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Violence et religion

Jean-Claude Ravet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Il y en a qui voient dans les religions une immense source de violence au point où si elles disparaissaient, le monde ne s’en porterait que mieux, selon eux. D’autres, au contraire, les envisagent comme d’indispensables artisanes de paix. Tous ont en mémoire une longue liste d’événements – anciens ou récents – pour corroborer leur jugement. D’un côté, des actes de violence inouïs, abjects, barbares, et de l’autre, des témoignages admirables de solidarité, de compassion, de résistance héroïque au mal – tous faits au nom de Dieu. Ainsi, les religions sont capables du pire comme du meilleur. Mais à quoi puisent ces extrêmes : le pouvoir de fomenter la haine, d’humilier, de dominer, et celui de générer la bonté, l’amour, l’entraide?

Le regard se porte d’abord naturellement sur les textes sacrés des grandes religions. Or, ce qui frappe, c’est l’immense bonté qui s’en dégage : le Dieu des humiliés de la Bible, le Dieu des pauvres et des opprimés des Évangiles, le Dieu miséricordieux du Coran, et les devoirs de solidarité, de partage et de justice qui en découlent. « Croire que Dieu peut ordonner aux hommes des actes atroces d’injustice et de cruauté, c’est la plus grande erreur qu’on puisse commettre à son égard », écrivait carrément Simone Weil dans sa Lettre à un religieux.

Cependant, on pourra aussi trouver des passages belliqueux, les citer hors contexte ou leur donner une importance qu’ils n’ont pas. À cela s’attellent autant les pourfendeurs de « l’illusion religieuse » que les fanatiques et fondamentalistes de tout poil. Mais les uns comme les autres prennent alors le contre-pied de la longue tradition herméneutique qui rappelle qu’un texte sacré doit être lu en gardant présent son contexte et son prétexte. Celui-ci est enchâssé dans l’histoire et il répond à une attente qui a pour enjeu la condition humaine. C’est que la première parole de Dieu, comme le rappelait entre autres saint Augustin, c’est la vie – personnelle et collective – et l’histoire. C’est en elles que Dieu parle d’abord. Ne pas tenir compte de cela, c’est faire d’un texte sacré « une idole », au sens que leur donnaient les prophètes bibliques, c’est-à-dire une chose morte qui se substitue à la vie et à la conscience morale, et soumet l’existence à un pouvoir inhumain écrasant. C’est faire d’un texte porteur de vie, une chose qui porte la mort – et la haine du corps. Quand Simone Weil voit dans l’Iliade d’Homère une œuvre qui parle mieux de Dieu que le Livre de Josué dans la Bible, elle applique cette grille de lecture. Tout texte devient potentiellement parole de Dieu. Le texte dit sacré est la reconnaissance collective et historique que là réside une source essentielle – mais pas unique – où puiser, et que tout n’est pas égal, ni à prendre. Le souffle n’est pas la lettre.

Cet enracinement dans la beauté de l’humanité et de la vie est malheureusement souvent escamoté dans le discours religieux institutionnel. Comme si le monde, la société, la vie, la réalité quotidienne n’étaient pas parties prenantes de notre expérience de Dieu, comme s’il fallait, pour bien faire, laisser le monde à la porte du lieu de culte pour que celui-ci soit « pur ». Cette manière de voir entretient un dangereux clivage entre l’amour de Dieu et l’amour du monde. Ce qui prime alors, c’est l’obéissance stricte à la « loi » de Dieu et les pratiques rituelles qui s’y rattachent, le reste est secondaire, voire futile. Selon cette perspective, Dieu veut qu’on le serve, non que l’on vive. Le sacré institue ainsi une coupure radicale avec le profane. Dieu trône sur le monde et, comme un seigneur, il le domine – il n’y habite pas comme la plèbe. Les joies et les espoirs, les souffrances et les aspirations du peuple ne sont pas les siens. On doit plutôt l’honorer, lui payer son dû, sans quoi pèse sur l’insubordonné la menace du terrible châtiment. La liberté humaine est vue comme une menace. Ce qui compte, c’est l’ordre dicté d’en haut.

Bien sûr, il existe différents degrés dans cette scission religieuse d’avec le monde. Mais quelle qu’elle soit, elle demeure une source de violences larvées et structurelles. La peur de la liberté porte les germes de la domination. Quoi de mieux pour celui qui est un « loup pour l’homme » qu’un peuple qui se conduit en « agneau ». Pas de conflit, pas de désordre à l’horizon. Il n’est pas étonnant que les groupes politiques de droite trouvent un terreau fertile dans cette manière religieuse d’être, prônant la soumission. À cette violence « normale », sans éclats, s’enchaînent parfois de plus grandes violences.

Car le sacré ainsi conçu, trônant en absolu sur les réalités humaines – et exigeant une totale soumission – finit par instrumentaliser l’humain au point où le sacrifice de sa dignité et de sa liberté devient une simple exigence au nom de la Vérité. Ce qui devrait être amour, service, partage se pervertit alors en domination, asservissement et joug. Et ce qui devait être libération se transforme en carcan. Les mots de paix et de justice – et même de Dieu – se mettent alors au service d’une terrible violence, masquée sous le voile du sacré et de l’intouchable.

La religion – dont la raison d’être apparaît avec les deux racines latines possibles du mot : religare (relier) et religere (relire) – se voit ainsi défigurée. Elle ne relie plus les êtres humains entre eux, elle les lie. Elle ne relit plus la vie et les réalités insaisissables, en quête de sens; elle assène une vérité, elle lit au pied de la lettre, elle tue le sens en l’imposant.

Cette violence du sacré – l’instrumentalisation de l’être humain et de la vie au service d’une vérité ou d’une logique absolue – n’est pas seulement présente dans les religions, loin de là; elle se trouve aussi dans les formes perverties du politique et de l’économie. Elle s’accommode aussi très bien de la raison et de la science. Ce présent dossier est l’occasion d’en explorer quelques déclinaisons.

Plein de bonté, aucun pourtant ne saisit
Seul Dieu.
Mais où il y a du danger, croît
Aussi ce qui sauve.

Friedrich Hölderlin, Patmos


Jean-Claude Ravet - Canada)

Notes :
20Revue Relations, no 744, novembre 2010
Introduction au dossier « Violence et religion »
http://www.revuerelations.qc.ca/relations/archives/derniers_nos/744/popop/dossier.htm
http://www.culture-et-foi.com/critique/jean-claude_ravet.htm

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