanes à leur image…  Et il est illusoire de penser que cela fera disparaître les problèmes pourtant invoqués pour justifier l’interdiction du foulard, tels que les cours sur Darwin ou la Shoah, ou la mixité pour la natation…

Entre une improbable autorisation générale et une interdiction générale, il faudrait absolument trouver une solution de compromis ! Pourquoi, par exemple, ne pas autoriser le foulard dans toutes les écoles à partir de la cinquième année du Secondaire, soit à l’âge où les jeunes filles sont  bien capables de faire leurs choix en toute liberté et maturité ? Ce serait une manière de montrer à la communauté musulmane qu’on entend respecter sa religion. Mais ce serait peut-être trop demander à tous ceux qui ne veulent aucun signe visible d’une conviction religieuse, et surtout pas islamique…

Que décideront les écoles dites catholiques ? Quelle idée se font-elles de leur souci proclamé de témoigner de l’évangile ? Dans ces questions, le plus important est certainement la qualité des relations avec les élèves. Une grande partie des problèmes sont en fait créés par des attitudes arrogantes, irrespectueuses ou paternalistes et les blessures ainsi créées durant l’adolescence laissent des cicatrices profondes. Au lieu de juger sans cesse les élèves, à partir de nos idées subjectives de l’entité abstraite « islam », il est essentiel de les aborder avec le plus grand respect. Mais peut-on vraiment respecter quelqu'un si on ne respecte pas sa liberté, ses convictions, sa culture ?

C’est bien l’exemple que nous a donné Jésus, lui qui dépassait les identités sociales, les interdits et les frontières mentales de sa religion juive pour aller à la rencontre en profondeur de chaque personne : de Zachée le collabo, de la Syro-phénicienne, du centurion romain, de la Samaritaine, etc. Lui qui réprimanda ses disciples qui voulaient punir les Samaritains qui avaient refusé de les recevoir - et étaient précisément méprisés par les Juifs pour raison religieuse. « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes » leur dit-il. Et nous, sommes-nous conscients de la mentalité qui nous habite, est-elle de jugement, de supériorité, ou est-elle de respect et de fraternité ?

Qu’il s’agisse de minarets, de foulards ou d’autres questions, n’est-il pas URGENT que tous ceux et celles qui veulent la paix prennent davantage conscience de la gravité de la dérive progressive vers un choc des civilisations et qu'elle ne sera jamais résolue en se mettant les uns contre les autres, mais seulement les uns avec les autres ?  On devrait multiplier les occasions de rencontres amicales toutes simples, rien de tel pour dissiper tous les clichés de l'ignorance mutuelle. De même, face aux discours systématiquement négatifs à l'égard des "autres", nous devrions être plus nombreux à parler d’eux et d’elles de manière positive et sans sentiment de supériorité. Et cela publiquement, même si on se fait alors traiter de naïfs ou de "vendus". Sinon, ce sont les discours négatifs qui l'emportent, de part et d’autre. Tous les faiseurs d’opinions ont à cet égard une énorme responsabilité.

Gardons-nous de vouloir défendre le christianisme comme une forteresse. Seul le témoignage d’un esprit vraiment évangélique pourra créer de la paix dans le monde et un nouveau visage d’Eglise et de société.

Philippe de Briey

Notes :
[1]  C’est un peu comme si on imputait au christianisme la pédophilie de certains prêtres

[2]  « Profession Imam » , Albin Michel, 2009,  p. 84 et 81.


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