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L’Église ne peut pas continuer comme avant

Philippe de Briey
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Quand Rome va-t-elle renoncer à ce lien entre prêtrise et célibat, entre prêtrise et sexe masculin ? Et si les catholiques se réunissaient en dehors des cadres établis ?

Face à l’attitude de la hiérarchie devant les cas de pédophilie, je vous soumets quelques questions.

Ne devons-nous pas nous interroger : comment tout cela a-t-il été possible ? Mgr Léonard ne pense pas qu’il y ait de problème structurel à l’origine de ce terrible dysfonctionnement. Sans doute se dira-t-il que, puisqu’il y a plus d’entrées au séminaire cette année, il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure.

Allons-nous laisser maintenir les choses comme elles sont : prêtrise réservée aux célibataires et aux hommes, absence (ou presque) du laïcat masculin et féminin dans les instances de décision, rang prééminent des “Monseigneur” avec leur mitre et crosse aux cérémonies, soumission totale à tout ce qui vient de Rome, notamment dans les nominations d’évêques (et sans limite de temps, sauf l’âge de 75 ans), etc. ?

Gabriel Ringlet souligne avec raison que la perte de crédibilité de l’Église est fortement liée à l’étroitesse d’esprit de la hiérarchie dans toutes les questions liées à la sexualité. Peut-on vraiment penser que ceci n’est pas lié au célibat (et à la quasi-absence des femmes dans les instances de décision) ?

Gabriel Ringlet nous demande instamment, nous les laïcs croyants, d’oser prendre la parole publiquement. Sans quoi rien ne bougera vraiment, tant les défenses intérieures inconscientes sont fortes. Il s’agit de prendre enfin au sérieux ce que Jésus a dit : “Ne vous faites pas appeler “Père” ou “Maître”, car vous n’avez qu’un seul Père et un seul Maître et vous êtes tous frères.” Or, c’est ce que font, me semble-t-il, les donneurs de leçons de Rome ou d’ici. Quand allons-nous oser leur dire tout haut : “Stop, s.v.p., ça suffit, cessez de vous croire au-dessus des autres et de vous cramponner à votre pouvoir reçu de Rome sans aucun contrôle démocratique” ?

C’est pourquoi je me suis senti poussé à envoyer quelques réflexions. J’espère surtout que cela pourra encourager d’autres à oser exprimer publiquement à leur tour, comme chrétiens, ce qu’ils pensent, là où ils le peuvent.

Pourquoi cet acharnement contre l’Église catholique depuis quelques années ? Je pense que les gens en ont marre des donneurs de leçons, des discours idéologiques, théoriques et sans nuances, surtout sur les questions touchant à la vie : contraception, avortement, cellules souches, euthanasie, etc. Quel rigorisme ! Que de condamnations ! Cela va jusqu’à interdire aux divorcés remariés de communier au Corps du Christ ! “Ne vous posez pas en juges, afin de n’être pas jugés, disait Jésus, car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera, et c’est la mesure que vous utilisez qui servira de mesure pour vous” (Mt 7,1). C’est bien ce qui se passe aujourd’hui, une nouvelle fois : la hiérarchie est jugée à l’aune de ses propres condamnations.

D’où vient ce discours absolu, intolérant ? La réponse paraît claire : l’Église catholique s’est proclamée la seule vraie religion, la seule vraie représentante de Jésus-Christ (le cardinal Ratzinger refusait même de reconnaître les protestants comme d’authentiques Églises), et Rome se croit investie d’une sorte d’infaillibilité : pas question donc de reconnaître des erreurs passées ou présentes.

Un autre facteur me semble aggraver cette déviation : cette doctrine est élaborée dans l’enclos du Vatican, seulement par des hommes célibataires. Or, ce célibat, parce qu’il n’y a pas d’autre choix pour devenir ou rester prêtre, est souvent mal vécu. Je pense qu’alors, cette frustration psychologique inconsciente favorise, comme une compensation, un discours très rigoriste et très focalisé sur ce qui touche à la sexualité. Un discours où la hiérarchie tient très fort à garder un monopole et est peu disposée à écouter les avis de la base.

Et même s’il est vrai que la pédophilie n’est pas nécessairement liée au célibat, il me semble difficile de nier que le célibat mal vécu accroît les tentations de diriger les pulsions sexuelles sur des enfants.

L’Église vient d’annoncer comme une très bonne nouvelle l’entrée au séminaire de nouveaux candidats à la prêtrise : un à Tournai, deux à Liège, trois à Namur, et cinq francophones pour l’archidiocèse. “Pas de crise pour les séminaires du pays”, titre Cathobel ! Il faut y ajouter, il est vrai, huit candidats étrangers. Les séminaristes seront désormais tous rassemblés au séminaire de Namur et non plus à Louvain-la-Neuve. Ces formations en serre chaude vont-elles nous donner des prêtres à la spiritualité bien incarnée pour le temps d’aujourd’hui ? Connaissant le rigorisme de plusieurs jeunes prêtres, on peut se poser la question.

Et surtout, jusques à quand va-t-on continuer comme avant ? Quand va-t-on se décider à prendre à bras le corps la question des ministères et notamment à l’ouvrir aux personnes mariées, hommes ou femmes ? Quand va-t-on renoncer à ce lien obligatoire, tellement malsain, entre prêtrise et célibat, comme à celui entre prêtrise et sexe masculin ? Les prêtres orthodoxes mariés, les femmes pasteurs donnent tout à fait satisfaction, il n’y a plus que l’Église catholique pour freiner des quatre fers face à l’évolution du temps. Cette façon qu’a la hiérarchie de se cramponner, comme à une bouée de sauvetage, à une obligation datant du Xe siècle, est d’autant plus incompréhensible que Jésus lui-même ne l’a nullement imposée à ses apôtres.

Nous les laïcs, hommes ou femmes, allons-nous nous résigner à ce décalage complet de notre Église par rapport à notre temps ? La résignation est bien le contraire de la foi et de l’espérance. Je sais : tout dépend tellement de Rome, mais si l’on se dit cela dans chaque pays, quand viendra le renouveau ? Pour empêcher nos chefs de nous conduire droit dans le mur, le temps n’est-il pas venu d’oser contester publiquement, transgresser, cesser de toujours obéir ? Sans doute faudrait-il surtout créer des occasions de nous réunir en dehors des cadres établis, pour libérer la parole et inventer des manières nouvelles de partager nos questions, nos convictions, nos engagements dans la société. “Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux.”

Je terminerai par cet extrait d’un bel éditorial de Frédéric Lenoir[1] dans le dernier “Monde des religions”; commentant une parole de Paul Ricoeur “la chrétienté est morte, vive l’Évangile !, puisqu’il n’y a jamais eu de société authentiquement chrétienne”, il écrit : “La crise profonde des Églises chrétiennes est peut-être le prélude à une nouvelle renaissance de la foi vive des évangiles (...) Une foi qui sera aussi une force de résistance farouche aux pulsions matérialistes et mercantiles d’un monde de plus en plus déshumanisé. Un nouveau visage du christianisme peut donc émerger sur les ruines de notre “civilisation chrétienne”, dont les croyants attachés à l’Évangile plus qu’à la culture et à la tradition chrétienne n’auront aucune nostalgie.”

Philippe de Briey

Notes :

[1] http://www.fredericlenoir.com/web/content/view/244/65/lang,fr/


Article publié dans La Libre du 21 septembre 2010





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