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La transformation par le bas de l'Église catholique

C?line Béraud
Publié dans HLM n°120 (6/2010)

Sociologue et maître de conférences à l’université de Caen, Céline Béraud est l’auteure de “Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français”, Puf 2007, que nous avons présenté en son temps. L’ancrage français de cette nouvelle analyse ne nous a pas semblé un obstacle à sa publication chez nous. Un jour peut-être, un sociologue belge aura-t-il la bonne idée de l’adapter à nos propres statistiques. Mais l’intérêt immédiat et le fait que cette analyse soit restée assez confidentielle nous ont convaincus de vous la partager. [1]

Les vocations de prêtres se font rares. Pour faire vivre l’institution, l’Église fait de plus en plus appel à un nouveau personnel, diacres et laïcs, porteurs d’une autre façon d’exercer l’autorité. Une transformation restée silencieuse… jusqu’à présent.

La « crise des vocations » est un motif d’inquiétude déjà ancien pour l’épiscopat français. Elle présente depuis quelques années une telle acuité que l’on ne peut que se demander comment cette institution peut assurer sa survie alors que le corps de ses permanents les plus légitimes ne cesse de se réduire.

Alors qu’il y avait encore près de 32 500 prêtres diocésains en 1978, on n’en compte plus en effet que 12 000 en activité en 2007. Le renouvellement se fait attendre : on estime à 4500 le nombre de prêtres de moins de 65 ans à l’horizon 2014[2]. La moyenne d’âge atteint les 70 ans. Pour une centaine d’ordinations, il y a chaque année 700 à 800 décès… et une quinzaine de départs.

À l’échelon local, les chiffres sont encore plus éloquents. Ainsi, un jeune évêque, en poste depuis un an et demi lors de notre entretien, me disait avoir enterré dix-huit de ses prêtres et avoir dû gérer la défection de deux clercs de moins de 40 ans. Ajoutons qu’il n’avait, à l’époque, procédé à aucune ordination et que dans son diocèse la moitié des prêtres avaient plus de 75 ans.

Déclin de la pratique

Ayant souvent le sentiment d’être un peu « les derniers des Mohicans », les prêtres tendent ainsi à être effacés du paysage social. Les vocations relèvent désormais d’une étrangeté à laquelle répond aujourd’hui non plus tant un anticléricalisme virulent qu’une indifférence parfois teintée de curiosité.

Il est vrai que cette contraction et ce vieillissement du corps sacerdotal ont été accompagnés du déclin du catholicisme dans la population française. Alors que 7 Français sur 10 se déclaraient catholiques en 1981, ils n’étaient plus que 42 % en 2008. De même, seuls 9 % se rendent désormais à la messe au moins une fois par mois (17 % en 1981)[3]. La part des catholiques pratiquants semble néanmoins s’être stabilisée depuis quelques années (contrairement à celle des non-pratiquants dont le trend est toujours nettement à la baisse). De plus, les demandes adressées aux prêtres, au-delà du cercle réduit des fidèles les plus observants, sont encore étonnamment nombreuses, composites, parfois inattendues[4]. Ainsi, les personnes se déclarant sans religion affirment leur attachement aux cérémonies religieuses pour la naissance (32 %), le mariage (40 %) et le décès (55 %)[5]. Dans un pays de tradition catholique et alors même qu’une part importante des sans-religion en sont issus, ces mises en forme rituelle ont de grandes chances d’être catholiques.

De nouveaux acteurs

En dépit du faible nombre de candidats à la prêtrise et du caractère désormais minoritaire de la pratique régulière, l’Église catholique conserve une capacité de mobilisation, dont témoigne l’engagement d’un nombre croissant de diacres et de laïcs missionnés. En l’absence de prêtre, ces permanents d’un genre nouveau occupent désormais une place discrète mais indispensable au sein de l’Église. Ils font office d’aumônier, voire de curé, sans en porter officiellement le titre, ni en détenir toutes les prérogatives.

Les diacres peuvent prêcher, célébrer des baptêmes et des mariages. Par ailleurs, le concile de Vatican II (1962-1965), qui a réinventé le diaconat tombé en désuétude au Moyen Âge, a insisté sur sa vocation « au service ». Encore mal connus, on ne retient souvent des diacres que leur possible état matrimonial : des hommes en aube, proches de l’autel, qui peuvent avoir femme et enfants. Souvent, leur appartenance au clergé est ignorée ; ils sont alors présentés comme des ‘superlaïcs’. Parfois, ils sont décrits comme des officiants de second rang, moins bien formés que les prêtres. En tout cas, ils contribuent indéniablement à brouiller les frontières entre clergé et laïcat. On compte en France aujourd’hui environ 2100 diacres permanents ; contre 650 en 1991.

Formés par l’Église, les laïcs, qui exercent de manière permanente des fonctions spirituelles et dont une part importante est détentrice d’un contrat de travail, sont missionnés par leur évêque pour une durée de trois ans renouvelable une ou deux fois. Pourtant, l’appellation de ce groupe composite, mêlant salariés et bénévoles, n’est pas stabilisée, et son importance quantitative grossièrement estimée. Le nombre de ceux qui sont salariés s’élèverait en 2005 à 5000, contre 800 douze ans auparavant. La part des femmes, 90 % environ (pour la plupart des mères de famille), est encore plus élevée que chez les pratiquants où elle est pourtant déjà remarquable[6]. En paroisse, elles sont en charge de la catéchèse, préparent la liturgie dominicale, les baptêmes et les mariages, accompagnent les personnes en deuil, voire conduisent des funérailles. Dans les aumôneries (de l’enseignement, des hôpitaux, des prisons, des armées…), elles sont de plus en plus nombreuses. On les retrouve également parmi les plus proches collaborateurs des évêques. Pourtant, elles ne jouissent ni d’une pleine reconnaissance statutaire, ni d’une réelle visibilité liturgique.

Les réactions de la hiérarchie

Face à ces transformations, la posture de l’Église paraît étonnamment figée, voire fixiste. Son discours officiel semble assez largement se résumer à un appel à la prière en faveur d’un regain des vocations sacerdotales.

Alors qu’ils ont pu être l’objet de contestation, les deux verrous d’entrée dans la prêtrise que sont le célibat et le genre n’ont pas sauté, et sont même réaffirmés avec force. Non seulement les modalités d’accès à la prêtrise sont inchangées, mais la « licence » sacerdotale exclusive sur certains actes rituels est également régulièrement rappelée et maintenue : le prêtre demeure ainsi un médiateur incontournable dans la répartition de certains biens de salut (pardon des péchés, onctions des malades et célébration de l’eucharistie).

En outre, plusieurs documents disciplinaires romains sont venus repréciser la place et le rôle des uns et des autres. La centralité du prêtre (sa spécificité irréductible et sa prédominance) se trouve mise en avant, alors même que dans un pays comme la France les communautés catholiques font l’expérience de sa rareté.

Mais en dépit de la fixité de l’ecclésiologie et de la théologie des ministères, sur laquelle Rome s’arc-boute, des recompositions émergent venant d’en bas. Profitant des « zones d’incertitudes », les non-prêtres « bricolent » des rituels (parfois avec la complicité de leur curé, voire de leur évêque) et s’attachent à renforcer leur légitimité en ayant recours à des registres variés (charisme personnel, compétence, expérience). Ils contribuent par là à reconfigurer, non sans flottements ni tensions, les modes d’exercice de l’autorité au sein du monde catholique.

Le « Comité de la jupe »

En 2007, ces changements ont pu être qualifiés de silencieux. Ils sont en effet peu accompagnés par un discours de la hiérarchie. En outre, ils ont eu lieu au cours d’une période marquée par la disqualification de la contestation dans le catholicisme français. Différentes « affaires » récentes ont néanmoins suscité des prises de paroles. L’une d’entre elles a touché à la place des permanentes laïques dans la liturgie. Ainsi, en novembre 2008, Mgr Vingt-Trois (archevêque de Paris et président de la Conférence épiscopale) a affirmé à leur propos : « Le plus difficile est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. » Des catholiques des deux sexes ont exprimé leur indignation. La mobilisation a conduit à la création très médiatisée d’un « Comité de la jupe », qui vient de donner naissance à la « Conférence des baptisés de France », qui se présente comme un espace d’expressions et de débats au sein de la sphère ecclésiale. On peut donc s’interroger sur le devenir du régime de faible conflictualité qui a caractérisé les transformations récentes du catholicisme français.



C?line Béraud - France)

Notes :
[1] Article reproduit avec l’aimable autorisation de Sciences Humaines qui l’a publié dans son n° 18 de mars-avril-mai 2010 :

http://www.scienceshumaines.com/la-transformation-par-le-bas-de-l-eglise-catholique_fr_25027.html

[2]  Projections de La Croix, 29 mai 2004.

[3]  Source : EVS. Voir les contributions de P. Bréchon et de C. Dargent in P. Bréchon et J.-F. Tchernia (dir.), La France à travers ses valeurs, A. Colin 2009.

[4]  Voir C. Béraud, Le Métier de prêtre. Approche sociologique, L’Atelier, 2006.

[5]  Source : EVS, 2008.

[6] Claude Langlois, “Toujours plus pratiquantes”. La permanence du dimorphisme sexuel dans le catholicisme français contemporain, Clio, n° 2, 1995.




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