Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

Frère Léonard

un cahier des charges en forme de ‘lettre ouverte’

Pierre Collet
Publié dans Bulletin PAVÉS n°22 (3/2010)

Cette "lettre ouverte" au nouvel archevêque a été rédigée pendant le mois de février 2010. Il semble bien que les premières décisions et prises de position d'André-Joseph Léonard n'enlèvent rien à son actualité, bien au contraire.

Vous comprendrez sans peine que nous vous donnions ce beau titre de frère, parce que c’est celui qui exprime le mieux ce que nous savons de l’attitude de Jésus et ce qu’il attend de nous, mais aussi parce que c’est celui qui complète le mieux celui de ‘Père’ que le même Jésus nous a demandé de ne pas utiliser entre nous. Mais vous devinerez aussi que cette précaution n’est pas sans signification pour ce que nous voudrions vous dire…

Votre récente désignation à la tête de l’archevêché a été interprétée de manières diverses comme on pouvait s’y attendre : surprise, demi-surprise, évidence… Nous ne répéterons pas ce qu’ont déjà dit avec à-propos beaucoup de nos amis, Gabriel Ringlet, Gérard Fourez, Jacques Meurice, Paul Löwenthal, Jo Bock, José Fontaine, Peter Annegarn et le CIL, etc. Sans oublier le très remarquable Au boulot, Monseigneur ! d’un ‘Collectif de jeunes chrétiens’. Nous nous reconnaissons dans leurs témoignages que nous avons mis en ligne sur notre site web liés à votre nom, ainsi que dans ceux qui ont été publiés dans le dernier numéro de L’Appel, particulièrement celui des prêtres liés au MOC, ou encore ceux de Jacques Vermeylen et de Michel Kesteman.

Au départ de ce que vivent en particulier la quarantaine de communautés de base de Wallonie et de Bruxelles, mais aussi des attentes des groupes que notre réseau ‘Pour un Autre Visage d’Église et de Société’ met en contact, nous tenons à vous faire part de nos espoirs et à tenter de conjurer par la même occasion toute illusion ou mauvais sort auquel, bien entendu, nous ne voulons pas croire.

Plus que par votre nomination, nous avons été surpris d’être informés tout de go de votre programme… Nous espérions – naïvement sans doute – qu’un programme d’action, quel qu’il soit, devrait être élaboré à partir d’une concertation, au moins d’une consultation… Contrairement à ce que d’aucuns continuent d’admettre, voire même d’affirmer avec conviction, nous pensons que l’Église a tout à gagner d’un fonctionnement réellement démocratique, et que c’est ainsi qu’elle sera plus fidèle à l’idéal de fraternité dont Jésus rêvait pour ses disciples. Dans cette optique, permettez-nous d’insister pour que les propositions du concile Vatican ii sur la subsidiarité, la concertation épiscopale, les conseils et consultations, deviennent enfin réalité. Ne commettez donc plus l’erreur de nommer vous-même quelque conseil presbytéral ou pastoral qui ne pourrait, au mieux, comme en un jeu de miroirs, que refléter toujours les mêmes idées, alors que l’urgence de solutions autres et nouvelles ne fait plus de doute pour personne.

Dans la foulée de cette ouverture à d’autres manières de comprendre et d’exprimer la foi chrétienne, il nous semble essentiel de promouvoir un sain pluralisme de fait et de droit. Répondant à la question de savoir si la ‘diversité’ dans l’Église de Belgique est encore supportable, vous évoquez d’emblée une menace de ‘dissensions’ et de ‘divisions’, « liées au péché de l’homme », reconnaissant – peut-être pour vous-même – que « l’on peut en être aussi soi-même responsable, parce qu’on a pris une attitude qui pouvait inutilement diviser ». C’est sans doute sur cette conception de l’unité de l’Église communion que nous aurons à nous entendre : la diversité est nécessaire et vitale parce que nous pensons que la foi doit habiter au plus profond du cœur des gens, si différents les uns des autres, et qu’elle ne peut dès lors que revêtir des expressions variées et liées à leur vécu.

En même temps donc que nous affirmons avec force notre attachement à l’universalité de l’Église, nous vous demandons de favoriser l’expression de son unité dans le plus grand respect des cultures, des histoires, et du vécu concret des communautés chrétiennes. Nous pensons en particulier à ce que vous dites, dans vos priorités, « d’une liturgie soignée dans la ligne de ce que demande l’Église, qui soit digne du mystère de Dieu et proche du cœur des gens » : à l’heure où l’on en est réduit à se compter lors des célébrations dominicales, il est grand temps de penser ‘participation’ plutôt que ‘liturgie soignée’, avec tout ce que cela implique de partage de la parole, d’égalité entre femmes et hommes, de créativité et de liberté… Nous pensons aussi au défi de la pénurie de prêtres qui rend plus difficile l’animation des communautés, et à la formation des prêtres qui vous a tenu tellement à cœur dans le diocèse de Namur : aurez-vous assez d’audace pour faire confiance à des laïcs, femmes et hommes, disponibles pour des tâches d’animation, tablant sur leur expérience de vie et de foi autant que sur leur expertise intellectuelle ou leur orthodoxie ? Nous nous souvenons avec émotion de ce que disait Pierre de Locht : « Le peuple chrétien ne peut pas devenir adulte si le prêtre reste le patron ». 

En tant que nouveau ‘primat’, vous recevrez sans aucun doute un écho médiatique appréciable et vous serez perçu comme le porte-parole des voix de tous les catholiques de Belgique ! Toutes les voix ? Les nôtres aussi ? Cette perspective ne peut qu’interpeller aussi celles et ceux d’entre nous qui n’habitent pas Bruxelles ou le Brabant.

Nous avons apprécié votre prudent diagnostic politique : « La Belgique est un pays de compromis. L’Église ne doit pas prendre d’initiatives, mais se couler dans l’évolution politique, et respecter ce qui est décidé par ceux qui en sont responsables. (…) Elle ne doit pas s’ériger en juge souverain de la politique. Mais elle doit participer aux débats de société. »

Il n’est évidemment pas question pour nous d’entrer dans le jeu de certains politiciens qui risquent de profiter de votre nomination pour durcir certains clivages et détourner ainsi l’attention de leurs propres responsabilités. À propos des questions morales très sensibles sur lesquelles vous ne manquez pas de vous exprimer assez souvent, nous n’hésitons pas à refuser la ‘ligne claire’ qu’on assimile trop facilement à la ‘doctrine’. Riches d’avoir rencontré l’expérience différente de beaucoup de nos concitoyens, nous ne pouvons plus nous prévaloir de détenir la vérité contre qui que ce soit : comme vous, nous estimons que la voix des chrétiens doit se faire entendre dans le débat social, qu’elle lui apporte un éclairage utile voire nécessaire, mais nous pensons surtout qu’elle doit être à son service, dans la recherche de réponses adaptées. « Le sabbat est fait pour l’homme… »

C’est aussi pour cette raison que nous ne pouvons admettre que la voix de l’Église de Belgique soit un simple copier-coller de la voix de Rome. Revendiquant avec conviction l’héritage de tous ceux qui ont fait le concile Vatican ii, nous croyons qu’une doctrine ne peut être vivante que si elle est réinterprétée de génération en génération, de culture en culture. Dans la fidélité à Jésus de Nazareth, nous sommes bien plus attachés à la dimension libératrice de son message qu’aux formulations doctrinales et morales qui deviennent si souvent des impasses ou risquent d’ériger des barrières entre nous. Pour que l’évangile ait une chance d’être entendu aujourd’hui, il doit redevenir un encouragement au bonheur, à la solidarité et à l’amour, dans le sens que Jésus avait si bien proclamé dans les béatitudes et si courageusement vécu jusqu’à donner sa vie.

Comme vous, nous ne rechignons pas à la tâche de rendre notre vie sociale et politique plus humaine et plus fraternelle. Accepterez-vous que cette charge et cette ‘mission’, nous les portions non seulement ‘comme vous’, mais ‘avec vous’… ? Et si oui, comment ferez-vous pour associer le Peuple de Dieu, les communautés chrétiennes, les groupes de réflexion et d’action institués ou non, aux prises de position de l’Église catholique que votre fonction vous amènera à rendre publiques ? Ce dialogue primordial et constant sera la pierre de touche de votre réception par beaucoup de chrétiens de Belgique. Il y va de notre dignité d’hommes et de chrétiens, car nous aussi, avec vous, nous sommes collectivement responsables de notre Église et de notre société.

Le 26 février 2010

Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :

Les membres du Comité de rédaction ont discuté et amendé ce texte longuement et à plusieurs reprises. Bien conscients que sa formulation reste imparfaite, mais désireux de manifester l’importance de la démarche, ils l’ont proposé au Conseil de PAVÉS. Ont décidé de le signer :

Philippe Liesse, Jean-Marie Culot, Jean Debelle, Édith Kuropatwa, Gisèle Vandercammen, Marie-Françoise Michot, Alain Fohal, Jo Bock, Jean-Loup Robaux, Marie-Astrid Lombard, Max Coupremanne, Édouard Brion, Liliane et André Denayer, André Degand, Jacqueline Cornette



retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux