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« Les Frênes» à Warnach

Michel Habran
Publié dans SONALUX n°74 (9/2010)

A Warnach, depuis 30 ans, une communauté installée dans une ancienne ferme propose une démarche spirituelle inspirée de Marcel Légaut. Impliquée dans la pastorale paroissiale des alentours, elle constitue peut-être un laboratoire intéressant pour les communautés chrétiennes de demain

Située au Nord du parc naturel de la Haute-Sûre entre les voies rapides E25 et N4, la petite localité de Warnach, commune de Fauvillers, passe inaperçue. Sans doute d'origine celtique, très fleurie en été, elle abrite un marché de Noël dans la pure tradition germanique, très fréquenté. Au détour du village, une jolie route reliant Warnach à Tintange jouxte une réserve ornithologique. Lors d'un joyeux repas de cochonnailles organisé le week-end le plus proche de sa fête, St Antoine, patron du village, reste un peu abasourdi par son chant entonné par la foule des participants.

Au cœur de la localité, «LES FRÊNES»[1] une «maison» avec des espaces aux destinations variables : zones personnelles, infrastructures d'accueil, dortoirs et chambres privées, cuisine et hall-auberge, bibliothèque, ateliers, jardin de méditation et au centre de ce bel ensemble la chapelle. Les trois temps de prières et d'eucharistie quotidiens rythment la journée et sont des moments forts pour se nourrir de la Parole et du Pain. « A la longue, une pratique spirituelle qui passe par des temps de prière personnelle et communautaire, ça me transforme. Aujourd'hui, je ne serais pas ce que je suis sans ce chemin de spiritualité. Comment marcher el la suite du Christ et découvrir qui il est ? Nous sommes ici convaincus que l'avenir de l'Eglise se fera par un renouveau spirituel. La vie spirituelle est, pour nous, une stratégie pastorale», clame frère Philippe.

Propre aux « FRÊNES », ce chemin est marqué par une articulation solide entre 4 œuvres « qui sont notre manière de faire de la pastorale à partir de notre maison. Il y a comme une sorte de vase communicant entre les « FRENES» et les paroisses. Ces quatre axes sont notre arrière-fond qui irrigue et sous tend notre vie et nos activités ».

La poésie

Considérée, certes, au sens très large. Elle est création, art et artisanat car elle est tout à la fois regard et action conjuguées.

Beauté et spiritualité s'accordent bien comme vecteurs d'humanisation.

C'est un domaine que l'Eglise d'aujourd'hui a complètement déserté mais c'est une Voie que l'équipe des « FRENES» a choisi de réemprunter...

«Ainsi, commente frère Philippe, pour la catéchèse des jeunes, nous essayons d'organiser des animations d'où transpire la poésie comme nous la comprenons. Par exemple, nous visitons chaque année à Clairvaux une exposition-photos de visages humains à partir desquels nous visons la découverte de la variété, de la réalité et de la beauté de la personne humaine. »

Et une strophe est là jetée sur le papier comme pour proclamer, en un poème, la résonance de « créations» :

Au regard qui s'éveille, tout est poème

A la main qui travaille, tout devient beau

Au cœur qui aime, tout devient présence

A l'oreille qui écoute, tout silence devient musique

A la gorge qui chante, tout l'univers répond

Au méchant et à l'endormeur la poésie fait la nique.

La prière

Risquer la rencontre et la contemplation du Christ par le biais de l'Esprit priant en chacun, voilà bien de quoi réveiller tout le monde de ses sommeils et endormissements. La répétition dans la prière est une manducation qui s'apparente à tous les travaux et à toutes les tâches. Philippe ne s'en cache même pas : « Moi quand je vais à la chapelle pour prier, je vais au boulot ». La prière est un travail et elle prend du temps.

Le service

Le frère humain est en tenue de travail pour ressembler à ce Dieu «très bas» qui convoque tout le monde pour servir chacun à son tour.

Dans l'humanité, servir c'est faire œuvre de guérison, c'est permettre tous les recommencements, c'est refuser de manger tant que mon frère a faim, de boire tant que mon frère a soif.

A chaque humain, un toit, du pain, de l'eau, des légumes et des tisanes, un vêtement, un banc à l'école, un outil... et la prière.

La re-nature.

A l'instar de Jean-Marie PELT[2] qui l'inspire, l'équipe des « FRENES» perçoit bien la dimension globale atteinte aujourd'hui par les défis de l'écologie et les questions d'environnement.

Et puis, comment résister à la vague de surconsommation voire de l'ultra consommation frénétique?

Par ailleurs, le néo-libéralisme avec tous ses conditionnements, son conformisme idéologique, ses déterminismes qui aliènent la liberté et la responsabilité humaines, implique la primauté de l'argent. En paraphrasant Christian BOBIN[3], frère Philippe tonne : « Pendant des siècles, du Moyen âge au 17e siècle, c'est Dieu qui a occupé la première place avec tous les dégâts que l'on sait, maintenant que Dieu a « disparu », c'est l'argent et la finance qui l'ont remplacé et les dégâts ne sont certes pas moindres ».

Oui, décidément, on pense ici qu'il est urgent de signer un nouveau contrat avec la nature en remettant celle-ci à la place qui lui revient et en cultivant (c'est le cas de le dire) le souci et le respect du vivant dans toutes ses formes.

L'homme est un fruit de la nature et n'est-il pas gravement en danger si la nature se délite?

Voilà maintenant 31 années que ce projet de recherche communautaire, impulsé par Philippe, Roger et Paul a vu le jour.

La Communauté est constituée aujourd'hui de deux prêtres et de deux couples avec enfants. Puis, il y a tout un réseau, la Fraternité, d'une quarantaine de personnes qui se raccrochent à la maison.

Au-delà encore, des animations, des retraites, des rencontres ou colloques, se déroulent dans ce lieu tout à fait adéquat et mis à disposition pour la réflexion, la formation ou le débat et se joignent, pour l'occasion, à la vie de la Communauté.

Chaque année, un chantier et une récollection d'été sont mis sur pied durant la seconde quinzaine d'août. C'est l'occasion pour les inscrits à ces activités d'expérimenter et de partager la vie communautaire. Un programme adapté et sur mesure est concocté à l'intention des plus jeunes.

Il y a aussi les nombreux amis qui font signe de temps en temps et qui tissent ainsi les liens d'une grande famille.

Enfin, « La lettre des Frênes» assure, notamment à Pâques et à Noël, un liant réticulaire et donne des nouvelles de la maison aux abonnés.[4]

La Communauté est ouverte et sous certaines conditions de participation et d'implication concrète, il est possible de s'y intégrer après un temps de cheminement et de discernement de deux ans.

 

Au tout début, après l'acquisition de la vieille ferme en 1979, il a fallu consacrer une part importante du temps quotidien à sa restauration. Avec l'aide de bonnes volontés, intéressées ponctuellement par la vie et le travail communautaires, elle a nécessité, durant une dizaine d'années, des aménagements nombreux avant une inauguration officielle en 1990.

Comme initiative sociale, un atelier de restauration de vieux meubles a permis à des personnes en marge et en décrochage sociétal de trouver espoir et de reprendre pied.

Puis est venue la demande diocésaine d'une implication plus directe dans la vie paroissiale des communes des alentours dont Martelange et Fauvillers.

« Il n’y a plus de curés dans les environs, nous sommes les seuls et notre première préoccupation a été de faire fonctionner un secteur, une région.

Les petites communautés rurales ça devient difficile à gérer et il a fallu le faire comprendre. On ne célèbre d'ailleurs plus partout ni tout le temps! » Le secteur pastoral de la Haute-Sûre fait partie du doyenné de Bastogne et compte une douzaine de paroisses et chapellenies à côté de 5 autres secteurs. Il est piloté par une équipe pastorale « ad experimentum ».

« En plus, nous, on ne croit plus à aucun système d'Église. Demain, les chrétiens seront les gens qui auront rencontré des personnes, qui les auront titillés en les invitant à faire un chemin spirituel personnel et communautaire. La chrétienté est bien finie, mais il reste encore des structures, des ramifications y compris dans nos réflexes. On ne « quitte pas» l'Eglise et le pouvoir ecclésiastique comme ça! Mais mort au cléricalisme! Ne confondons pas religion, foi et Evangile. La religion n'est qu'un emballage qui aide à porter les deux autres. Historiquement peu de gens ont vécu l'Evangile, mais beaucoup ont été religieux», explique frère Philippe.

Il constate aussi que bien des prêtres ne sont pas heureux parce qu'ils prêchent la bonne parole dans le désert. On le sent bien, les FRENES ne sont plus du tout dans cette perspective d'annonce-là. Et Philippe de confier : « Je ne me suis jamais senti très curé ». La communauté a effectué un tournant. Elle veut proposer une autre approche, « en petit « laboratoire ». Etre communautaire, aujourd'hui, c'est être à contre-courant du modèle individualiste dominant qui percole jusqu'au zapping personnel vers les convictions et les religions.

Pour le moment, l'Eglise va mal. Et dans bien des domaines, son passé ne plaide pas pour elle. .

« Oui, c'est vrai ; mais il ne faut pas oublier de remettre les événements dans leur contexte. Le regard des chrétiens des prochains siècles sera peut-être aussi terrible sur nous-mêmes. Moi, j'ai un a priori favorable, car c'est ma « mère» quand même! Mais face aux affaires, au raidissement et au centralisme de Rome, les gens n'adhèrent plus. Rome a peur. Il faut renaître, relire les Evangiles et entendre la Parole pour une actualisation du message ». Là, j'ai bien perçu que frère Philippe tentait de me convaincre car, ajoutait-il, « La société va mal aussi.»

Comme Marcel LEGAUT[5], «Les Frènes» sont les promoteurs d'une spiritualité à trois niveaux : connaissance de soi, présence à Dieu et présence à l’autre. Ces niveaux, ils veulent les articuler entre eux pour qu'ils se confortent mutuellement... avec ce quatrième niveau d'une urgente actualité, présence à la terre-nature.

Toute une démarche !

Michel Habran

Notes :

[1] Les Frênes Communauté, 43, Warnach·- 6637 FAUVILLERS. Tél : 063 60 12 13 les.frenes@skynet.be

[2] « La société future devra réduire la domination absolue de l'économie et de la technologie qui menace de ravaler l'homme au rang du producteur-consommateur passif au profit de l'écologie, de l'éthique, du monde de la culture et de l'esprit, condition indispensable à l'épanouissement d'une vraie qualité de vie ». L'homme re-naturé. Le Seuil.

[3] Les Ruines du Ciel. Gallimard.

[4] Pour recevoir « La lettre », il suffit de verser 5 EUR au compte des Amis des Frênes en indiquant correctement son adresse. Code IBAN BE65 2670 5025 3796 Code BIC : GEBABEBB
[5] Marcel LEGAUT, Intériorité et engagement. Aubier





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