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Pour des communautés responsables :

le droit canon est à leur service

Rik Torfs
Publié dans Bulletin PAVÉS n°24 (9/2010)

Avant d’aborder la question des communautés indépendantes, je voudrais la situer par rapport à deux réalités essentielles, le pluralisme et les Droits de l’Homme.

Depuis le concile Vatican II, il est beaucoup question de pluralisme au sein de l’Église catholique : de facto – pas en droit, bien sûr – il y a en effet plusieurs manières très différentes d’être catholique. Pour l’autorité, cela fait naturellement problème. Je propose de distinguer trois types de réaction face au pluralisme chez les dirigeants ecclésiastiques.

Le premier modèle : mettre de l’ordre dans les affaires ! Tout le monde doit marcher dans la même direction : les Pays-Bas connaissent bien ce modèle depuis la nomination de Mgr Gijsen à Roermond au début des années ‘70. Longtemps ce fut le modèle unique, et la seule alternative pour ceux qui ne voulaient pas se laisser embrigader était de quitter l’Église.  

En Belgique, le modèle Danneels a fait recette pendant de longues années. Il fait une séparation entre la foi et l’Église. Laissez l’Église à ceux qui sont chargés de la diriger et ils vous laisseront tranquille. Mais cela signifie naturellement qu’il existe encore une sorte d’église formelle, que le bâtiment est toujours debout, mais qu’il est vide, et que les gens qui devraient le visiter sont occupés à d’autres choses et pas du tout à contrôler le bâtiment. Ce modèle produit une véritable aliénation entre l’Église et la foi. C’est peut-être bien une attitude typiquement belge, ou alors latine. Des Hollandais n'accepteraient jamais cette schizophrénie. Ils s’opposent parfois à une loi, mais s’il le faut, ils sont prêts à l’accepter contre leur gré. Tout autrement qu’un Italien. Les Italiens, par exemple, ont du respect pour la loi, et celui qui respecte la loi se dispense de l’observer…

Je ne sais pas si ce modèle Danneels est tellement meilleur que le modèle Gijsen et consorts. Dans les deux cas, on n’a que du mépris pour ce que les croyants veulent vraiment, soit en les ignorant et en les chassant, soit en les laissant tourner en rond de peur qu’ils ne s’en prennent à l’institution.

On peut imaginer aussi un troisième modèle qu’utiliserait, me semble-t-il, l’archevêque actuel de Malines-Bruxelles, André-Joseph Léonard, mais il est possible que je me trompe. On craignait dans un premier temps que son arrivée provoque un durcissement, comme on l’a vu ces dernières années aux Pays-Bas. Mais il semble qu’il ait compris qu’il n’y avait plus moyen de résoudre certains problèmes en interne et qu’il fallait faire confiance à l’expertise de certains croyants de l’extérieur, y compris de ceux auxquels il n’aurait pas fait confiance spontanément. Il est possible que les récentes révélations d’abus sexuels y soient pour quelque chose.

Ensuite les Droits de l’Homme dans l’Église catholique... Ils existent bel et bien dans le droit canon de 1983, même s’ils y portent un autre nom, celui de « obligations et droits de tous les croyants ». Il y est question entre autres de la liberté d'expression, du principe de légalité, mais aussi de la liberté d’association, etc. C’est ainsi que, la semaine passée, j’ai dû prendre la défense d’un évêque violemment attaqué – et à juste titre – pour des faits de pédophilie. D’accord pour sa démission, évidemment. Mais pourquoi réclamer sa réduction à l’état laïc ? J’ai dû répéter à plusieurs reprises : non, il faut respecter les règles, même si le coupable est un évêque…   

Le droit est de toute façon une nécessité du vivre-ensemble : alors comment utiliser ce droit – et donc le droit canon – pour se forger son opinion ? Parmi d’autres possibles, voici sept pistes de réflexion à ce sujet.

1. Le droit d’association. Le code de 1983 reconnaît le droit à l’association (CIC 215). Il fait la distinction entre une association publique, une association privée et une association de fait. Et les croyants ont le droit de créer l’association qui leur convient. Savez-vous que l’association de fait prévoit même que des non-catholiques peuvent en faire partie ? Dans certaines situations, cela peut être un avantage.

2. Le droit d’initiative. Les croyants ont le droit de prendre des initiatives (CIC 216) à l’unique condition qu’elles ne menacent pas les structures existantes. Mais que signifie cette condition si la structure existante est trop affaiblie, comme c’est le cas de certaines paroisses ? On ne détruit pas ce qui n’existe plus… Au fur et à mesure que les structures traditionnelles fonctionnent moins bien, les croyants voient donc grandir leur droit à prendre des initiatives.

3. Le sacrement ‘reconstruit’ – à défaut d’une appellation plus adéquate. L’Église catholique connaît sept sacrements qui sont très règlementés par le code : qui peut les administrer, quand sont-ils valides, etc. Il y a de plus en plus de situations où il est devenu impossible d’administrer les sacrements à cause de la pénurie de ministres, je pense par exemple à l’onction des malades. C’est ainsi que se développe la tendance à inventer des rites qui ressemblent aux sacrements mais qui n’en sont pas : des sacrements ‘reconstruits’. Tant qu’ils ne prétendent pas être des sacrements ‘valides’, il ne devrait pas y avoir de problème avec le droit canon…

4. La coutume contre la loi. Car certaines pratiques contredisent les règles, et si on est alors dans l’illégalité, c’est pourtant légitime : on peut enfreindre la loi… Encore une bonne nouvelle que vous ignorez sans doute : le code prévoit qu’une coutume qui va contre la loi obtient force de droit après trente ans. Prenons l’exemple de laïcs qui font l’homélie : les évêques peuvent protester au nom du canon 767, et la communauté répondra que c’est une habitude bien ancrée et donc que le droit le permet. Mais il y a une restriction quand même, ces coutumes ne sont pas admises quand le ‘droit divin’ est en cause. Par exemple, depuis 1994 et la lettre Ordinatio Sacerdotalis, il est de droit divin que les femmes ne peuvent pas être ordonnées prêtres, comme si Dieu avait vu clair enfin à cette date sur cette question… Je pense que c’est une piste intéressante, surtout au niveau local.

5. Les lacunes dans la loi. Alors que pour certains cette situation est une source d’insécurité, il faudrait plutôt voir dans l’absence de loi une occasion et un espace de liberté. C’est l’argument qu’a utilisé récemment pour se défendre Ruud Huysmans, coupable selon son évêque d’enfreindre la loi du célibat par l’astuce du ‘geregistreerd partnerschap’ - un système de reconnaissance légale de la cohabitation. Quelque soit le jugement moral à porter là-dessus, je trouve important de souligner qu’il existe plus souvent qu’on ne croit un espace de liberté non couvert par le droit.

6. Le baptême et l’appartenance à l’Église. Pour l’Église catholique, le lien entre les deux est très strict, l’un ne va pas sans l’autre. C’est un point qui est souvent discuté ces derniers temps, en particulier à la suite des scandales d’abus sexuels : un certain nombre de gens qui ne veulent plus avoir à faire avec cette Église demandent à être ‘débaptisés’… Impossible, leur répond-on, le baptême imprime une marque indélébile ! Pourtant, dans les années ‘40 déjà, le théologien Karl Rahner avait tenté de montrer que les deux pouvaient être séparés, car le caractère d’adhésion et d’appartenance ne peut jamais être automatique. Peut-être qu’en situation de crise, comme aujourd’hui, cette distinction aurait plus de chance d’être entendue.

N’empêche, tant que ce n’est pas le cas, l’appartenance à l’Église par le fait du baptême reste une garantie. Un évêque aurait beau vous dire : mais en disant, en faisant cela, vous n’êtes pas catholique ! Vous pourrez toujours répondre : vous vous trompez, j’ai été baptisé… Quelles que soient les sanctions que peut prendre l’autorité, elle ne pourra jamais aller contre cette appartenance radicale : profitons donc de cela pour suivre notre chemin.

7. Le droit pénal ecclésiastique. Il existe évidemment, et longuement, du n° 1311 au 1399. Mais il y a une différence significative par rapport aux autres codes profanes : même si toutes les raisons existent pour punir quelqu’un – l’existence du délit, les preuves, la responsabilité de la personne – on n’est pas obligé de punir. Ce devoir compulsif de punir qu’on trouve dans la justice civile est totalement absent du code. En outre, il existe dans le droit canon une règle concernant la non responsabilité, inculpability, qui est très généreuse. Il y a toujours bien une raison qui justifie une réduction de peine…

En conclusion, je voudrais résumer ce que j’ai voulu dire. Il ne vous faut rien attendre de l’autorité pour suivre votre cœur et vos convictions. Votre chemin, c’est vous qui devez le chercher. Ce n’est pas dans les bureaux du Vatican ou du diocèse que vous trouverez les idées pour quelque renouveau que ce soit. Mais quand vous avez fait vos propres choix, quand vous êtes parvenus à mettre sur pied une communauté locale vivante, quand vous pouvez arriver à cela avec votre propre créativité, votre foi, votre savoir, alors il n’y a plus aucun problème pour expliquer à un évêque que ce que vous faites convient parfaitement à l’intérieur du système dont ils pensent être les responsables.


Rik Torfs

Notes :

résumé à partir du texte néerlandais par P. Collet

www.marienburgvereniging.nl/upload/StudiedagTorfs.pdf

Voir aussi autour de cette rencontre :

Quelques conseils pratiques
Histoire de la Dominicusgemeeste à Amsterdam







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