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Les voyages du pape et les voyages de Jésus

Jose Maria Castillo
Publié dans Bulletin PAVÉS n°28 (9/2011)

Il n’est pas question d’entrer ici dans une quelconque polémique au sujet des JMJ. Notre liminaire a dit brièvement ce que nous en pensions. Et encore moins de porter quelque jugement sur tous ceux qui choisissent d’y participer. Le propos de J.M. Castillo est à la fois plus modeste et plus fondamental : quel devrait être aujourd’hui le témoignage d’un disciple de Jésus, qu’il soit pape ou croyant lambda… ? (P.C.)

Beaucoup de gens penseront sans doute qu’il n’est pas pertinent de mettre en relation les voyages du pape avec les voyages de Jésus. Vingt siècles les séparent les uns des autres. Et presque toutes les circonstances qui les ont entourés et les entourent sont tellement différentes, que les mettre en rapport ne peut avoir d’autre conclusion que de constater que ces voyages n’ont rien à voir entre eux. S’il en était ainsi, en fin de compte, ce qu’on viserait ici serait simplement de discréditer le pape.

Évidemment, ceux qui pensent cela ne manquent pas de bonnes raisons. Mais je dis aussi que si le seul titre de cet article énerve certaines personnes, on peut aussi raisonnablement penser que, a priori du moins, personne ne devrait avoir peur qu’à propos du voyage du pape, on puisse dire quelque chose à propos du comment, pourquoi, pour qui et avec qui voyageait Jésus. Ne disons-nous pas que le pape est le vicaire du Christ sur terre ? Le Dictionnaire dit que le vicaire est celui « qui détient la place, le pouvoir et les facultés d’un autre qu’il représente ». Donc, dis-je, si le pape représente Jésus, toutes différences étant sauves, ces voyages devraient avoir quelque chose à voir avec les siens.

Et il en est ainsi. Jésus voyageait pour parler de Dieu. Et c’est pour cela que le pape vient à Madrid. Jésus voyageait pour chercher ceux qui sont éloignés de Dieu. Et c’est pour cela qu’on a organisé la Journée Mondiale de la Jeunesse, puisqu'il y a des raisons de penser que les jeunes sont un des secteurs de la population les plus éloignés de la foi en Dieu. Jésus voyageait pour consoler ceux qui souffrent. Et il n’y a pas de doute que la visite du Pape servira de réconfort à pas mal de personnes dans l’épreuve. Tout cela est certain. Mais il est vrai aussi que les “foules” qui venaient écouter Jésus, étaient des gens que les évangiles désignent normalement par le mot grec “ochlos”, qui apparaît 170 fois dans les évangiles.

Et ce terme désigne non seulement une grande quantité de gens, mais aussi des gens ignorants, de condition sociale humble, et qui étaient considérés par les gens pieux comme des  « gens qui ne connaissaient pas la loi religieuse et étaient maudits », comme disaient ceux qui pratiquaient la religion (Jn 7, 49). Si les auteurs des évangiles disposaient d’autres mots grecs (“demos”, “laos”, “ethnos”…) pour désigner le peuple qui allait vers Jésus, pourquoi utilisent-ils habituellement le mot le plus dédaigneux qu’ils avaient sous la main ? Quelle étrange fascination exerçait donc cet infatigable voyageur que fut Jésus?

En me posant ces questions, je ne prétends pas m’interroger sur le coût économique que va avoir le voyage du pape, ni sur ce que prétendent ceux qui ont organisé ce voyage, ni sur ce que cherchent ceux qui vont aller à Madrid pour l’écouter. Je me demande quelque chose de beaucoup plus grave, de plus pressant, de plus fort : les choses étant ce qu’elles sont dans les pays de la corne de l’Afrique, où des centaines de milliers de créatures meurent de faim et de pénurie, et vu que les pays les plus puissants du monde ne mettent pas fin à cette situation si angoissante, pourquoi le pape ne va-t-il pas, du moins maintenant, en Somalie et au Kenya, et rester là, dans les camps de réfugiés, tant qu’un remède efficace n’est pas apporté à cette situation de tant d'êtres innocents qui luttent entre la vie et la mort ?

S’il y a des raisons d’espérer qu’un geste du pape puisse remuer la conscience de tant de multimillionnaires qui pourraient soulager le présent état de choses, pourquoi le pape ne le fait-il pas ? N’est-il pas plus nécessaire, plus important, plus humain, plus évangélique, à ce moment dramatique, d’aller vers les pauvres et les mourants que d’être accueilli triomphalement comme cela va être fait à Madrid ?

Est-ce que je suis en train de m’avancer un peu trop loin ? Parce que beaucoup vont dire que tout ceci est de la démagogie à bon marché, une utopie inutile, etc. Mais au risque qu’on me jette tout cela au visage, et beaucoup plus encore, je ne cesserai pas de dire ce que je pense, face à une nécessité tellement évidente et qui crie vers le ciel. De plus, si je le dis, ce n’est pas pour attaquer l’Église ou le pape. Au contraire. Je le dis parce que j’ai la ferme conviction de la force qu’ont l’Église et le pape pour déplacer des cœurs et leur faire prendre conscience quand ce qui est en jeu, c’est la vie ou la mort de tant d’êtres faibles, sans défense et désemparés.

Bien sûr que quand le pape rencontre les jeunes et réveille leur conscience, qu’il leur indique le chemin de l’Évangile et qu’il leur découvre des horizons d’humanité. Mais, s'il vous plaît, ce qui est primordial doit le rester. Et il ne fait aucun doute que le plus urgent, à l’heure actuelle, c’est de sauver la vie de tant de personnes qui sont les “sans nom” de ce monde. Et je termine en affirmant que ceci ne vaut pas seulement pour le pape et les évêques. C’est valable pour tous. Et pour moi d’abord. Pour que tous nous ayons le courage d’affronter une situation qui ne peut pas attendre.


Jose Maria Castillo - Espagne)

Notes :

(traduction : P. Collet)
http://www.redescristianas.net/2011/08/08/los-viajes-del-papa-y-los-viajes-de-jesusjose-m-castillo-teologo/#more-27082



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